Les menaces de Biden ne sont pas tombées du ciel, Netanyahu les ignore depuis des mois
Selon des responsables américains, le président a continué à livrer des armes depuis le 7 octobre, mais les Israéliens "savaient que cela ne pouvait pas durer indéfiniment"
Il y a quatre ans, Joe Biden, alors candidat à l’élection présidentielle, s’était engagé devant un groupe de donateurs à ne pas assortir, s’il était élu, l’aide américaine à la sécurité d’Israël de conditions, qualifiant une telle décision « d’irresponsable » compte tenu des menaces qui pèsent sur l’État hébreu.
Fin novembre, près de deux mois après le début de la guerre la plus meurtrière entre Israël et le groupe terroriste palestinien du Hamas à Gaza, Biden est resté fidèle à cette position et s’est opposé aux appels des législateurs progressistes de son parti qui souhaitaient lier l’aide américaine à la sécurité au bilan d’Israël en matière de droits de l’homme. « Je ne pense pas que si j’avais commencé par cela, nous serions arrivés là où nous sommes aujourd’hui. »
Cinq mois plus tard, Biden a radicalement changé son approche.
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« S’ils entrent dans Rafah, je ne fournirais pas les armes qui ont été utilisées historiquement pour s’occuper de Rafah, pour s’occuper des villes, pour s’occuper de ce problème », a affirmé Biden à CNN mercredi. « Ils n’obtiendront pas notre soutien s’ils vont dans des zones peuplées. »
Ces remarques ont choqué les milieux politiques aux États-Unis, en Israël et ailleurs. Mais selon les responsables américains qui ont expliqué ces menaces, celles-ci n’auraient pas dû surprendre le Premier ministre Benjamin Netanyahu ni quiconque suivant la situation de près.
« Le président et son équipe ont été clairs, ces dernières semaines, sur leur refus de cautionner le principe d’une opération terrestre de grande ampleur à Rafah, là où plus d’un million de personnes se sont réfugiées, sans autre alternative », a indiqué Kirby, soulignant que ce message avait été transmis à la fois publiquement et en privé à Netanyahu. « Le gouvernement israélien l’a bien compris, et depuis un bon bout de temps déjà. »
Depuis les premières menaces d’offensive sur Rafah brandies par Netanyahu en février, les États-Unis ont souligné qu’ils ne sauraient soutenir une telle opération sans un plan cohérent d’évacuation des civils qui s’y abritent et de prise en charge de leurs besoins humanitaires une fois qu’ils auront été déplacés. Trois mois se sont écoulés et la Maison Blanche maintient qu’un tel plan n’a jamais été élaboré par Israël, tandis que ce dernier affirme qu’on ne lui a jamais présenté d’alternatives viables pour vaincre le Hamas sans entrer dans Rafah.
À cette demande s’ajoutent plusieurs autres émises par les États-Unis. Depuis le début de la guerre, l’administration Biden exhorte, en effet, Israël à prendre des mesures pour limiter les pertes civiles, prévenir une crise humanitaire, protéger les travailleurs humanitaires et proposer des alternatives viables au régime du Hamas.
Or, à Washington, le sentiment est que ces demandes ont été largement ignorées par Netanyahu et le gouvernement israélien, comme l’ont indiqué deux responsables américains au Times of Israel.
Victimes civiles
L’un des responsables a souligné le nombre de victimes qui ne cesse de grimper dans la bande de Gaza. Le ministère de la Santé du Hamas estime le nombre de morts à près de 35 000, bien que ce chiffre ne puisse être vérifié et qu’il ne distingue pas les civils des terroristes, et inclut les civils tués par les roquettes mal lancées par les terroristes. Tsahal dit avoir tué plus de 13 000 membres du Hamas et d’autres groupes terroristes à Gaza, ainsi qu’un millier de terroristes à l’intérieur d’Israël au cours de l’assaut du groupe terroriste du 7 octobre qui a déclenché la guerre.
En outre, le responsable a ajouté que les images et les vidéos d’enfants ensevelis sous les décombres des bâtiments à Gaza frappés par Israël ne tarissaient pas et qu’elles avaient un impact sur les dirigeants de l’administration.
« Des civils ont été tués à Gaza à cause de ces bombes et d’autres moyens par lesquels [Israël] s’en prend aux foyers de population », a indiqué Biden à CNN lorsqu’on lui a demandé si ces armes avaient été utilisées pour tuer des civils à Gaza, expliquant ainsi sa décision de geler l’envoi de munitions à forte charge utile à Israël la semaine dernière. « C’est mal. Nous n’allons pas fournir des armes et des obus d’artillerie. »
Le responsable américain a reconnu les difficultés rencontrées par Israël pour lutter contre un ennemi qui s’est implanté au cœur des populations civiles après avoir massacré quelque 1 200 personnes dans le sud d’Israël et pris 252 otages le 7 octobre.
Mais l’administration Biden a accordé à Jérusalem un soutien inconditionnel pendant sept mois et ne peut le maintenir, a fait valoir le responsable américain, citant les victimes civiles à Gaza et la nature déstabilisatrice de la guerre dans la région. Le responsable a précisé que cela ne changeait rien à l’engagement de Washington de parvenir à un accord de trêve qui permettrait de libérer les 132 otages qui se trouvent toujours à Gaza.
Aide et déconfliction
En ce qui concerne l’aide humanitaire et la déconfliction, les deux responsables américains ont déclaré qu’il avait fallu attendre la frappe par erreur de Tsahal qui a tué sept travailleurs de World Central Kitchen le 1er avril pour qu’Israël mette en œuvre une série de mesures visant à augmenter de manière significative la quantité d’aide entrant dans Gaza et à protéger les personnes chargées de l’acheminer.
Le mois dernier, près de 400 camions d’aide sont entrés quotidiennement dans la bande de Gaza, soit 100 camions de moins que la moyenne quotidienne avant la guerre, mais la route maritime devrait être opérationnelle dans les prochains jours et Washington a indiqué qu’elle couvrirait cette différence.
L’augmentation de l’aide a cependant été difficile à maintenir, retombant à nouveau cette semaine lorsqu’Israël a commencé son opération limitée pour prendre le contrôle du côté palestinien du passage de Rafah, le fermant ainsi à l’acheminement de l’aide.
Israël a également fermé le point de passage de Kerem Shalom vers Gaza, situé à proximité, après qu’une attaque du Hamas lancée depuis Rafah au cours du week-end a tué quatre soldats de Tsahal et en a blessé dix autres stationnés à proximité. Le point de passage a été rouvert mercredi et un autre soldat y a été blessé par un tir de roquette du Hamas, mais le nombre de camions d’aide passant par là est depuis nettement inférieur.
L’un des deux responsables américains a confié au Times of Israel que la crainte de voir une nouvelle réduction des livraisons d’aide, alors que les menaces d’une famine potentielle dans le nord de la bande de Gaza s’étaient dissipées, était au centre des préoccupations de l’administration les jours qui ont précédé l’interview de Biden sur CNN.
L’après-guerre
Un autre point sur lequel l’administration Biden insiste depuis les jours qui ont suivi le 7 octobre est la nécessité pour Israël de prévoir immédiatement qui prendra le contrôle de la bande de Gaza une fois la guerre terminée.
Lors de son entretien sur CNN, Biden a rappelé avoir promis à Netanyahu que « nous vous aiderons à attraper [le chef du Hamas Yahya] Sinwar, mais ne faites pas la même erreur que nous avons faite en Amérique [après le 11 septembre] », déplorant l’incapacité des États-Unis à élaborer à l’époque des plans stratégiques lors de l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak.
« Nous devons envisager ce qui se passera une fois que tout cela sera terminé. Qui sera à Gaza ? », a indiqué Biden.
Les États-Unis souhaiteraient voir leurs partenaires arabes contribuer à la sécurité et à la relance économique de Gaza dès la fin de la guerre, et ce, jusqu’à ce qu’une Autorité palestinienne (AP) réformée soit prête à prendre la direction des opérations.
Seulement, tous ces pays ont conditionné leur support à l’après-guerre à l’acceptation par Israël d’ouvrir la voie à un futur État palestinien, ce que Netanyahu a rejeté d’emblée.
Les États-Unis ont tenté de faire miroiter la volonté de l’un de ces partenaires arabes – l’Arabie saoudite – de normaliser ses relations avec Israël, dans l’espoir de convaincre Netanyahu de coopérer à cet effort.
Ce dernier s’est toutefois abstenu d’organiser des discussions avec son cabinet sur la question, craignant qu’elles n’entraînent l’effondrement de sa coalition.
Les partenaires d’extrême droite de la coalition de Netanyahu ont appelé Israël à réoccuper de manière permanente la bande de Gaza et à y réinstaller des implantations dans le territoire palestinien. Le Premier ministre a fait part de son opposition à ces mesures, mais il a été critiqué pour avoir refusé de proposer des alternatives claires au Hamas, ce qui laisse craindre aux responsables américains que Gaza restera aux mains du Hamas ou qu’elle tombera dans l’anarchie.
Mercredi, après les menaces de Biden, la chaîne publique Kan a rapporté que Netanyahu avait accepté de tenir une réunion du cabinet de guerre pour discuter de la gestion de la bande de Gaza après la guerre.
« Nous poussons les Israéliens à discuter de l’après-guerre depuis le début, et ils nous ont complètement ignorés. Résultat, les soldats israéliens retournent une deuxième et une troisième fois dans les mêmes zones qu’ils avaient auparavant débarrassées des membres du Hamas », a déclaré le second responsable américain.
« Tout au long de cette période, nous avons continué à envoyer régulièrement des armes, mais ils savaient que cela ne pouvait pas durer éternellement », a poursuivi le responsable. « Les propos du président [à CNN] ne sont pas tombés du ciel. »
Sous pression
Selon des responsables américains, la menace proférée jeudi par Joe Biden était le résultat inévitable face au peu de cas qu’Israël fait depuis des mois des demandes de son plus grand soutien.
Le responsable américain a rejeté l’idée que la menace faisait partie d’un effort politiquement motivé pour apaiser les progressistes dont Biden pourrait avoir besoin pour être réélu. Le président a déclaré dans l’interview de CNN qu’il avait « parfaitement » entendu les étudiants pro-palestiniens protester contre Israël, avant de laisser entendre qu’ils étaient bien moins représentatifs qu’il n’y paraissait.
Au-delà des motivations, ce qui semble moins clair, c’est l’impact que le changement de cap du président aura sur les efforts déployés pour libérer les otages et vaincre le Hamas – des objectifs qui ne seront pas abandonnés, comme l’a souligné Washington jeudi.
Lors de cette même conférence de presse, il y a cinq mois, au cours de laquelle Joe Biden a défendu son refus de conditionner l’aide à Israël, il lui a également été demandé s’il faisait confiance au Hamas pour respecter le premier accord sur les otages que les deux parties venaient de conclure.
« Je ne fais aucunement confiance au Hamas. J’ai seulement confiance en la capacité du Hamas à répondre à la pression », avait-il répondu.
Israël insiste depuis longtemps sur ce point et, après l’interview de Biden sur CNN, les dirigeants de l’État hébreu ont averti que le Hamas avait désormais moins de raisons de faire des compromis dans les négociations sur les otages, sachant que les États-Unis ne soutiendraient pas l’invasion de Rafah par Tsahal pour démanteler ses derniers bataillons.
Les porte-parole de l’administration ont assuré jeudi qu’une offensive à Rafah renforcerait en fait la position du Hamas à la table des négociations, car il utiliserait une nouvelle augmentation des pertes civiles pour formuler des demandes plus ambitieuses, tout en affirmant que le groupe terroriste « ne s’est jamais soucié de la vie des civils palestiniens ».
Le responsable américain a précisé que le Hamas n’avait pas montré, lors des négociations sur les otages, qu’il serait influencé par les pertes militaires potentielles auxquelles il pourrait être confronté suite à l’invasion de Rafah par Tsahal.
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