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Analyse

Les protestations après la mort d’un critique d’Abbas reflètent la crise de l’AP

La mort de Nizar Banat, qui aurait été battu à mort en détention par l'Autorité palestinienne, a été "la goutte d'eau" pour certains Palestiniens, selon un ancien ministre

Un homme se tient debout, la poitrine dénudée, lors d'affrontements entre des manifestants palestiniens et les forces de sécurité palestiniennes dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 26 juin 2021, à la suite d'une manifestation contre la mort du militant des droits de l'homme Nizar Banat, alors qu'il était détenu par les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne (AP) en début de semaine. (ABBAS MOMANI / AFP)
Un homme se tient debout, la poitrine dénudée, lors d'affrontements entre des manifestants palestiniens et les forces de sécurité palestiniennes dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 26 juin 2021, à la suite d'une manifestation contre la mort du militant des droits de l'homme Nizar Banat, alors qu'il était détenu par les forces de sécurité de l'Autorité palestinienne (AP) en début de semaine. (ABBAS MOMANI / AFP)

C’était un spectacle rare : des centaines de Palestiniens appelant à la fin du règne de 16 ans du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, à quelques centaines de mètres de son bureau à Ramallah.

״Sors, sors, laisse-nous », scandaient les manifestants à l’attention du président en défilant dans le centre-ville de la ville de Cisjordanie, samedi.

Des rangées de policiers anti-émeutes, brandissant de longues matraques et des boucliers en plastique, ont frappé certains manifestants qui cherchaient à s’approcher du bureau du président de l’Autorité Palestinienne. Des rangs d’officiers en civil ont suivi, se faufilant dans la foule pour arrêter les manifestants, parfois violemment.

Le siège du pouvoir de l’Autorité palestinienne est rarement le théâtre de grandes manifestations contre sa direction. Les derniers grands rassemblements remontent à 2019, lorsque des milliers de Palestiniens se sont réunis pour protester contre la loi controversée de l’Autorité Palestinienne sur la sécurité sociale.

Mais la frustration monte depuis des mois. Et la mort du célèbre militant Nizar Banat – qui aurait été battu violemment alors qu’il était détenu par l’Autorité Palestinienne – a suffi à déclencher une vague de manifestations à Ramallah et à Hébron.

Contrairement à l’habitude, les manifestants ont directement appelé à l’éviction d’Abbas, et non à une réforme. « Le peuple veut la chute du régime », ont-ils scandé, un slogan qui rappelle les révolutions arabes de 2011.

Des manifestants en colère portent des photos de Nizar Banat, un critique virulent de l’Autorité palestinienne, et scandent des slogans contre l’Autorité palestinienne lors d’un rassemblement pour protester contre sa mort, dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, le 24 juin 2021. (Crédit : AP Photo/Nasser Nasser)

« Ce sont des cris sans précédent. Nous avons vu des protestations dans le passé contre les détentions politiques, pour les droits de l’homme, contre la corruption – mais rien de comparable à ce que nous avons vu lors des dernières manifestations. C’est dangereux », a déclaré Hatem Abd al-Qader, membre du Conseil révolutionnaire du Fatah, au Times of Israël.

Le mouvement ne s’est pour l’instant pas étendu au delà de Hébron et de Ramallah au reste de la Cisjordanie. Hébron est généralement considérée comme un bastion du Hamas, rival d’Abbas, tandis que Ramallah a connu des manifestations beaucoup moins importantes, rassemblant des centaines et non des milliers de participants.

Les manifestants reflètent un large éventail d’opposants à l’Autorité Palestinienne : des islamistes ultraconservateurs qui cherchent à restaurer le califat islamique, des militants du groupe terroriste Hamas, des libéraux de la société civile qui espèrent réformer l’AP, et des militants de gauche qui s’opposent à l’AP par principe.

Nizar Banat, critique virulent de l’Autorité palestinienne, s’adresse aux journalistes depuis sa maison familiale, à Hébron, en Cisjordanie, le 4 mai 2021. (AP / Nasser Nasser)

Banat, un militant de 44 ans originaire de Dura, près d’Hébron, communiquait sur les réseaux sociaux et avait développé un public fidèle sur sa page Facebook. Il mettait en ligne de simples vidéos dans lesquelles, assis devant un mur blanc, il dénonçait l’Autorité palestinienne.

Banat s’en prenait à l’ensemble de l’échiquier politique palestinien, du mouvement Fatah d’Abbas au groupe terroriste du Hamas. Son style était caustique et colérique, souvent carrément provocateur. Il était également un opposant résolu d’Israël, comparant le sionisme aux éphémères royaumes des Croisés ; un jour, jurait-il, l’État israélien tomberait également.

Ses préoccupations ont trouvé un écho chez les Palestiniens ordinaires. Nombre d’entre eux considèrent l’Autorité Palestinienne comme corrompue, autocratique et inefficace pour réaliser leur rêve d’un État indépendant.

« Le sentiment qui prévaut aujourd’hui au sein d’une grande partie du peuple palestinien est qu’il n’a pas lutté et fait des sacrifices sur le chemin de la libération pour créer un régime autoritaire qui restreint la liberté d’expression et les libertés de ses citoyens », a écrit l’analyste politique palestinien Jihad Harb au lendemain de l’assassinat de Banat.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase

Ces frustrations coulent sous la surface depuis des années. Mais la mort de Banat survient alors que l’Autorité palestinienne est confrontée à une crise de légitimité qui semble s’aggraver de jour en jour.

« La mort de Banat est la goutte d’eau qui a fait déborder le vase », a déclaré Ashraf al-Ajrami, un responsable du Fatah et ancien ministre de l’Autorité Palestinienne, lors d’un appel téléphonique.

En avril, Abbas a reporté à une date indéfinie les élections palestiniennes prévues, qui auraient été les premières en 15 ans, les annulant de fait. M. Abbas a reproché à Israël de ne pas donner officiellement aux Palestiniens le champ libre pour organiser le vote à Jérusalem-Est.

La plupart des observateurs – dont Banat – pensent que la véritable raison est la crainte d’Abbas de perdre du terrain face à ses propres rivaux au sein du Fatah et du Hamas. Les rivaux d’Abbas au sein du Fatah bénéficiaient d’un soutien important, tandis que le Hamas recueillait à l’époque environ 8 % des voix.

« Ils se sont dit que la rue les punirait. Ils se sont donc rabattus sur cette idée de Jérusalem » afin d’éviter la tenue du vote, a déclaré Banat à la télévision officielle du Hamas, Al-Aqsa TV, au lendemain de l’annulation de l’élection.

Des manifestants palestiniens affrontent les forces de sécurité palestiniennes dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie , le 26 juin 2021, à la suite d’une manifestation contre la mort du militant des droits de l’homme Nizar Banat. (Crédit : Ahmad GHARABLI / AFP)

Les allégations de corruption à l’encontre de l’Autorité Palestinienne ont pris un ton plus aigu pendant la pandémie de coronavirus. En mars, la Cisjordanie a été secouée par un scandale lorsqu’il est apparu que des responsables de l’AP s’étaient approprié des vaccins pour les mettre à la disposition de hauts fonctionnaires et de leurs proches.

La popularité du Hamas a également progressé. Le statut du groupe terroriste a fortement augmenté depuis le conflit de 11 jours entre le Hamas et Israël le mois dernier. Les Palestiniens qui faisaient la fête dans le centre-ville de Ramallah après le cessez-le-feu arboraient des drapeaux verts associés au Hamas – au cœur même du siège du pouvoir de l’Autorité Palestinienne.

De nombreux Palestiniens ont considéré les actions du Hamas pendant la guerre comme une résistance efficace à Israël, même si l’AP est restée silencieuse. Selon une enquête récente de l’institut de sondage Khalil Shakiki, environ 75 % des Palestiniens ont approuvé les performances du Hamas pendant la récente guerre ; et seuls 8 % ont déclaré qu’Abbas avait bien agi.

L’analyste politique Harb a qualifié les événements de mai de « tremblement de terre » qui a conduit à « un recul significatif de l’opinion des citoyens sur l’Autorité [palestinienne] au pouvoir ».

« Ignorer la question, ou la considérer comme une simple tempête dans une tasse de thé qui se dissipera comme les incidents précédents – je pense que c’est une approche limitée et naïve », a déclaré Harb.

Des manifestants palestiniens affrontent les forces de sécurité palestiniennes dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie , le 26 juin 2021, à la suite d’une manifestation contre la mort du militant des droits de l’homme Nizar Banat. (Crédit : Ahmad GHARABLI / AFP)

Le Hamas a vu dans les manifestations liées à la mort de Banat une occasion de créer un nouveau chaos en Cisjordanie, a déclaré M. al-Ajrami.

Les protestations ont été accueillies par un silence retentissant de la part des dirigeants de Ramallah. Ni Abbas ni aucun haut responsable de l’Autorité Palestinienne n’ont discuté publiquement de la question, alors que des milliers de manifestants sont descendus dans la rue et que l’indignation montait sur les médias sociaux.

Le conseiller principal d’Abbas, Hussein al-Sheikh, qui fait office d’envoyé officiel de l’AP en Israël, a été le seul à faire implicitement référence aux événements, sans mentionner le nom de Banat.

« La loi, l’ordre et la transparence sont obligatoires, et ils garantissent la protection de tous les Palestiniens et la préservation du tissu politique, social et national. Personne n’est au-dessus de la loi », a tweeté al-Sheikh samedi.

Al-Ajrami, l’ancien ministre de l’AP, a déclaré que les manifestations allaient probablement se calmer rapidement.

« La situation est toujours sous contrôle, et l’affaire pourrait se terminer dans quelques jours, en supposant qu’il n’y ait pas de surprises », a déclaré Al-Ajrami.

Mais Abd al-Qadir a affirmé que la réponse des dirigeants – qui a consisté à disperser violemment les rassemblements de Ramallah – enflammait une situation déjà tendue.

« C’est de l’idiotie politique. Dès le début, il aurait dû y avoir des déclarations du [Premier ministre de l’AP] Mohammad Shtayyeh, de Mahmoud Abbas, pour absorber la colère des Palestiniens. Au lieu de cela, ils l’augmentent en réprimant les manifestations », a déclaré Abd al-Qadir.

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