Les Juifs brésiliens déçus de la visite de Netanyahu
Le chef de la confédération juive a été totalement ignoré lors d'un événement communautaire ; Pour une vieille militante sioniste, le discours du Premier ministre était "arrogant"
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
La visite du Premier ministre Benjamin Netanyahu au Brésil a peut-être été un succès diplomatique, mais elle a mis en colère les dirigeants de la communauté juive du pays, qui se sentent marginalisés et dénigrés par l’ambassade d’Israël à Brasilia.
La plupart des plaintes faisaient référence à un événement pour la communauté juive locale organisé par Netanyahu dimanche dans son hôtel de Rio de Janeiro. Le maître de cérémonie a ignoré la présence du président de la Confédération juive du Brésil, Fernando Lottenberg, et d’autres dignitaires de diverses fédérations régionales qui étaient présents. Au lieu de cela, le consul honoraire du Brésil en Israël, Osias Wurman, a été invité à parler au nom de la communauté.
« Cela a été très marquant », a déclaré M. Lottenberg au Times of Israel lors d’une interview téléphonique plus tôt cette semaine.
Fondée en 1948, la Confédération juive du Brésil – connue sous son acronyme portugais Conib – est « chargée de la représentation politique et de la coordination de la communauté juive brésilienne dont la population est estimée à 120 000 personnes », selon son site Internet. Quatorze fédérations régionales sont affiliées à l’institution.
M. Lottenberg, qui dirige Conib depuis 2014, a déclaré que l’ambassadeur d’Israël à Brasilia, Yossi Shelley, était responsable de l’événement, l’accusant de l’avoir délibérément mis à l’écart, lui et son organisation.
« Ils nous humilient. Ils ne nous accueillent pas, ils ne nous laissent pas parler, ils ne nous ont pas mentionnés. Ils nous dénigrent. C’est presque comme si nous n’étions pas là », dit-il en parlant de l’événement de dimanche.
« C’est triste. Ça aurait pu être un grand jour pour tout le monde. »
Patricia Tolmasquim, une ancienne militante pro-israélienne de Rio, a qualifié de « grosse gaffe diplomatique », le fait que Wurman – un riche homme d’affaires et journaliste proche de Shelley – n’était pas la bonne personne pour représenter la communauté.
« C’était de la chutzpah. Une grande chutzpah. Le dirigeant de Conib, qui est vraiment le dirigeant de la communauté juive, était assis au premier rang. Il se trouvait en vacances en Uruguay et s’est envolé spécialement pour cet événement », explique-t-elle.
M. Wurman a fait l’éloge de Shelley en tant que meilleur ambassadeur israélien à avoir jamais servi au Brésil, mais il n’a rien dit d’autre qui ait quoi que ce soit à voir avec la communauté juive du pays, a accusé Tolmasquim.
« Si son discours nous avait au moins présentés, ça aurait été bien – c’était toujours une gaffe, mais pas une grosse », a-t-elle ajouté.
Wurman, qui est un fervent partisan du nouveau président brésilien Jair Bolsonaro, a accompagné Shelley lors de sa rencontre avec le président élu, il y a quelques semaines.
« La communauté a mille problèmes, avec les diverses institutions et les relations intercommunautaires et la polarisation politique, et s’assurer que la paix règne dans la communauté, et Fernando Lottenberg gère tout cela », a expliqué Tolmasquim.
« Le fait que l’ambassadeur invite quelqu’un de l’ambassade à parler au nom de la communauté, en plus d’être une très grosse gaffe diplomatique, nuit aussi à la communauté elle-même. Et ce n’est pas bien. Il faut réparer ça. »
Com o embaixador de Israel, Yossi Shelley na recepção ao Primeiro Ministro De Israel Sr. Benjamin Netanyahu.
Posted by Patricia Tolmasquim on Sunday, December 30, 2018
Selon diverses sources qui se sont entretenues avec le Times of Israel ces derniers jours, la rancœur entre Conib et l’ambassade d’Israël à Brasilia remonte à 2015, lorsque le gouvernement brésilien a refusé d’accepter Dani Dayan, ancien résident d’une implantation (aujourd’hui consul général à New York) comme ambassadeur d’Israël.
Certains à Jérusalem pensaient que Lottenberg ne s’était pas prononcé en faveur de Dayan, arguant qu’il aurait pu expliquer clairement aux autorités brésiliennes que le rejet du choix d’Israël aurait des conséquences négatives.
D’autres sources, s’adressant au Times of Israel sous couvert d’anonymat, ont fait état d’une vendetta personnelle entre Lottenberg et Shelley, ce dernier étant fâché de ne pas avoir été invité à prendre la parole à la convention annuelle de Conib à la fin novembre.
Shelly a peut-être aussi choisi Wurman pour prendre la parole lors de l’événement parce qu’il voulait honorer un partisan enthousiaste de Bolsonaro, alors que Conib a évité toute déclaration politique avant ou après les élections de l’an dernier.
« Nous sommes impartiaux », a déclaré Lottenberg au Times of Israel cette semaine. « Nous n’appuyons ni ne rejetons les gouvernements – nous travaillons avec les gouvernements, avec tous les gouvernements, peu importe qui ils sont. »
Les Juifs brésiliens ont été largement divisés dans leurs opinions sur Bolsonaro. Certains ont salué le fait qu’après plusieurs gouvernements socialistes, un homme de droite assumé, aux opinions ouvertement pro-israéliennes arrive au pouvoir, tandis que d’autres se méfient de ses positions pro-armes, son soutien pour l’ancienne dictature militaire et son discours populiste, dont les insultes contre les gays et les femmes.
Wurman, qui dans le passé a été vice-président de Conib et président de la fédération juive de Rio, n’a pas répondu aux questions du Times of Israel.
Le ministère des Affaires étrangères de Jérusalem a refusé de commenter cet article.
La visite de six jours de M. Netanyahu dans le pays le plus grand et le plus peuplé d’Amérique latine – le tout premier Premier ministre israélien à s’y rendre – peut être considérée comme un succès diplomatique, car il a approfondi ses liens politiques et économiques avec le nouveau gouvernement de M. Bolsonaro.
Bolsonaro a promis de soutenir l’Etat juif dans les forums internationaux et de déplacer l’ambassade de son pays de Tel Aviv à Jérusalem, et l’honneur que lui a fait Netanyahu en étant le seul leader du Moyen Orient à participer à son investiture est de nature à renforcer encore davantage les convictions pro israéliennes du dirigeant d’extrême droite. En effet, l’une des premières choses que Bolsonaro a faites après avoir conclu son premier discours, mardi, a été de serrer Netanyahu dans ses bras.
Mardi, des centaines de supporters de Bolsonaro ont applaudi le Premier ministre israélien, alors que lui et son épouse se rendaient à la cérémonie d’investiture.
« C’est un grand jour pour le Brésil et pour l’alliance israélo-brésilienne », a déclaré M. Netanyahu aux journalistes locaux alors qu’il entrait au ministère brésilien des Affaires étrangères pour une réception. « Nous avons discuté de tous les domaines pour le bénéfice des peuples d’Israël et du Brésil. C’est une nouvelle ère. »
Netanyahu a également été chaleureusement accueilli vendredi après-midi à la synagogue de Copacabana, à Rio, où certains participants ont crié « Bibi, Bibi », en utilisant le surnom du Premier ministre.
אהבה עזה לישראל ולנתניהו בברזיל.
הנשיא החדש ז׳איר בולסונארו בנאום ההשבעה: ״אנחנו מכבדים את המסורות הנוצריות-יהודיות שלנו. נשים את ברזיל מעל לכל ואת אלוהים מעל כולם״. ו… כך הגיב הקהל כאשר זיהה את משלחת העיתונאים מישראל ????????????????#Brazil #Israel pic.twitter.com/hm9dAkBOzX— Ariel Kahana אריאל כהנא (@arik3000) January 1, 2019
Mais une partie au moins des dirigeants juifs ont été déçus par le discours qu’il a prononcé dimanche à son hôtel devant les membres de la communauté.
« Nous nous attendions à ce qu’il dise quelques mots à la communauté, combien il est important que la communauté soit organisée et combien il est important que nous soutenions Israël. Quelques mots sur la façon dont nous luttons contre l’anti-sionisme et l’antisémitisme, et nous remercier aussi d’envoyer des délégations en Israël. Mais il n’y a rien eu du tout », s’est plaint Mme Tolmasquim, une haute responsable du B’nai B’rith brésilien et membre élue du Comité exécutif sioniste.
« Au lieu de cela, il nous a projeté une présentation PowerPoint qui a démarré avec une vache. Et il nous a demandé : ‘Quelle vache donne le plus de lait au monde ? La vache israélienne' », raconte-t-elle avec dérision.
« Il a confondu les intérêts de la communauté juive et ceux de l’ambassade », a poursuivi Mme Tolmasquim.
Selon une transcription du discours de Netanyahu, il s’est adressé directement à la communauté, qualifiant les Juifs locaux d’“ambassadeurs” de l’amitié israélo-brésilienne.
« Il y a une chaleur particulière que la communauté juive du Brésil ressent pour Israël. Ils sont fiers du Brésil et ils aiment le Brésil. Ils sont fiers d’Israël et ils aiment Israël. Et ils constituent un merveilleux pont entre nos deux pays. Nous sentons qu’il y a beaucoup d’empathie », a-t-il dit. « Je considère Israël comme la patrie de tous les Juifs. Tous les Juifs devraient se sentir les bienvenus en Israël. Vous êtes tous les bienvenus en Israël ».
Tolmasquim s’est dite « fière » de la visite de Netanyahu au Brésil et a reconnu qu’elle a été « très réussie ». Elle s’est également félicitée des efforts déployés pour promouvoir les liens commerciaux, mais a déploré que son discours, dans lequel il a longuement parlé des prouesses technologiques d’Israël, soit « arrogant » et puisse éventuellement inspirer des sentiments anti-juifs.
« C’était très irrespectueux pour les Brésiliens. Je ne pense pas qu’il l’ait fait exprès, mais cela semblait quelque peu arrogant [comme si] Israël était le sauveur du Brésil », a-t-elle fait remarquer.
« Les Brésiliens attendent ici comme des idiots et Israël leur apporte technologie et sagesse. C’est tout simplement faux et injuste. Vous ne pouvez pas venir dans un pays et dire que nous sommes plus intelligents que vous, que nous venons avec notre intelligence et que nous allons vous sauver. Le Brésil est un pays développé, a-t-elle ajouté.
La communauté juive locale craint que de tels discours ne « conduisent à l’antisémitisme », a-t-elle averti. « Pourquoi ne pouvez-vous pas simplement dire que nous collaborerons avec votre gouvernement ? Utilisez un langage simple de coopération, sans dire que nous sommes les meilleurs au monde. »