Loi sur la conscription : les haredim divisés
"Yair Lapid a échoué sur l'économie et il échouera également sur cette loi", prévoit le député Moshe Gafni
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël
Les dirigeants ultra-orthodoxes sont partagés sur la meilleure façon de répondre à la loi sur la conscription militaire, qui doit être prochainement votée à la Knesset.
Les dirigeants politiques du Shas – le plus grand parti ultra-orthodoxe, représenté par 11 députés à la Knesset – ont demandé aux chefs spirituels du parti, les rabbins du Conseil des Sages de la Torah, de rejeter les appels d’activistes haredim.
Ces activistes souhaitent organiser une « marche d’un million de personnes » contre la loi sur l’égalité dans la conscription. Le texte, approuvé la semaine dernière en commission, prévoit des sanctions pénales contre les ultra-orthodoxes si les quotas de haredim conscrits fixés par la loi ne sont pas respectés d’ici à mi-2017.
Les conseils rabbiniques de plusieurs courants ultra-orthodoxes se sont réunis lundi pour débattre de la réponse haredi à cette nouvelle loi, qui s’est attireé les foudres de divers milieux politiques et religieux.
Lors des délibérations, les dirigeants du Shas, dont le président du parti Aryeh Deri, ont insisté sur le fait que des manifestations de masse joueraient en faveur du principal avocat de la loi, le ministre des Finances et président de Yesh Atid Yair Lapid.
Lapid « attend la victoire », ont confié des dirigeants du Shas au site Internet ultra-orthodoxe Kikar Hashabat. « Nous ne pouvons pas la lui offrir. La nouvelle loi est une coquille vide. Ce genre de manifestations ne fera qu’aider les ennemis de la Torah », ont déclaré les sources.
La version la plus récente de la proposition de loi a dû faire face à de violentes critiques de la part de dirigeants haredim, en raison notamment d’une clause qui prévoit des sanctions pénales individuelles contre les ultra-orthodoxes tentant d’échapper à la conscription. Ces sanctions prendront effet si la communauté dans son ensemble ne parvient pas à respecter les quotas fixés par la loi.
Le texte a également été critiqué par les partisans de la conscription pour tous, car la mise en place des sanctions est repoussée à la mi-2017, soit après les prochaines élections législatives.
Les dirigeants du Shas ont tenu à préciser que la décision ultime de manifester ou non serait prise par la direction rabbinique du parti, expliquant qu’ils « exprimeraient [leur] opinion au Conseil des Sages de la Torah, mais ce que les géants d’Israël décident, nous le faisons ; nous sommes leurs émissaires. »
Le Shas, qui représente la communauté sépharade ultra-orthodoxe, a demandé aux autres partis et dirigeants haredis, notamment le député de Yahadut Hatorah Moshe Gafni, de faire campagne au sein de leurs communautés. Gafni est considéré comme proche du rabbin Aharon Leib Shteinman de Bnei Brak, l’un des principaux dirigeants de la communauté ultra-orthodoxe ashkénaze en Israël.
Gafni s’est lui aussi confié au site Kikar Hashabat samedi soir, expliquant qu’il « avait discuté [jeudi soir] avec le rabbin Shteinman de ‘la marche du million’. Ce n’est pas une question facile et ce ne sera pas moi qui prendrai la décision finale. La décision est entre les mains des Guedolei Hatorah [représentants de la Torah], mais je livre l’opinion [des dirigeants politiques] », a-t-il affirmé.
Gafni a également révélé ce qu’il avait conseillé aux chefs rabbiniques. « Yair Lapid ne retirera rien de cette loi. Il a échoué avec l’économie, et il échouera également ici », a-t-il annoncé. « Je n’ai pas peur de lui ; la seule chose qui peut faire augmenter son nombre de sièges [à la Knesset], c’est cette manifestation. A la prochaine élection, il brandira le nombre d’un million de personnes [manifestant contre la loi] et dira ‘j’étais le seul à les avoir combattus’. Et il le fera encore plus si jamais un manifestant lançait une pierre. »
Le consensus qui prend forme contre la manifestation devrait toutefois avoir du mal à convaincre les courants les plus conservateurs de la vie politique ultra-orthodoxe. A Jérusalem, des groupes haredim ashkénazes, tels que Eda Haredit, ont ouvertement exprimé leur volonté de combattre violemment l’adoption de la loi.
La semaine dernière, lors d’une visite en Israël, le rabbin antisioniste Aaron Teitelbaum de la secte Satmar s’en est pris au projet de loi, d’une façon plus violente que n’importe quel autre dirigeant haredi, mais a tenu des propos représentatifs des franges les plus extrêmes de la communauté ultra-orthodoxe.
« Les mécréants d’Israël se sont rassemblés pour essayer de nous couper de la Torah, et pour faire oublier [au peuple juif] Ta Torah », a-t-il affirmé.
« Nous Te promettons de rester loyal en chaque occasion, sacrifice corporel inclus. Nous irons en prison, nous recevrons des coups dans la joie, et nous ne nous détacherons pas de la Torah. Nous avons survécu à bien des années de diaspora, de l’Inquisition à Auschwitz, [mais] nos ancêtres et les ancêtres de nos ancêtres nous ont appris à sacrifier nos propres vies pour Toi et pour la sainte Torah. »
« Quoi qu’il arrive », a-t-il promis, « les mécréants d’Israël ne réussiront pas à nous séparer de Toi et de la Torah. » Evoquant l’armée, au sein de laquelle les dirigeants haredim estiment que les ultra-orthodoxes auront du mal à observer leurs pratiques religieuses, Teitelbaum a déclaré : « Nous n’irons pas dans un lieu qui sépare le peuple juif de la Torah. »