Les réfugiés du sud d’Israël pas encore prêts à retourner chez eux
Près de 14 000 Israéliens vivent dans une vingtaine de kibbutzim, des communautés rurales animées par le principe socialiste, le long de la frontière avec Gaza

Dans les localités israéliennes frontalières de Gaza, la guerre a transformé les maisons en champ de bataille et les champs en taupinières pour les tunnels du Hamas. Chez leurs habitants, après des semaines d’exil, la peur l’emporte sur l’envie de revenir.
Au premier jour de l’opération « Bordure Protectrice » lancée début juillet par Israël sur l’enclave palestinienne, Hedva Gabriel, 33 ans, a pris ses deux enfants sous le bras, jeté quelques affaires dans le coffre de sa voiture et foncé en direction du désert, dos à Gaza, dos à sa maison et à sa raison de vivre, la communauté agricole de Nahal Oz, un kibbutz à la frontière avec Gaza, devenu synonyme de « terreur » en Israël.
C’est à Nahal Oz qu’un commando de combattants palestiniens s’est infiltré le 28 juillet par un tunnel pour abattre cinq soldats. Les habitants ont reconnu leurs champs de céréales sur l’impressionnante vidéo de l’opération postée par la branche armée du Hamas sur Internet.
« On nous a pris notre +chez-nous+ pour en faire le champ de bataille de cette guerre », résume la jeune mère qui a trouvé refuge à Révivim, un kibbutz situé loin des combats, au milieu du désert du Néguev (sud) et à l’atmosphère surannée.
Trois jeunes familles de Nahal Oz s’y sont installées depuis plus d’un mois, posant valises, poussettes et matelas en mousse dans les maisonnettes inoccupées et les salles vacantes du village, sous le regard compatissant des membres du kibbutz Révivim qui ont vu passer plusieurs guerres et leurs cohortes de déplacés.
‘Gardiens de la terre’
Le long de la frontière avec Gaza, près de 14 000 Israéliens vivent dans une vingtaine de kibbutz, des communautés rurales animées par le principe socialiste de mise en commun de la production et des biens mais aussi par l’idéologie sioniste qui leur confère, depuis la création d’Israël en 1948, le rôle de gardiens de la terre et des frontières.
Pourtant, pendant la guerre, une majorité d’entre eux a préféré fuir, confiant leurs maisons et leurs jardinets à l’armée qui y a installé ses campements. A Nahal Oz, un tiers des kibbutzniks refuse toujours de revenir.
Ceux réfugiés à Révivim, tiennent chaque midi conseil sur la pelouse du réfectoire. Et chaque jour depuis cinq semaines, ils arrivent à la même conclusion : ils ne peuvent pas rentrer.
« Les seuls que l’on peut croire dans cette guerre c’est le Hamas, ils avaient dit qu’ils tireraient (des roquettes), ils ont fait ce qu’ils avaient dit », ironise Hedva les dents serrées par la colère.
‘Des canards dans un stand de tir’
Malgré la pause dans les combats et les négociations au Caire entre Israéliens et Palestiniens pour pérenniser la trêve, ces familles ne veulent plus prendre le risque d’espérer.
Vendredi, lors du cessez-le-feu humanitaire négocié après le départ des chars de Tsahal, l’armée les avait autorisés à revenir chez eux. Ils sont revenus. Ils ont été accueillis par des missiles. Ils sont repartis.
« On s’est réveillés un matin, l’armée s’était évaporée pendant la nuit alors que la guerre continuait et qu’on nous tirait dessus comme jamais. On était censés être là-bas à se promener comme des canards dans un stand de tir ? », s’énerve Justin Becker, le sanguin de la bande.
Cet éleveur porte un tee-shirt usé arborant un dessin de vache broutant sous les roquettes, le cynique emblème de Nahal Oz, où il se rend encore chaque jour malgré la guerre pour « tenir les murs ».
Si Justin veut se battre pour faire revenir sa famille à la maison en sécurité, sa femme Ella Becker envisage, elle, d’abandonner ce lieu ou elle est née et a grandi, tout comme ses parents. « Même sans la guerre nous vivons toujours dans la peur constante de nos voisins », explique-t-elle.
Aujourd’hui les habitants du sud estiment que leur sécurité a été bradée par la fin jugée trop prématurée de l’opération.
Leur mobilisation commence, quand celle de l’armée s’achève, à contre-temps et surtout pour l’honneur.