Londres: une actrice juive menacée ; lourde surveillance policière à la première de sa pièce
Tracy-Ann Oberman joue Shylock dans une nouvelle interprétation du « Marchand de Venise » de Shakespeare
En raison des menaces antisémites reçues en ligne par l’actrice principale, qui est juive, la police s’est déployée devant le théâtre de Londres dans lequel elle joue une pièce de Shakespeare.
Les représentants de Tracy-Ann Oberman ont demandé à la police londonienne d’intervenir pour la Première du « Marchand de Venise 1936 », qui a eu lieu la semaine dernière au Criterion Theatre, dans le district du West End, a indiqué une amie de l’actrice au journal britannique Daily Mail.
« Tracey est particulièrement nerveuse en ce moment – comme de nombreux autres Juifs – face au regain d’antisémitisme, un antisémitisme qui prend de l’ampleur et mêle colère envers les actions israéliennes à Gaza et attaques anti-juives » en Grande-Bretagne, a ajouté cette amie dont le journal ne révèle pas l’identité. « Elle est très reconnaissante à la police d’avoir pris place devant le théâtre, le soir de la Première ».
Le Royaume-Uni a enregistré une véritable recrudescence d’antisémitisme depuis le 7 octobre, date à laquelle le groupe terroriste du Hamas a mené un assaut meurtrier dans le sud d’Israël qui a fait près de 1 200 morts, essentiellement des civils. Israël a riposté par une campagne militaire dans la bande de Gaza dans le but annoncé de détruire le Hamas, l’écarter du pouvoir dans la bande de Gaza et libérer les 253 otages kidnappés par les terroristes au moment de l’attaque.
Oberman, qui dénonce avec force l’antisémitisme, interprète le rôle de Shylock qui, dans le texte original de Shakespeare, est un usurier juif au tempérament cupide. La pièce suscite depuis toujours la controverse à cause de ce personnage aux traits antisémites.
Cette toute nouvelle version du « Marchand de Venise » se déroule dans les années 1930, au moment où le fascisme se répand en Europe et arrive à Londres. Oberman a expliqué s’être inspirée de sa grand-mère pour interpréter Shylock, personnage devenu une femme héroïque, aux antipodes de la figure de l’ennemi.
La pièce s’est donnée au Swan Theater de Stratford avant de gagner le quartier des théâtres de Londres.
Selon la même source, après les représentations données à Stratford et les interviews accordées par Oberman avant la Première à Londres, la semaine passée, l’actrice a reçu un torrent d’insultes en ligne.
Des amis ont déclaré au Mail que ses représentants avaient contacté la police londonienne pour leur faire part de ses inquiétudes et demander une présence policière aux abords du théâtre le soir de la Première. Aucun incident n’a été signalé.
Samedi, Oberman a tweeté sur X : « Oh mon Dieu – nos @CriTheatreaudiences nous font pleurer à chaque représentation – les réactions et l’amour que je reçois vont au-delà de tout ce que j’aie jamais connu avec une pièce de théâtre. Ce message de tolérance et d’unité est plus que jamais nécessaire en ce moment, dans notre capitale. »
Jeudi dernier, elle a retweeté un message de l’utilisateur de X Stephen Gilchrist, spectateur de la pièce qui déplorait la nécessité d’une présence policière très médiatisée.
Gilchrist avait écrit : « Voilà à quoi nous sommes réduits. La police, pour assurer la sécurité des spectateurs attendant de pouvoir entrer dans le Criterion Theatre pour voir le Marchand de Venise de Tracey-Ann Oberman, de crainte de violences antisémites. Disons-le, T-A O est une héroïne tragique. »
La semaine dernière, un organisme consultatif juif britannique avait publié un rapport montrant que l’antisémitisme avait considérablement augmenté depuis le 7 octobre, faisant de 2023 la pire année pour l’antisémitisme au Royaume-Uni depuis 1984, date à laquelle les incidents ont commencé à être enregistrés.
Le nombre d’incidents antisémites au Royaume-Uni est de 4 103, soit plus du double du bilan 2022, dans un contexte de recrudescence des menaces, des discours de haine, des violences et des dégâts aux institutions et biens juifs, a déclaré le Community Security Trust.
Le CST, qui conseille les quelque 280 000 Juifs de Grande-Bretagne sur les questions de sécurité, a précisé que les deux tiers de ces incidents s’étaient produits à partir du 7 octobre.
Le CST avait enregistré 266 cas d’agressions violentes l’an dernier, un autre record historique, pour moitié dans des zones où vivent d’importantes communautés juives, notamment dans le nord de Londres et à Manchester, dans le nord de l’Angleterre.
En 2023, le Premier ministre britannique Rishi Sunak a accordé 3 millions de livres de subventions de plus au CST, chargé de la sécurité des institutions juives.
La police londonienne s’est engagée à prendre des mesures vigoureuses face aux crimes de haine liés au conflit entre Israël et le Hamas et a procédé à plus de 400 interpellations en ce sens le mois dernier.
En 2023 toujours, le gouvernement britannique avait annoncé l’allocation de 7 millions de livres sterling sur trois ans pour lutter contre l’antisémitisme au sein des écoles et des universités.