Les premiers pas de Sir Moïse Montefiore en Terre Sainte
La visite en 1839 du philanthrope juif britannique dans le pré-État d'Israël a inspiré la fondation du quartier de Mishkenot Sha’ananim, le premier quartier moderne de Jérusalem
Vous saviez peut-être que Sir Moïse Montefiore était la force motrice derrière Mishkenot Shaananim, le premier quartier juif en dehors des murs de la Vieille Ville de Jérusalem. Mais saviez-vous que le riche Lord anglais avait visité à plusieurs reprises Israël avant la fondation de l’Etat juif, la plupart du temps avec sa femme, Lady Judith ?
Dr Louis Loewe, linguiste et écrivain qui non seulement connaissait très bien le couple mais qui les avait également accompagnés dans leurs voyages autour du monde, admirait beaucoup Sir Moïse et Lady Judith. Dans un livre, les Carnets de Sir Moïse et de Lady Montefiore, publié en 1890, il les décrit comme un couple de Juifs passionnés, attentifs et pratiquants à la vie bien remplie. Ils étaient aussi amateurs de vin. De fait, le vin est évoqué à 24 reprises dans les carnets.
L’un de leurs voyages les plus marquants en Terre Sainte, décrit en détail dans le livre de Loewe, s’est déroulé en 1839. Le volume abonde en descriptions de leurs nuits passées dans des tentes, des palaces et des maisons élégantes. Ils ont fait du cheval aux sommets de montagnes, sur des chemins bien tracés et d’autres très sauvages. La peste faisait des ravages cette année-là, et ils sont prudemment restés à distance des villes et villages contaminés.
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Partout sur leur chemin, les Montefiore distribuaient de l’argent et des cadeaux, tout en prenant le temps de s’intéresser à ce dont les autres Juifs avaient besoin afin d’améliorer ce qui était souvent une existence misérable. Il est fort possible que ce voyage ait permis de planter la première graine pour faire germer l’idée qui allait conduire à la création de Mishkenot Shaananim en 1860.
Le quartier pionnier a été équipé avec un moulin à vent produit à Canterbury, une copie de celui qui se trouvait dans la propriété de Montefiore. grâce au moulin, les résidents ont pu moudre du blé pour produire de la farine et devenir auto-suffisants. En 1892, d’autres bâtiments sont ajoutés, et le premier quartier fut nommé Yemin Moshé.
De Beyrouth à Jérusalem
Le couple arrive à Beyrouth le 11 mai 1839. De là, ils se rendent dans le sud traversant le Liban et la Palestine puis, virant légèrement vers l’est, arrivent pour la première fois à Safed. Là, ils font la découverte d’une vue éblouissante sur les alentours, car la ville de Safed surplombe le paysage, embrasse le sommet du Mont Canaan et forme un petit nid parmi les collines pittoresques. Au moment où les Montefiore y arrivent, les 4 000 Juifs de Safed représentent au moins la moitié de la population totale.
A Safed, ils visitent l’impressionnant bâtiment Abuhov datant du 16e siècle. Toutes sortes d’histoires entourent l’édifice qui, selon la légende, aurait d’abord été érigé en Espagne ou au Portugal par le rabbin Yitzhak Abuhov.
Selon une version, des élèves du célèbre rabbin qui vivaient à Safed firent un rêve collectif peu après la mort de celui-ci en Espagne. Dans ce rêve, le rabbin se plaignait auprès de ses élèves que sa synagogue était entourée d’églises. Après leur réveil, les élèves prièrent ensemble, et le lendemain, la synagogue apparut miraculeusement à Safed.
Passant un après-midi à rassembler des informations sur les perspectives agricoles en Galilée, Montefiore discuta avec le rabbin Avraham Dov. Le rabbin Dov avait fait figure de père spirituel de la synagogue ashkénaze de Safed à des périodes très douloureuses. Parmi les drames qui avaient frappé la communauté, un massacre en 1834 qui avait duré plus de 30 jours et un tremblement de terre dévastateur en 1837.
Au cours de leur rencontre, le rabbin Dov transmit à Montefiore une pétition signée lui demandant d’acheter des terres à labourer pour les Juifs, et Montefiore accepta de faire tout ce qu’il pouvait pour les aider à en acheter là où ils pourraient établir des exploitations. (Montefiore a tellement bien réussi dans sa mission qu’il posa les bases de l’implantation juive agricole moderne en Terre d’Israël).
Bien au-dessus de Safed
Un jour, Montefiore et Judith visitèrent une ferme juive du 19e siècle, la première du pays de l’époque moderne. Celle-ci était située juste autour de Safed sur le mont Meron, qui était alors le sommet le plus haut du territoire. Elle appartenait à Israël Bak, qui avait immigré d’Ukraine vers la Palestine en 1831. Il s’était installé à Safed et y avait établi la première imprimerie hébraïque du pays depuis plus de 200 ans.
En 1834, il démarra une exploitation florissante, mais le tremblement de terre de 1837 et d’autres calamités ont empêché l’activité de continuer. Déserté en 1840, le site s’appelle aujourd’hui Hirbet (ruine) Bak. Il se situe le long d’un sentier naturel au nord du pays.
Onze sages juifs sont enterrés au mont Meron, et ce jour-là, les Montefiore visitèrent au moins deux de ces tombes. Une d’elle appartient au rabbin Shimon Bar Yochai, un sage du deuxième siècle célèbre pour avoir écrit un livre majeur sur le mysticisme juif.
En l’an 135, les Romains répriment une révolte juive contre leur règne en Terre sainte. Le rabbin Bar Yochai ne pouvait pas accepter les Romains comme chefs légitimes et critiquait leurs décrets anti-juifs. Une condamnation à mort au-dessus de la tête, il part avec son fils vers la ville voisine de Peki’in – la seule ville en Terre d’Israël à avoir maintenu une présence juive continue au cours des deux derniers millénaires. Le rabbin et son fils se cachent alors dans une grotte pendant 13 ans, consommant les caroubes d’un arbre garant d’une nourriture infinie et buvant de l’eau d’une source apparue miraculeusement.
Lag BaOmer est une fête célébrée en mai qui marque l’anniversaire du décès de Bar Yochai. A l’époque, des centaines de milliers de Juifs du monde entier se rendaient en masse sur sa tombe. Selon la tradition, les demandes effectuées ce jour-là sont toujours exaucées.
Le deuxième arrêt du couple fut au tombeau d’Hillel. Un sage du premier siècle qui était particulièrement tolérant dans ses interprétations de la loi juive, on se souvient de lui pour avoir inventé la Règle d’Or : « Ne fais pas aux autres, ce que tu n’aimerais pas que l’on te fasse ». Il a également déclaré l’une de nos phrases préférées : « Ne jugez pas quelqu’un d’autre jusqu’à ce que vous vous trouviez à sa place ».
De Safed, le couple prit la direction de Tibériade. Ils y passent la nuit dans la maison du grand-rabbin Haim Nissim Aboulafia, probablement un descendant de Haim Aboulafia, arrivé à Tibériade depuis la Turquie en 1740 à l’âge de 80 ans.
Ce dernier était venu à Tibériade à l’invitation de Daher el Omar, un cheikh bédouin qui régnait sur la Galilée au milieu du 18e siècle. Bien conscient qu’il avait besoin d’une structure financière s’il voulait que Tibériade se développe, Daher el Omar proposa au rabbin un logement et la possibilité d’avoir une synagogue s’il faisait avancer les choses. Haim Aboulafia fit venir sa famille et 10 étudiants, et, en 1782, construisit la célèbre synagogue Etz Haim. En quelques décennies, la famille Aboulafia fut rejointe par un grand nombre de Juifs polonais.
A l’ombre d’oliviers centenaires
Il fallut plusieurs jours à Montefiore et Lady Judith pour arriver ensuite à Jérusalem. Ils passèrent plusieurs nuits dehors en plein air (dans des tentes, bien sûr).
Ils dormirent ainsi une nuit dans un camp à proximité de la ville de Samarie de Sinjil. Le nom fait probablement référence à un chevalier des Croisades qui avait campé ici avec ses soldats en 1099. Né en France dans la ville de Saint-Gilles, il était profondément religieux et enthousiaste à l’idée de participer au siège et à la prise de Jérusalem, y compris au massacre des habitants juifs et musulmans de la ville qui suivit.
En raison de la peste qui faisait encore des ravages dans l’enceinte de Jérusalem, le couple lança une affaire sur le mont des Oliviers. De ce point stratégique, ils jouissaient d’une vue fantastique sur la Vieille Ville à travers le lit de la rivière. Les oliviers étaient tellement anciens que certaines personnes pensent qu’ils avaient été témoins de l’agonie de Jésus de Nazareth lors de son dernier soir sur Terre (Bible chrétienne, Marc 14. 32-36).
Un jour, le couple traversa la vallée du Kidron, visitant monuments impressionnants et anciennes tombes. Le lendemain, ils s’aventurèrent dans le site traditionnel du Tombeau de David (le mont Sion, en dehors des murs de la Vieille Ville).
Ils entrent enfin dans Jérusalem le 12 juin. Après des visites et des prières dans plusieurs synagogues, ils retournent au mont des Oliviers. Ils passent les quelques jours suivants à Hébron et au Tombeau des Patriarches. Le 20 juin, ils entament le voyage du retour vers Beyrouth.
Ce n’est donc pas par hasard que de nombreux villages, villes, quartiers et rues en Israël portent le nom de Moïse Montefiore. Il en est ainsi pour la Place du moulin à vent, un splendide point de vue et une belle promenade dans Jérusalem situés juste au-dessus de Mishkenot Shaananim et Yemin Moshé, et juste à côté de son moulin historique – restauré, il y a quelques années, dans son état original.
Pendant longtemps, l’intérieur du moulin abritait un petit musée fascinant sur la vie et l’œuvre de Montefiore. Aujourd’hui, pourtant, le moulin à vent de Jérusalem abrite une salle de dégustation d’une exploitation viticole de Jérusalem qui vend, entre autres bouteilles, les Vins du Moulin !
Nous avons entendu dire que Montefiore buvait une bouteille de vin par jour : peut-être est-ce là le secret pour une vie longue et exceptionnelle qui ne prit fin qu’à l’âge de 101 ans.
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Aviva Bar-Am est l’auteur de sept guides en anglais sur Israël.
Shmuel Bar-Am est un guide officiel qui propose des tours privés, sur-mesure en Israël pour des individus, des familles et des petits groupes.
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