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Autorité palestinienne

Mahmoud Abbas, l’indécis

Entre les demandes du Fatah, celles de l’OLP et les exigences du gouvernement israélien, le président de l’Autorité palestinienne ne sait plus où donner de la tête

Elhanan Miller est notre journaliste spécialiste des affaires arabes

Mahmoud Abbas prie avec les membres du Comité exécutif de l'OLP à Ramallah, le  28 mai 2013 (Crédit: Isaam Rimawi/Flash90)
Mahmoud Abbas prie avec les membres du Comité exécutif de l'OLP à Ramallah, le 28 mai 2013 (Crédit: Isaam Rimawi/Flash90)

Qu’on aime ou qu’on déteste Mahmoud Abbas, on n’a rien lui à envier ces derniers jours. Alors que les négociations avec Israël entrent dans leur dernière étape, le président de l’Autorité palestinienne se retrouve au pied du mur. D’un côté, le leadership palestinien plus agressif vis-à-vis de l’Etat juif. De l’autre, les dirigeants israéliens qui le considèrent tel un extrémiste.

Lors d’un discours donné à l’Institut des Etudes de Sécurité Nationale à Tel Aviv le 29 janvier, le ministre israélien des Renseignements Yuval Steinitz a qualifié Mahmoud Abbas d’ « antisémite et de venin anti-israélien ». Il a ajouté qu’il n’y avait pas de processus de paix en tant que tel, mais bien un « processus diplomatique ». « Ce processus a des chances de réussir. Il a de l’importance. Mais à mon grand regret, nous ne voyons pas l’ombre d’une véritable envie de paix chez nos homologues palestiniens. »

Côté palestinien, Mahmoud Abbas n’a pas la tâche facile. Son équipe de négociation a été très fragilisée suite à la démission du négociateur Mohammed Shtayyeh, en pleine polémique sur la construction des implantations en Cisjordanie. Son départ a laissé le chef des négociations, Saeb Erekat, seul face au tandem israélien – Tzipi Livni et Yitzhak Molcho.

« Les négociations vont se solder par un échec. Nous pouvons dire adieu à la solution des deux Etats tant qu’Israël poursuit sa politique d’expansion sur le terrain », a déclaré Mohammed Shtayyeh lors d’une conférence réunissant des avocats palestiniens à Jéricho le 22 janvier.

« Ne pas obtenir d’accord est cent fois mieux que de signer un accord humiliant », a-t-il ajouté. Il a aussi précisé que l’Autorité palestinienne aurait dû demander à adhérer à chaque organisme onusien après avoir obtenu son statut d’observateur à l’Assemblée générale en novembre 2012.

« Abbas est le seul homme qui garde encore son sang froid [au Fatah] »

 

Ido Zelkovitz, conférencier à l’université de Haïfa

Mahmoud Abbas est peut-être le seul dirigeant palestinien ayant encore foi en la voie diplomatique. Le Hamas, qui contrôle la bande de Gaza depuis 2007, s’oppose à toute normalisation des relations avec Israël. Au sein du Fatah, la pression monte également. Certains membres du parti appellent au soulèvement de la rue palestinienne. Quant à l’OLP, elle doute de l’efficacité des négociations du gouvernement Netanyahu et fait pression pour accentuer l’isolement d’Israël aux Nations Unies.

Quelques heures avant le discours de Yuval Steinitz, Abbas, au cours d’une interview spécialement enregistrée pour la conférence, a indiqué qu’il était sans doute incapable de subir une telle pression encore longtemps. « J’espère que nous allons réussir [les pourparlers], de sorte de ne pas avoir à faire face à une confrontation juridique, politique ou diplomatique sur la scène mondiale, » a-t-il souligné.

« D’une certaine façon, Abbas est le seul homme qui garde encore son sang froid [au Fatah] », a indiqué Ido Zelkovitz, conférencier au département d’Histoire du Moyen Orient à l’Université de Haïfa et auteur d’un livre sur le Fatah en 2012. « Il est le seul ‘adulte responsable’. »

Mahmoud Abbas a été le premier haut dirigeant palestinien à s’opposer à Yasser Arafat en 2003 et à se prononcer contre la lutte armée. Désormais, il se retrouve isolé au sein de son propre parti.

Dans les sphères de la sécurité palestinienne, la pression qui pèse sur Mahmoud Abbas est de plus en plus importante. Tawfiq Tirawi, ex-chef des renseignements en Cisjordanie et à la tête de la commission d’enquête sur la mort de Yasser Arafat, a qualifié les efforts de paix du président de l’Autorité palestinienne de « faiblesse écrasante du peuple palestinien ».

Tawfiq Tirawi (Crédit: capture d'écran ScreenNews/Youtube)
Tawfiq Tirawi (Crédit: capture d’écran ScreenNews/Youtube)

« L’époque que nous vivons fait partie des pires que nous ayons vécues en tant que Palestiniens, » a affirmé Tawfiq Tirawi à la chaîne d’informations libanaise, Al-Mayadeen, la semaine dernière. « Nous sommes divisés, le monde arabe est en plein bouleversement… C’est vrai que la plupart des factions de l’OLP sont contre [les négociations de paix], mais il y a quelque chose qui s’appelle les intérêts nationaux palestiniens. Avons-nous compromis l’un de nos principes ? Non et c’est ce qui importe. »

Il poursuit : « Il n’y a aucune chance de voir naître un Etat palestinien en Cisjordanie et à Gaza, d’ici les vingt prochaines années. Aucune. Quiconque croit le contraire a tort. Les négociations ne nous apporteront rien… Nous, les différents courants Palestiniens, devons reprendre un cycle d’action. » Un cycle d’action, explique t-il au cas où personne n’aurait compris, inclut le recours à la violence armée.

Jibril Rajoub, ex-chef de la Force de Sécurité Préventive en Cisjordanie et collègue de Tawfiq Tirawi, a aussi appelé à la résistance, lors d’une visite en Iran la semaine dernière. « Le Fatah ne pourra pas mettre fin à la résistance tant qu’un gouvernement palestinien indépendant ne voit pas le jour [à Jérualem Est]», a-t-il indiqué au chef de la diplomatie iranienne Mohammed Javad Zarif.

Contrairement à Tawfiq Tirawi et Jibril Rajoub – qui ont commencé leur carrière au sein de la branche armée du Fatah – Mahmoud Abbas a démarré dans les ressources humaines du parti dans les années 60 et 70.

« Contrairement à ces hommes, il n’a jamais porté d’uniforme. Ainsi, sa vision du monde est différente. Pour lui, la lutte armée est une preuve de faiblesse qui fait du tort à la cause palestinienne et la discrédite aux yeux de l’opinion publique », a déclaré Ido Zelkovitz.

Cette vague de contestation ne vient pas que des rangs du Fatah, mais aussi des diplomates de l’OLP. Ceux-ci désapprouvent sa décision de geler toute action internationale contre Israël pendant la durée des négociations, en échange de la libération de 104 prisonniers palestiniens emprisonnés depuis la signature des accords d’Oslo en 1993.

Mahmoud Abbas, lors d'une interview donnée à la télévision allemande Welle (Crédit : capture d'écran)
Mahmoud Abbas, lors d’une interview donnée à la télévision allemande Welle (Crédit : capture d’écran)

De son côté, Mahmoud Abbas refuse de se prononcer sur ce qui peut advenir en cas d’échec des négociations. Contournant habilement le gouvernement Netanyahu, il rencontre régulièrement des députés israéliens, fréquente des think tank et d’importantes personnalités de la société civile. Lors d’un discours à Jérusalem Est, il a fait l’éloge de la réaction pacifique des villageois de Qusra face aux attaques « Prix à payer ».

« Abbas s’est rendu compte que la force des Palestiniens aujourd’hui n’est pas sur le champ de bataille mais sur la scène diplomatique, dans les couloirs de l’ONU et en Europe », a conclu Ido Zelkovitz.

Pour l’instant, il ne change pas de cap. Il honore ses engagements – montrant du doigt les Israéliens pour leur manque de flexibilité, et lui-même accusé d’intransigeance par le gouvernement Netanyahu. Très vite, Mahmoud Abbas devra prendre une décision à l’issue des négociations. Donnera-t-il son feu vert aux Américains, tout en décevant ses opposants ? Ou défiera-t-il John Kerry, pour se retrouver au pied du mur ?

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