Israël en guerre - Jour 565

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Les Juifs ouzbeks regrettent déjà la main de fer de leur ancien président

Certains membres de la communauté juive en Ouzbékistan préfèrent la stabilité d'un régime autoritaire, même au prix de libertés personnelles

Illustration : Shirin Yakubov visite la synagogue principale de Boukhara, en Ouzbékistan, avec son fils, un ami de son fils et deux gardiens musulmans, le 9 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Illustration : Shirin Yakubov visite la synagogue principale de Boukhara, en Ouzbékistan, avec son fils, un ami de son fils et deux gardiens musulmans, le 9 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

En traversant Boukhara, une ville poussiéreuse et déserte aux splendides et anciennes mosquées, Shirin Yabukov se remémore le caractère impitoyable de celui qui, récemment décédé, a dirigé son pays pendant 25 ans.

« Il les a tous tués, jusqu’au dernier », dit-elle en évoquant l’implication d’Islam Karimov dans le massacre par la police de centaines d’islamistes dans la ville d’Andijan, après des manifestations.

« Notre président a fait ce qu’il fallait », ajoute-t-elle en souriant. Femme d’affaires pragmatique et mère dévouée de trois enfants, Yakubov appartient à l’élite de ce pays d’Asie centrale de 32 millions d’habitants voisin de l’Afghanistan.

Comme beaucoup d’autres dans sa classe sociale, elle attribue l’absence de l’islamisme radical de la scène publique au joug oppresseur de Karimov, le 2 septembre dernier d’un AVC à l’âge de 78 ans. Sous son égide, les services de sécurité du SNB ont été responsables de la torture et de la disparition d’un grand nombre de dissidents dans un pays où la liberté de la presse n’existe pas, et où les portes sont fermées aux journalistes étrangers.

Islam Karimov, ancien président ouzbek, pendant la réunion de l'Organisation de coopération de Shanghai à Tachkent, le 24 juin 2016. (Crédit : CC BY 4.0 Kremlin.ru/Wikipedia)
Islam Karimov, ancien président ouzbek, pendant la réunion de l’Organisation de coopération de Shanghai à Tachkent, le 24 juin 2016. (Crédit : CC BY 4.0 Kremlin.ru/Wikipedia)

Avec le décès de Karimov, un isolationniste qui a tout fait pour rester en bons termes avec la Russie et les États-Unis, tout en maintenant son indépendance, Yakubov et d’autres Ouzbeks aisés, y compris les 13 000 juifs qui y vivent toujours, font face à un futur incertain.

Shavkat Mirziyoyev, le Premier ministre, a été nommé à la succession de Karimov le 8 septembre comme président par intérim, ce qui laisse augurer des changements risqués, mais aussi la promesse de davantage de libertés politiques, individuelles et commerciales, ainsi que des opportunités commerciales.

Les diplomates étrangers accusent Karimov de violations des droits de l’Homme, mais également d’avoir empêché l’Ouzbékistan, un pays riche en minéraux, d’exploiter son potentiel économique. Sous Karimov, les politiques restrictives du pays comprenant notamment un régime de visa obstructionniste pour les étrangers et un taux de change de sa devise, le sum, égal à la moitié de sa valeur sur le marché noir.

Tamara Tilayev, à gauche, avec deux membres de la communauté et son mari, Yosif, à droite, devant la synagogue de Samarcande, en Ouzbékistan, le 11 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Tamara Tilayev, à gauche, avec deux membres de la communauté et son mari, Yosif, à droite, devant la synagogue de Samarcande, en Ouzbékistan, le 11 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

Mais de nombreux Ouzbeks et tous les dirigeants de communautés juives semblent dire qu’ils sont reconnaissants de la stabilité atteinte grâce à Karimov, et de la croissance qu’il a générée. Tachkent, une ville provinciale, est devenue une métropole propre et sécurisée de trois millions de résidents, avec un système de métro performant, des salles de conférences et de congrès flambant neuves, des marchés et des parc dans lesquels pies et étourneaux indiens se baignent dans des fontaines au milieu des plants de basilic.

Yakubov, elle, attribue à la politique de Karimov son droit à conduire une voiture, malgré son statut de femme, en dépit de la résistance soulevée par une société où les femmes ne sont mêmes pas censées sortir de chez elles.

En 2005, pendant les troubles qui faisaient rage à Andijan, quelqu’un a lancé un pavé sur sa voiture à deux reprises, en brisant le pare-brise, raconte Yakubov. L’intimidation a cessé dès que la police a interrogé des voisins. Cette procédure semble classique, mais en Ouzbékistan, elle est perçue comme le dernier avertissement avant des poursuites judiciaires, voire des mesures extra-judiciaires.

Yossif Tilayev, le gardien de la synagogue Bukharian de Samarcande, en Ouzbékistan, le 11 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Yossif Tilayev, le gardien de la synagogue Bukharian de Samarcande, en Ouzbékistan, le 11 septembre 2016. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

« Personne ne me traitera de sale juif ici », raconte Arsen Yakubov, le mari de Shirin, alors qu’il entre dans l’une des deux synagogues de Boukhara pour l’office du vendredi soir. Avant même de rentrer, il avait enfilé le traditionnel chapeau carré décoré des boukhariotes, qui sert ici de kippa.

Alors que les synagogues en Europe occidentale et même en Russie sont protégées par des forces armées, les institutions religieuses de cette nation sunnite ne sont pas surveillées. Cela explique pourquoi des prières ont été récitées dans les cinq synagogues ouzbèkes lors du décès de Karimov.

Au-delà de la menace de punition par un gouvernement autoritaire, les juifs sont en sécurité car ils sont considérés comme des autochtones, tous comme les Tadjiks et les Russes. Après tout, on peut retracer la présence des juifs jusqu’à 1 000 ans en arrière. Certains historiens pensent même pouvoir remonter jusqu’en l’an mille avant l’ère commune.

A Boukhara, où vivent entre 40 et 150 juifs, en fonction de qui l’on considère juif, certains sont salués d’un shalom par leurs voisins musulmans quand ils se rendent à la synagogue pour les offices du matin et du soir (réunir un minyan, c’est-à-dire un quorum de 10 hommes selon les exigences de la loi orthodoxe, se révèle souvent être un défi).

Shirin Yakubov écoute les élèves chanter dans l'école juive de Bukhara, en Ouzbékistan, le 9 septembre 2011. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Shirin Yakubov écoute les élèves chanter dans l’école juive de Bukhara, en Ouzbékistan, le 9 septembre 2011. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

De la viande cacher, produite par un rabbin abatteur rituel, est vendue dans un magasin géré par des musulmans.

Dans l’école juive locale, un livre à dominante musulmane est utilisé pour enseigner la Hatikvah, l’hymne nationale d’Israël, montrant l’intérêt de l’école et la réduction de la population juive après la chute de l’Union soviétique. Quelques 75 000 juifs ont quitté la république soviétique après sa chute.

« Nous sommes frères, les musulmans et les juifs, et nous vivons de cette façon »
Yossif Tilayev, rabbin de Samarcande

« Nous sommes frères, les musulmans et les juifs, et nous vivons de cette façon », raconte Yossif Tilayev, rabbin de fortune d’une communauté d’à peine 200 juifs à Samarcande, deuxième ville d’Ouzbékistan, et concierge de sa synagogue du 19e siècle, l’une des plus belles d’Asie centrale, avec son dôme turquoise.

Mais pour beaucoup, cette histoire de coexistence n’est pas une garantie contre une version ouzbèke d’une guerre interethnique et interreligieuse qui a ravagé les pays voisins, notamment le Tadjikistan, le Turkménistan, le Kirghizistan et l’Afghanistan.

Même sous Karimov, les Yakubov de Boukhara ont ressenti une tendance à la radicalisation croissante. Avec les milliers de villageois qui sont arrivés en ville, l’élite éduquée s’est installée à Tachkent, la capitale. En 2014, ce processus de migration nationale a ralenti quand le gouvernement a renforcé sa législation sur les propiskas, des visas internes au pays, qui régentent le lieu de résidence et de travail.

Mais l’ambiance à Boukhara n’est plus celle d’il y a dix ans, déplore Shirin Yakubov.

Benjamin Yakubov, à droite, et son ami Natan, regardent le plafond de la synagogue principale de Bukhara, en Ouzbékistan, le 9 septembre 2011. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)
Benjamin Yakubov, à droite, et son ami Natan, regardent le plafond de la synagogue principale de Bukhara, en Ouzbékistan, le 9 septembre 2011. (Crédit : Cnaan Liphshiz/JTA)

« Je ne peux plus aller à la piscine comme il y a 10 ans, parce qu’ils regardent mon maillot de bain, raconte-t-elle. Je ne veux pas que ma fille porte de shorts, parce que ça attire l’attention. Je ne me sens pas à l’aise ici. »

Ses parents est ses trois frères et sœurs vivent déjà en Israël, tout comme la plupart de la famille de son mari. Shirin Yakubov et son mari restent à Boukhara parce que les parents de ce dernier ne partiront pas.

« Nous partirons, et vite, si quoi que ce soit de mauvais arrive après Karimov »
Une juive d’Ouzbékistan

« Mais nous partirons, et vite, si quoi que ce soit de mauvais arrive après Karimov », dit-elle.

Yakubov fait partie des nombreux juifs ouzbèkes qui pensent que l’extrémisme n’est jamais très loin et que le calme apparent n’est imputable qu’à la législation rigoureuse.

« Nous avons de tout. Du wahhabisme, des djihadistes, des talibans. Grâce à Karimov, ils ne se dévoilent pas », affirme-t-elle.

Arkady Issascharov, le président de la communauté juive boukhariote de Tachkent approuve en partie.

« Il faut toujours être prudent, a-t-il déclaré. Un rabbin a déjà été tué ici. »

Il évoque ici la mort mystérieuse en 2006 d’Avraam Yagudaev, un dirigeant juif, dont l’autopsie a démontré qu’il avait péri dans un accident de voiture, mais certains pensent qu’il a été assassiné.

Pourtant, la société ouzbèke « ne laissera pas les choses se passer comme en Afghanistan », déclare Issascharov, qui a servi dans l’armée rouge lorsque les islamistes ont mené une rébellion contre la domination soviétique dans le pays dans les années 1980. Les troupes soviétiques et les Talibans sont tous deux responsables d’atrocités dans cet amer conflit.

« Il faut toujours être prudent. Un rabbin a déjà été tué ici. »
Le président de la communauté juive de Tachkent

Pourtant, Vadim Levin, notre guide touristique, un russe d’origine juive dont la famille vient de Tachkent, n’est pas convaincu de l’immunité de son pays natal face à l’islamisme.

Dans les mois chaotiques qui ont suivi l’indépendance de l’Ouzbékistan en 1991, Levin raconte avoir été battu dans la rue pour avoir parlé russe, par un « gang de nationalistes, d’extrémistes religieux » qui cherchaient à se venger de la répression religieuse et ethnique de la Russie.

Karimov, le premier dirigeant de l’Ouzbékistan indépendant, avait progressivement renforcé la pression sur la religion et les autres formes d’extrémisme, restaurant la stabilité. Mais cette stabilité s’est obtenue au prix de restrictions de la liberté de presse et d’autres libertés individuelles, comme le port de la barbe, une pratique mal vue, passible de punitions.

Les Israéliens et les autres juifs, ajoute Levin, « ont tendance à mieux comprendre ce compromis » que les Occidentaux, « parce qu’ils ont déjà vu le visage de l’islam radical, ils l’ont senti planer sur eux. »

« Il est évident que la stabilité de mon pays se fait au prix de certaines libertés, j’en suis conscient », explique Levin, propriétaire, père d’un enfant, polyglotte, et qui a visité l’Europe, Israël et les États-Unis. « Mais c’est un compromis qui, je l’espère, se poursuivra avec le successeur de Karimov. »

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