Mohammed ben Salmane, un prince réformateur et autoritaire
Le prince héritier saoudien a ouvert plusieurs chantiers de réformes qui constituent le plus grand bouleversement culturel et économique de l'histoire moderne de l'Arabie saoudite
L’ascension fulgurante du prince Mohammed ben Salmane depuis 2015 en Arabie saoudite a été marquée par une volonté de réformes derrière laquelle se cache une main de fer.
Son père, le roi Salmane, 82 ans, le suit sur quasiment tous les dossiers et, à 32 ans, celui qu’on surnomme MBS est sans aucun doute l’homme fort du royaume.
Le prince héritier s’est donné pour missions de restructurer l’économie, trop dépendante du pétrole, et de réformer en profondeur la société, dominée par un fort conservatisme et une vision rigoriste de l’islam.
Il n’a pas hésité à ordonner des centaines d’arrestations dans les milieux religieux, intellectuels, économiques et même au sein de la famille royale, des mesures qualifiées de « modernisation de l’autoritarisme » par Stéphane Lacroix, spécialiste de l’Arabie saoudite.
Né le 31 août 1985, l’homme à la barbe noire et à la calvitie naissante assure travailler 16 heures par jour et dit que sa mère l’a élevé de façon stricte. Diplômé de droit de la King Saud University, Mohammed ben Salmane est père de deux garçons et de deux filles.
« C’est une machine intellectuelle, il est vraiment dans la stratégie », dit un responsable occidental. Il est « parfois impulsif » et, quand il évoque ses projets, « il s’enflamme », ajoute-t-il sous couvert de l’anonymat.
Réformateur pressé, il n’est pas partisan de la polygamie en vigueur dans son pays.
Mohammed ben Salmane a déjà ouvert plusieurs chantiers de réformes qui constituent le plus grand bouleversement culturel et économique de l’histoire moderne de cette pétromonarchie du Golfe où la moitié des 31 millions d’habitants a moins de 25 ans.
Il a promis une Arabie « modérée et tolérante », en rupture avec l’image d’un pays longtemps considéré comme l’exportateur d’un islam radical.
« Pouvoir extraordinaire »
Cette vision réformiste a connu un début de concrétisation : les femmes ont obtenu l’autorisation de conduire à partir de juin 2018. Des Saoudiennes ont célébré la fête nationale mêlées aux hommes et elles ont pu assister à des matches de football.
L’accent a aussi été mis sur le divertissement avec les premiers concerts occidentaux et l’ouverture prochaine de salles de cinéma.
Le prince a montré qu’il pouvait agir brutalement contre ceux qui lui résistent, notent des experts.
Le 21 juin 2017, il a écarté, avec l’aide de son père, un cousin, le prince Mohammed ben Nayef, puissant ministre de l’Intérieur, pour prendre sa place comme héritier du trône.
En novembre 2017, après la création d’une « commission anti-corruption » dont il a pris la tête, quelque 200 personnalités (princes, ministres, ex-ministres, hommes d’affaires) ont été arrêtées dans une purge sans précédent. En septembre 2017, des rafles avaient visé des religieux anti-américains, ainsi que des intellectuels.
Mohammed ben Salmane a réussi à s’octroyer « un pouvoir et une influence extraordinaires en très peu de temps », a relevé Frederic Wehrey de l’institut Carnegie Endowment for International Peace à Washington.
Avant d’être nommé prince héritier, il était vice-prince héritier depuis 2015 et, à ce titre, il avait parrainé le plan « Vision 2030 » visant à diversifier l’économie.
Ce programme, annoncé en plein marasme économique, a transgressé un tabou en proposant de vendre en bourse 5 % du géant pétrolier d’Etat Aramco et de créer un fonds souverain de 2 000 milliards de dollars, le plus important du monde.
Trump apprécie Mohammed ben Salmane
Outre le titre de prince héritier, il a cumulé les postes de vice-Premier ministre, ministre de la Défense, conseiller spécial du souverain et, surtout, il a présidé le Conseil des affaires économiques et de développement, organe qui supervise Saudi Aramco, première compagnie productrice de pétrole au monde.
Mohammed ben Salmane a supervisé l’intervention militaire saoudienne au Yémen pour combattre les rebelles Houthis, soutenus par l’Iran, grand rival de l’Arabie saoudite.
Ces dernières années, Ryad a adopté une politique étrangère plus offensive, n’hésitant pas à « se frotter » à l’allié américain sous Barack Obama, notamment à propos de la Syrie et de l’Iran. L’arrivée de Donald Trump à la Maison Blanche a constitué un tournant, ce dernier ne tarissant pas d’éloges à l’égard de Mohammed ben Salmane.
Autre signe de la nouvelle politique d’affirmation saoudienne : la crise frontale avec le Qatar, mis au ban en 2017 par Ryad et plusieurs de ses alliés qui l’accusent de soutenir des groupes « terroristes » et lui reprochent de se rapprocher de l’Iran.