Maurras, ligues d’extrême droite et Vichy : La « face cachée » de Pierre Pflimlin
Fruit d'années d'enquête, brassant archives, documents et témoignages, l'ouvrage lève le voile sur la part d'ombre de ce ministre centriste à dix-huit reprises de 1946 à 1962
Militant d’extrême droite proche d’antisémites virulents, puis propagandiste et magistrat sous Vichy : dans La face cachée de Pierre Pflimlin (La Nuée Bleue), le journaliste Claude Mislin jette une lumière crue sur le passé sulfureux de cette figure majeure de la IVe République et de la démocratie chrétienne.
Ministre à dix-huit reprises de 1946 à 1962, président du Conseil (1958), européen convaincu, président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (1963-1966) puis du Parlement européen (1984-1987), « statue du Commandeur » de la politique alsacienne… Sans conteste, Pierre Pflimlin (1907-2000) a été l’un des hommes politiques français les plus influents de l’après-guerre. Pourtant, à l’image de François Mitterrand, ce centriste a lui aussi sa part d’ombre, que Claude Mislin, ancien journaliste aux quotidiens L’Alsace et Les Dernières nouvelles d’Alsace (DNA), exhume dans son ouvrage à paraître vendredi.
Pflimlin a pratiqué une « stratégie d’étouffement de son parcours politique passé », pointe l’auteur. Cela explique que cette part d’ombre, connue « sous le manteau » par les initiés, ait mis si longtemps pour arriver sur la place publique, explique-t-il à l’AFP.
Maurras, « boussole initiale »
Fruit d’années d’enquête, brassant archives, documents et témoignages, dont celui d’Antoinette Pflimlin, la fille de l’ancien maire (1959-1983) de Strasbourg, l’ouvrage lève le voile sur la jeunesse de ce jeune homme ambitieux, issu d’un milieu bourgeois « très catholique » et « conservateur » et fasciné dans les années 1920 par l’écrivain d’extrême droite Charles Maurras, sa « boussole initiale ».
Inscrit au barreau de Strasbourg en 1933, Pflimlin devient « le grand animateur » en Alsace des Jeunesses Patriotes, l’une des multiples ligues d’extrême droite de l’entre-deux-guerres. Il y côtoie notamment Joseph Bilger, condamné en 1947 à 10 ans de travaux forcés pour collaboration avec l’Allemagne nazie. Pierre Pflimlin sera son témoin à décharge lors de ce procès de l’épuration.
Dans une lettre, il explique à Bilger être « étranger » à « tout sentiment antisémite », rapporte M. Mislin, qui n’a trouvé aucun écrit ou déclaration antisémite attribuable à Pflimlin. Mais « l’antisémitisme de Joseph Bilger ne froissait visiblement pas Pierre Pflimlin plus que cela »…
En 1934, désireux de rassembler plusieurs ligues, il fonde, avec Bilger déjà, Force Nouvelle, puis se recentre vers la démocratie chrétienne.
Fait prisonnier par les Allemands, il est libéré au bout de quelques mois et revient en Alsace, alors annexée par le IIIe Reich. Mais, refusant de « vivre dans un laboratoire national-socialiste », il quitte « clandestinement » la région pour retrouver sa femme réfugiée à Périgueux.
Tabou
Il pouvait choisir la Résistance, mais ce sera Vichy, où il se rend « rapidement », « semble-t-il sans états d’âme », constate M. Mislin, qui note que Mitterrand, lui aussi épinglé pour ses liens avec le régime pétainiste, avait préféré la Résistance.
Pendant neuf mois, Pflimlin travaille au service de propagande pour la jeunesse. Puis, sentant la montée en puissance des durs du régime, l’ancien avocat obtient d’être affecté dans la magistrature. « Probablement son militantisme d’extrême droite (…) a joué en sa faveur », écrit Claude Mislin qui rappelle que la magistrature souffrait alors d’une « pénurie », notamment en raison de « l’éviction des Juifs » par les lois antisémites de Vichy.
Lois que Pierre Pflimlin, nommé juge d’instruction à Thonon-les-Bains en 1941 après avoir prêté serment de fidélité au Maréchal, devra donc appliquer.
La juridiction croule alors sous les dossiers de personnes, notamment des Juifs, arrêtées en tentant de gagner la Suisse voisine. Certes, le tribunal où officiait Pflimlin avait une réputation de mansuétude mais juger des Juifs, « même de façon pas trop sévère », n’était-ce pas « quand même » appliquer les lois vichystes, s’interroge M. Mislin.
Fin 1944, à la Libération, Pflimlin est désigné commissaire du gouvernement à Metz où, « après avoir jugé des Juifs », il devra juger des « collaborateurs », écrit le journaliste qui explique ne pas disposer de documents expliquant cette étonnante volte-face.
En dépit de quelques maigres et elliptiques confidences tardives, Pflimlin « a tout fait pour qu’on (ne) parle pas » de ce passé, explique Claude Mislin. Celui-ci espère que sa démarche, qui brise un tabou en Alsace, « va susciter des vocations » : selon lui, aucune « biographie sérieuse » ou « travail universitaire approfondi » n’existe en effet sur Pflimlin ou sur l’extrême-droite alsacienne. Des pans de l’histoire locale manifestement toujours à fleur de peau.