Mort de Raïssi : l’UE exprime ses « condoléances » et suscite des critiques
Un diplomate suédois travaillant pour l'UE, Johan Floderus, est actuellement détenu en Iran où il risque la peine de mort sous l'accusation d'espionnage
Le président du Conseil européen Charles Michel et le chef de la diplomatie européenne Josep Borrell ont exprimé les « condoléances » de l’UE après la mort du président iranien Ebrahim Raïssi, ce qui a suscité des réactions indignées sur les réseaux sociaux.
« L’UE exprime ses sincères condoléances pour la mort du président Raïssi et du ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian, ainsi que d’autres membres de leur délégation et de l’équipage dans un accident d’hélicoptère. Nos pensées vont aux familles », a indiqué lundi matin Charles Michel sur le réseau social X.
Un peu plus tard, Josep Borrell a publié un communiqué, dans lequel « l’Union européenne présente ses condoléances » après cet « accident d’hélicoptère tragique ».
Ces messages ont suscité des réactions scandalisées sur les réseaux sociaux, de la part d’élus, de responsables politiques ou d’anonymes.
« Pouvez-vous regarder dans les yeux les courageuses femmes et combattants de la liberté d’Iran? (…) Honte à vous », a notamment réagi sur X l’eurodéputé suédois David Lega (PPE, droite).
« Pas en mon nom », a aussi indiqué le responsable néerlandais d’extrême droite Geert Wilders.
L’ancien secrétaire d’Etat belge Theo Francken (N-VA, nationalistes flamands) a dénoncé « des condoléances européennes pour la mort d’un boucher et d’un cruel meurtrier de masse ».
« Diplomatie veut dire dialogue, y compris avec les régimes avec lesquels nous avons de profondes divergences », a justifié la porte-parole de Charles Michel, Ecaterina Casinge, soulignant que « maintenir le dialogue avec l’Iran est essentiel pour éviter une escalade régionale ».
Elle a ajouté qu’un message de condoléances dans ces circonstances était une « pratique courante » et que « de nombreux Etats, de l’UE notamment, ainsi que le secrétaire général des Nations unies et l’Otan » avaient fait de même.
Dimanche, l’UE avait activé son système de cartographie pour aider l’Iran à retrouver l’hélicoptère, en réponse à une demande de ce pays. Cette annonce par le commissaire européen à l’Aide humanitaire, Janez Lenarcic, qui a utilisé le mot-clé « Solidarité de l’UE », avait déjà provoqué de vives critiques.
« Quel hashtag misérable, quelle moquerie à l’égard des courageux défenseurs des droits humains en Iran », a notamment réagi Marie-Agnes Strack-Zimmermann, députée allemande du parti libéral FDP, et candidate aux élections européennes.
Janez Lenarcic a fait valoir que l’activation « sur demande » du système satellitaire Copernicus « pour faciliter une opération de recherche et de sauvetage n’est pas un acte de soutien politique à un régime ». « Il s’agit simplement d’une expression de l’humanité la plus élémentaire, a-t-il affirmé.
L’Iran est visé par des sanctions de l’UE en raison de ses activités nucléaires, de son soutien militaire à la guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine, et des violations des droits humains dans ce pays. Elles ont été renforcées après la répression des manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour non-respect du code vestimentaire strict de la République islamique.
Un diplomate suédois travaillant pour l’UE, Johan Floderus, est actuellement détenu en Iran où il risque la peine de mort sous l’accusation d’espionnage.
Ebrahim Raïssi était considéré comme l’un des piliers des camps conservateur et ultra-conservateur, qui contrôlent tous les leviers du pouvoir depuis 2020.
Se présentant comme le champion des classes défavorisées et de la lutte contre la corruption, il avait été élu le 18 juin 2021 dès le premier tour d’un scrutin marqué par une abstention record pour une présidentielle, et l’absence de concurrents de poids.
Il avait succédé à Hassan Rouhani, qui l’avait battu à la présidentielle de 2017 et ne pouvait plus se représenter après deux mandats consécutifs.
Arrivé au milieu de son mandat, Raïssi était sorti renforcé des législatives tenues en mars, premier scrutin national depuis le mouvement de contestation qui a secoué l’Iran fin 2022 à la suite du décès de Mahsa Amini, une jeune femme arrêtée pour non-respect du code vestimentaire strict de la République islamique.
Le président iranien s’était alors félicité d’ « un nouvel échec historique infligé aux ennemis de l’Iran après les émeutes » de 2022, faisant ainsi référence aux pays occidentaux et aux opposants installés à l’étranger.
Le Parlement, qui entrera en fonction le 27 mai, sera très largement sous le contrôle des camps conservateurs et ultra-conservateurs, qui soutiennent son gouvernement.
Ces derniers mois, Raïssi s’était présenté comme un adversaire résolu d’Israël, l’ennemi juré de la République islamique, en apportant son soutien aux massacres commis par le mouvement islamiste palestinien Hamas, le 7 octobre.
Il avait aussi justifié l’attaque inédite lancée par l’Iran le 13 avril contre Israël, avec 500 drones et missiles, dont la plupart ont été interceptés avec l’aide des Etats-Unis et de plusieurs autres pays alliés.
Raïssi figurait sur la liste noire américaine des responsables iraniens sanctionnés pour « complicité de graves violations des droits humains ». Il a joué un rôle clé dans l’exécution de milliers de prisonniers d’opposition, en 1988, alors qu’il était procureur adjoint de Téhéran. Il a nié catégoriquement toute implication personnelle dans les massacres de 1988, tout en se félicitant de la décision de procéder aux exécutions.
« Raïssi était un homme à tout faire pour Khameneï dont le régime est confronté à des crises innombrables surtout après le soulèvement de 2022. De ce point de vue, il est un personnage irremplaçable pour le guide suprême », écrivait dimanche un porte-parole du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI).
Dans un rapport paru en 2018, l’ONG Amnesty International qualifiait les massacres de 1988 de crimes contre l’humanité et accusait Ebrahim Raïssi, surnommé le « boucher de Téhéran » d’être membre de la « commission de la mort » de Téhéran qui a décidé du sort de nombreux prisonniers.
« La malédiction des mères et de ceux qui cherchent à obtenir justice pour les exécutés, ainsi que la damnation du peuple iranien et de l’histoire, marquent l’héritage d’Ebrahim Raïssi », a dénoncé la présidente du CNRI, Maryam Radjavi.
D’après le CNRI, quelque 30 000 prisonniers ont été tués lors de ces massacres. Un bilan difficile à chiffrer précisément, selon les groupes de défense des droits de l’homme occidentaux, qui mentionnent des milliers d’exécutions.
Né en novembre 1960 dans la ville sainte chiite de Machhad (nord-est), Raïssi a gravi les échelons du système judiciaire durant trois décennies, après avoir été nommé procureur général de Karaj, près de Téhéran, à seulement 20 ans, dans la foulée de la victoire de la Révolution islamique de 1979.
Il a ensuite été procureur général de Téhéran de 1989 à 1994, puis chef adjoint de l’Autorité judiciaire de 2004 à 2014, année de sa nomination au poste de procureur général du pays.
En 2016, le guide suprême Ali Khamenei l’a placé à la tête de la puissante fondation caritative Astan-é Qods Razavi, qui gère le mausolée de l’Imam-Réza à Machhad ainsi qu’un immense patrimoine industriel et immobilier. Trois ans plus tard, il prend la tête de l’Autorité judiciaire.
Sans grand charisme et toujours coiffé d’un turban noir de « seyyed » (descendant de Mahomet), Raïssi, barbe poivre et sel et fines lunettes, a suivi les cours de religion et de jurisprudence islamique de l’ayatollah Khamenei.
L’ayatollah Raïssi était considéré comme l’un des favoris pour être élevé au poste le plus important de la République islamique, celui de Guide suprême, occupé depuis 35 ans par l’ayatollah Ali Khamenei, âgé de 85 ans.
Marié à Jamileh Alamolhoda, professeure de sciences de l’éducation à l’université Chahid-Béhechti de Téhéran, avec laquelle il a eu deux filles diplômées du supérieur, M. Raïssi était le gendre d’Ahmad Alamolhoda, imam de la prière et représentant provincial du Guide à Machhad, deuxième ville d’Iran.