L’inversion du vieillissement chez les poissons applicable aux humains ?
Des chercheurs de l'Université hébraïque sont parvenus à faire vivre plus longtemps et rendre résistants aux pathologies de l'âge des poissons mâles africains
Un poisson originaire du Mozambique et du Zimbabwe qui ne vit normalement pas plus de six mois est étudié par des scientifiques israéliens à la recherche des moyens d’améliorer la santé d’une humanité de plus en plus âgée.
En manipulant génétiquement le killi turquoise, le Dr Itamar Harel et ses collègues de l’Institut Silberman des sciences de la vie de l’Université hébraïque de Jérusalem commencent à comprendre les mécanismes à l’œuvre dans la restauration de la santé métabolique des vertébrés (organismes dotés d’une colonne vertébrale) et la préservation d’une bonne santé à mesure qu’ils vieillissent. Les chercheurs de l’Université hébraïque de Jérusalem ont d’ailleurs publié une étude sur ce point dans la revue Developmental Cell de juin.
Harel espère que ses travaux de laboratoire sur la biosynthèse énergétique au niveau cellulaire chez les killifish et d’autres vertébrés permettront le développement de médicaments, en particulier pour les personnes âgées atteintes de maladies le plus souvent causées par la moindre capacité du corps à répondre correctement à la disponibilité des nutriments au niveau cellulaire.
Ainsi, le diabète de type 2 est-il fréquent chez les personnes âgées, car elles ont plus de difficulté à contrôler leur glycémie. Lorsqu’un jeune mange, son taux de glucose augmente puis diminue assez rapidement. Et lorsqu’un jeune jeûne, sa glycémie diminue, là où les personnes âgées ont des taux plus élevés de sucre dans le sang, même après un jeûne.
« Cette incapacité à réguler les niveaux de sucre, comme la moindre plasticité du métabolisme, est l’une des principales causes de nombreuses pathologies liées à l’âge, et pas seulement le diabète. C’est vrai aussi pour le déclin cognitif », précise Harel.
Il explique au Times of Israel avoir décidé d’étudier les killi parce que ce sont des vertébrés d’une espérance de vie extrêmement brève. Enormément d’études ont été menées ces trente dernières années sur des invertébrés comme le ver C. elegans ou la mouche Drosophile, avec des résultats très significatifs.
« Mais pour étudier le vieillissement des vertébrés, il est préférable de le faire sur des vertébrés. Un organisme vieillissant est un organisme vieillissant : si l’on trouve quelque chose chez un animal, il y a de fortes chances pour que cela s’applique à l’ensemble du règne animal. C’est du moins ce que l’on a vu jusqu’à présent. Mais il existe des phénomènes clés inhérents aux seuls vertébrés : c’est sur cela que porte notre étude », explique Harel.
Jusqu’alors, les modèles vertébrés classiques étaient des poissons zèbres ou des souris, avec une espérance de vie respective de cinq et deux à trois ans ans. Or, Harel voulait aller plus vite.
« C’est pourquoi nous travaillons avec le killi turquoise, un vertébré qui a une durée de vie six mois. Ainsi, nous pouvons faire beaucoup d’expériences assez rapidement », précise-t-il.
Harel s’est particulièrement penché sur une enzyme appelée AMPK (AMP-activated protein kinase), qui régule l’énergie au sein des cellules. Elle détecte les niveaux d’énergie et décide s’il faut un surplus rapide d’énergie pour croître, ou s’il est préférable d’économiser l’énergie en recyclant des molécules existantes.
Les chercheurs ont découvert que l’activation de l’AMPK prolongeait la durée de vie de la mouche Drosophile, mais pas de la souris, chez laquelle cela induisait au contraire des pathologies.
Harel explique être parti du postulat que le problème était lié au fait que l’AMPK est une enzyme complexe, composée de plusieurs protéines, et que chaque organe en a une version différente.
« Nous nous sommes dit, OK, c’est peut-être l’explication, mais c’est peut-être trop compliqué d’affiner cela in vivo. Nous avons donc décidé de continuer, mais sans passer par la manipulation génétique de l’AMPK. Nous avons muté une copie du gène APRT, qui code une enzyme qui elle-même fabrique l’AMP à partir de l’adénine », précise Harel.
L’AMP (adénine monophosphate) est le précurseur de l’ATP (adénosine triphosphate), qui fournit l’énergie au corps. Par le biais de cette mutation, les chercheurs inhibent la capacité de la cellule à produire de l’AMP, afin qu’elle « pense » qu’il y a moins d’énergie disponible et qu’il lui faut jeûner, alors même qu’il y a beaucoup de nourriture disponible.
En manipulant les composants de la production d’énergie, mais pas l’enzyme du capteur AMPK elle-même, l’équipe obtient des killi qui vivent plus longtemps que d’ordinaire, et qui montrent une meilleure résistance aux pathologies liées à l’âge.
« Ces « vieux mutants » étaient résistants à un régime riche en graisses, alors que ce dernier entraîne généralement une accumulation de graisse dans le foie. Ils avaient de faibles niveaux de glucose après le jeûne, comme les jeunes poissons : leur métabolisme était complètement rajeuni », explique Harel.
A leur grande surprise, ce rajeunissement n’affecte que le killi mâle. Quelque chose, au niveau moléculaire, entraîne des différences fonctionnelles entre mâles et femelles.
« Nous tentons dorénavant d’optimiser le processus chez les killi femelles. Nous avons également développé un modèle chez la souris et tentons actuellement de voir s’il est envisageable de développer un médicament capable de faire quelque chose de similaire chez l’homme », ajoute Harel.
Une étude approfondie de cette divergence de résultats selon le sexe est essentielle car de nombreuses maladies liées à l’âge se manifestent différemment chez les hommes et les femmes, et l’industrie pharmaceutique tient à ce que les nouveaux médicaments mis sur le marché soient testés sur les hommes et les femmes afin de bien en mesurer l’efficacité et les effets néfastes chez les deux sexes.
Harel ajoute que son objectif n’est pas nécessairement de prolonger la durée de la vie humaine, mais plutôt de permettre aux gens de vivre avec le moins de maladies possible à mesure qu’ils avancent en âge.
« Si un médicament était développé sur la base de ces recherches, il serait probablement prescrit aux personnes âgées ou gravement malades inéligibles au jeûne intermittent ou à l’exercice pour prévenir ou traiter des maladies métaboliques », conclut Harel. « Il ne serait pas prescrit à tort et à travers. On ne le mettrait pas dans l’eau comme on le fait avec le fluor. »