L’opération de police qui a failli empêcher la formation du gouvernement
Quelques heures avant le vote dimanche, la police a annoncé des évacuations dans un bastion du parti Raam, incitant un député à s'abstenir. Mais qui a ordonné l’opération ?
Une soudaine démonstration de force de la police dans une communauté bédouine dans le sud d’Israël a bien failli empêcher la formation du nouveau gouvernement israélien avant le vote de confirmation à la Knesset, a rapporté mercredi Zman Yisrael, site frère en hébreu du Times of Israel.
Les autorités ont apporté des explications contradictoires sur le timing de l’incident, qui a failli rompre l’alliance politique ténue – dirigée par le Premier ministre Naftali Bennett et le Premier ministre d’alternance Yair Lapid – parvenue au pouvoir dimanche, mettant fin aux douze années consécutives de mandat de l’ancien Premier ministre Benjamin Netanyahu.
La nouvelle coalition comprend le parti islamiste Raam, qui a quatre sièges, dont une grande partie de la base électorale est dispersée parmi les nombreux villages bédouins reconnus et non reconnus du désert du Néguev, dans le sud d’Israël.
L’entrée de Raam dans la coalition était sans précédent. Pendant des décennies, les partis arabes israéliens sont restés dans l’opposition. Les partis juifs les ont boycottés pour leurs opinions anti ou non-sionistes, et les partis arabes ont également évité de rejoindre les coalitions au pouvoir en raison de la politique israélienne envers les Palestiniens.
Raam s’est cependant décidé à franchir le pas, acceptant de rejoindre la coalition pour faire avancer des politiques et sécuriser des budgets bénéficiant à ses partisans. Mettre fin aux démolitions d’habitations et légaliser des villages bédouins du Néguev étaient des objectifs de campagne clés pour le chef du parti Raam Mansour Abbas.
Bien qu’il ait promis des financements généreux à ses électeurs, Abbas n’a réussi à arracher que relativement peu de concessions importantes de la part de la nouvelle coalition Bennett-Lapid. De nombreux membres de son parti espéraient que leur présence au gouvernement pourrait faire avancer à l’avenir les intérêts bédouins.
« Comme une opération militaire »
Dimanche, quelques heures à peine avant que le gouvernement de changement ne prête serment avec le soutien crucial de Raam, des policiers ont mené une opération dans le village bédouin légal de Bir Hadaj pour avertir les habitants que 30 structures qui avaient été construites sans permis seraient bientôt démolies. L’ampleur des démolitions annoncées a choqué les habitants.
« Nous n’avions rien vu de tel depuis des années – autant d’agents et de policiers », a déclaré Salman ibn Hamid, ancien membre du conseil municipal de Bir Hadaj, qui est maintenant directeur général du Conseil régional de Neve Midbar.
Ibn Hamid a déclaré que les agents patrouillaient de façon occasionnelle dans le quartier pour réprimer les violations sur les constructions, mais pas avec une telle ampleur. « C’était comme une opération militaire », a-t-il déclaré.
Au moins 80 000 Bédouins du désert du Néguev en Israël vivent dans des villages non reconnus par le gouvernement israélien. Les villages sont illégaux, et les résidents ne reçoivent généralement pas de services publics de base tels que l’eau et l’électricité.
Le gouvernement israélien affirme que les Bédouins des villages non reconnus squattent des terres publiques, tandis que les Bédouins militent depuis longtemps pour leur droit à rester où ils se trouvent.
Une grande partie des constructions dans ces villages sont illégales, car ces communes n’existent pas aux yeux de la loi. Cependant, même dans les villages bédouins reconnus tels que Bir Hadaj, les démolitions de maisons sont monnaie courante en raison d’un manque de mise à jour des plans urbains.
Cette démonstration de force de la police et la promesse de démolitions imminentes d’habitations à Bir Hadaj ont amené les résidents à appeler Said al-Harumi, député de Raam, pour lui demander de voter contre la nouvelle coalition, a rapporté Zman Yisrael.
Quelques heures plus tard, dimanche, avant le vote tant attendu, al-Harumi a déclaré qu’il ne voterait pas en faveur de la nouvelle coalition, à moins que davantage de concessions ne soient faites à ses électeurs bédouins.
La formation du nouveau gouvernement aurait pu être contrecarrée si al-Harumi ne s’était pas seulement abstenu, mais qu’il avait voté contre celle-ci.
En effet, à la suite de pressions exercées par Raam et d’autres membres du « bloc du changement » qui a renversé Netanyahu, al-Harumi a seulement décidé de ne pas voter, ce qui a permis au nouveau gouvernement d’être élu avec 60 voix contre 59 à la Knesset, qui compte un total de 120 députés. (Trois membres de la Liste arabe unie à prédominance arabe ont attendu que tous les autres votes soient comptés avant d’entrer dans l’hémicycle pour voter contre le nouveau gouvernement. Si al-Harumi avait voté contre le nouveau gouvernement, les députés de la Liste arabe unie auraient apparemment été prêts à s’abstenir afin de fournir un filet de sécurité pour la formation de la nouvelle coalition.)
Une opération politique ou une coïncidence ?
Des questions clés subsistent quant à la raison pour laquelle cette démonstration de force a été programmée l’un des jours les plus politiquement sensibles qu’Israël ait connus depuis des années.
Zman Yisrael a contacté de nombreux organismes gouvernementaux impliqués dans la régulation des affaires bédouines, mais a reçu des réponses contradictoires. La plupart n’étaient pas disposés à assumer la responsabilité directe de l’opération à Bir Hadaj, ou à expliquer ce calendrier.
Le ministère de la Sécurité publique, qui administre la police, est chargé de coordonner ces opérations. Jusqu’à cette semaine, le ministère était contrôlé par Amir Ohana (Likud), confident de Netanyahu, qui a souvent été attaqué par ses opposants politiques pour sa prétendue politisation du ministère.
Mais le ministère a déclaré à Zman Yisrael qu’il n’avait coordonné aucune action policière de ce type à Bir Hadaj, ni reçu de telles autorisations pour le faire.
L’Autorité des parcs et de la nature, dont les inspecteurs étaient présents sur les lieux, a déclaré qu’elle avait travaillé avec une branche du ministère de la Sécurité publique pour mettre en œuvre l’opération prévue. Le ministère de la Sécurité publique a refusé de commenter davantage ce point.
Yair Maayan, qui dirige l’Autorité des affaires bédouines, a déclaré qu’il avait été informé de l’opération prévue deux semaines avant la prestation de serment. Maayan a déclaré que l’opération ne relevait pas de l’autorité de son agence, qui s’occupe de la réglementation plutôt que de l’application des lois.
« Je ne tomberais pas de ma chaise à l’idée qu’il s’agissait d’une manœuvre politique lors de ce moment inhabituel », a déclaré sous couvert d’anonymat à Zman Yisrael un responsable du gouvernement israélien impliqué dans la régulation des affaires bédouines.
Le responsable a souligné des anomalies dans l’opération policière à Bir Hadaj ce jour-là, et a blâmé Netanyahu et Ohana.
« Ce n’était pas une procédure ordinaire qui conduirait à l’expulsion des résidents. De telles procédures prennent des mois, et elles sont effectuées avec l’approbation du tribunal et avec tous les documents possibles pour les étayer », a déclaré le responsable.
« Il n’y avait là pas d’approbation du tribunal. Un si énorme convoi de voitures arrive soudainement, des agents mesurent 30 maisons, et on ne sait pas pourquoi maintenant, ni même qui a ordonné cela ? Cela pourrait avoir été un dessein avec un objectif caché », a déclaré le responsable.