Libye : Paris maintient la pression pour des élections en décembre
Faute d'un pouvoir central structuré, Tripoli est devenu une plaque tournante du trafic de migrants vers l'Europe et demeure un repaire pour les groupes jihadistes
Le chef de la diplomatie française Jean-Yves Le Drian a fait le tour des principaux responsables politiques lundi en Libye pour pousser à des élections en décembre dans ce pays en proie au chaos depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2001.
« A Paris, les responsables libyens se sont engagés à tenir des élections présidentielle et législatives suivant un calendrier précis, d’ici la fin de l’année », a-t-il martelé à l’issue d’un entretien avec le chef du Gouvernement d’union nationale (GNA), Fayez al-Sarraj, à Tripoli.
« C’est ce à quoi aspirent les citoyens libyens (..) C’est le chemin à suivre et je suis venu rappeler ces engagements et ce calendrier à ceux qui les ont pris et partager cette démarche avec ceux qui n’étaient pas à Paris le 29 mai », a souligné le ministre français des Affaires étrangères.
Sept ans après l’intervention militaire occidentale, la Libye reste plongée dans l’instabilité, avec deux autorités politiques rivales, le GNA à Tripoli, reconnu par la communauté internationale, et un cabinet parallèle dans l’est du pays, soutenu par le maréchal Khalifa Haftar.
Jean-Yves Le Drian s’est rendu dans le fief de chacun des protagonistes de l’accord de Paris. Outre M. Sarraj et le président du Conseil d’Etat (chambre haute), Khlaled al-Mechri, à Tripoli, il a rencontré le maréchal Haftar à son QG de Benghazi (est) et le président de la Chambre des représentants, Aguila Salah, à Tobrouk (est), à 1 200 km de la capitale.
Les quatre responsables se sont engagés à organiser des élections le 10 décembre et à réunifier les institutions du pays, à commencer par la banque centrale, gardienne des ressources tirées du pétrole.
« Aucune inquiétude »
Le « parlement de Tobrouk » doit au préalable adopter une « base constitutionnelle », définissant les pouvoirs du président, et des lois électorales d’ici au 16 septembre, en vue d’un référendum, sur la base du projet proposé par l’Assemblée constituante en juillet 2017.
« J’ai entendu la grande détermination du président Salah (…) Je n’ai aucune inquiétude ni sur sa détermination ni sur le calendrier des différentes échéances à venir », a assuré le ministre à Tobrouk.
Jean-Yves Le Drian a aussi fait étape à Misrata, une ville côtière à 200 kilomètres à l’est de Tripoli qui compte des milices parmi les plus puissantes du pays et n’avait pas été associée au processus de Paris. Il y a rencontré le maire Moustafa Kerouad, des élus locaux et des parlementaires.
La France « appuie les efforts de tous ceux » qui oeuvrent pour des élections, a insisté M. Le Drian qui effectuait sa troisième déplacement en Libye. Il a annoncé une contribution française d’un million de dollars (850.000 euros) pour l’organisation des scrutins.
L’initiative française suscite la méfiance des groupes hostiles à Khalifa Haftar, qui estiment que Paris n’est pas « neutre » et soutient le maréchal, perçu par la France comme un rempart contre le terrorisme avec son « armée nationale libyenne » autoproclamée.
« La France soutient l’ensemble des forces libyennes qui luttent contre le terrorisme partout sur le territoire (…) Ce combat nous continuons de le mener ensemble », a répliqué M. Le Drian qui a rencontré à Tripoli des unités militaires antiterroristes sous contrôle du GNA.
« Déperdition »
Faute d’un pouvoir central structuré, la Libye est devenue une plaque tournante du trafic de migrants vers l’Europe et demeure un repaire pour les groupes jihadistes, à commencer par Al-Qaïda au Maghreb islamique dans le sud du pays.
Pour tenter de la stabiliser, la France fait le pari des élections et joue sa propre partition au risque de braquer d’autres pays impliqués en Libye, Italie en tête.
Acteurs politiques et milices continuent aussi à se disputer le contrôle du pays, rendant incertaine toute échéance électorale.
Fin juin, les deux autorités rivales se sont livrées à un bras de fer autour du contrôle de terminaux pétroliers tout juste repris par les hommes de l’ANL à un chef militaire local.
Au fil de ces rebondissements, « il y a un phénomène de déperdition par rapport à l’ambition affichée le 29 mai », estime Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye.
Les milices qui craignent de perdre la main sur certaines ressources pourraient aussi être tentées de perturber la tenue d’élections.
Les pays « parrains » des différentes forces en présence – Emirats arabes unis et Egypte soutiennent le maréchal Haftar, Qatar et Turquie certains groupes islamistes – ont aussi leur propre agenda, tout comme l’Italie, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, parfois concurrents.