Libye: l’art du filigrane renaît dans la médina de Tripoli
Mouammar Kadhafi avait combattu le secteur privé, expropriant entreprises et commerces et les artisans, à leur compte, avaient tout perdu, rompant avec des siècles de tradition
Sautoirs, bagues ou fibules… de jeunes Libyens entortillent de délicats fils d’argent puis les soudent pour créer des bijoux traditionnels sous l’oeil averti de leur maître, engagé dans le sauvetage d’un artisanat en voie de disparition en Libye.
A 12 ans, Abdelmajid Zeglam, cadet des élèves de l’Académie libyenne des métiers d’artisanat de l’or et de l’argent (ALMA), est déjà un artisan confirmé dont les ouvrages filigranés, d’une minutie exceptionnelle, sont applaudis par ses pairs.
« J’ai hésité au début de peur d’échouer en raison de mon jeune âge mais ma mère m’a encouragé », confie timidement à l’AFP le jeune garçon, les mains sans cesse en mouvement.
Comme ses camarades, il a « étudié les alliages de l’or et de l’argent avant de fabriquer des bijoux », une activité que cet élève de 6e « aime beaucoup » et compte perfectionner pour en faire un travail à mi-temps. « Je veux devenir ingénieur pétrolier le matin, artisan l’après-midi », explique-t-il.
Comme lui, une vingtaine d’élèves, dont neuf femmes, fréquentent l’atelier qui n’occupe que quelques mètres carrés dans ce qui fut l’ancien consulat de France sous l’empire Ottoman, non loin de l’Arc de Marc Aurèle, le plus célèbre vestige romain de Tripoli.
« C’est un loisir mais à l’avenir je veux en faire mon métier », confie Mohamad al-Miloudi, 22 ans, casquette vissée sur la tête.
Etirant et torsadant de longues et fines lanières d’argent, cet étudiant en génie civil ne manque pas un seul cours depuis son inscription.
« L’art du filigrane est une vieille tradition en Libye où les bijoux en or et en argent étaient fabriqués par les artisans de la médina de Tripoli, formés par les maîtres juifs puis arabes de la prestigieuse Ecole des Arts et des Métiers », fondée à la fin du 19e siècle, explique Abdelnasser Aboughress, qui dirige l’ALMA.
Né au coeur de la médina il y a 55 ans, M. Aboughress a 40 ans de métier et un savoir-faire hérité de son père qu’il veut transmettre aux jeunes générations.
« Peine »
A son arrivée au pouvoir en 1969, l’ancien dirigeant Mouammar Kadhafi avait combattu le secteur privé, expropriant entreprises, commerces et habitations.
Du jour au lendemain, les artisans, travaillant à leur compte, ont tout perdu : leurs ateliers, leur gagne-pain et leurs élèves. En baissant le rideau, ils ont rompu avec des siècles de tradition.
« L’Etat a réduit à néant l’artisanat libyen, forçant la génération de jeunes apprentis qui devaient assurer la relève à quitter les métiers traditionnels pour intégrer l’armée » ou devenir fonctionnaire, se souvient le quinquagénaire, en triant marteaux et burins.
« La plupart des métiers traditionnels ont disparu », surtout ceux de l’or et de l’argent qui furent la fierté des Tripolitains, fournisseurs de bijoux et ornements aux autres régions.
« Des bijoux et accessoires importés d’Egypte ou de Chine, de piètre qualité, ont alors inondé le marché », regrette M. Aboughress, tandis que les derniers bijoux anciens étaient vendus dans des boutiques prisées des touristes et expatriés.
Pour Fatima Boussoua, la quarantaine, voir au fil des années des centaines de kilos de bijoux quitter le pays pour être souvent refondus hors de Libye « fait de la peine » car « c’est toute une partie de l’héritage artisanal libyen qui disparaît ».
Relève
« Nous devons rapidement former des artisans pour préserver notre patrimoine », préconise cette dentiste de profession, en formation à l’ALMA depuis plus d’un an. Cet artisanat est un hobby et même une « passion » pour la professeure universitaire.
Devenir artisan confirmé dans l’art du filigrane implique des années d’apprentissage. Mais grâce à l’enthousiasme que leur transmet leur maître, les élèves d’Abdelnasser Aboughress produisent déjà des bijoux vendus en ligne ou dans l’atelier.
« Nous avons ce qu’il faut pour assurer la relève (…), il suffit seulement de gens passionnés », souligne Mme Boussoua, tout en jugeant également nécessaires un « appui financier » pour se procurer des matières premières coûteuses, et un « appui moral » pour que ce métier retrouve sa gloire d’antan.
M. Aboughress ne veut pas s’arrêter au petit atelier de la médina et compte « ouvrir des centres de formation dans d’autres villes et régions » de Libye.
Car, dit-il, « il est temps de faire revivre ce métier » avant qu’il ne disparaisse à jamais.