Mur Occidental : Un leader orthodoxe s’engage à enseigner le pluralisme religieux
Des jeunes ultra-orthodoxes avaient déferlé dans la section de prière égalitaire, perturbant un office ; deux rabbins américains du judaïsme libéral ont écrit à Yair Lapid
Le chef d’un large réseau d’institutions du mouvement orthodoxe moderne s’en est pris aux jeunes orthodoxes qui ont perturbé trois cérémonies de bar et de bat mitzvah qui étaient organisées dans l’espace de prière égalitaire du mur Occidental, la semaine dernière, les qualifiant de « voyous » et comparant leur mentalité à celle qui avait été à l’origine de la destruction du Second temple juif.
La semaine dernière, des dizaines de jeunes orthodoxes s’étaient violemment introduits dans la section égalitaire, équipés de sifflets et de panonceaux, pour protester contre les offices de prière mixte qui étaient en train de s’y dérouler. Les participants avaient été fustigés, traités de « nazis », de « chrétiens » et « d’animaux » et ils avaient déchiré un livre de prière, ou siddur.
« Quand je vois des choses comme ça… Cela ne fait qu’ajouter de l’huile sur l’incendie qui avait eu lieu en l’an 70 de l’ère commune », a commenté le rabbin Kenneth Brander, à la tête de l’organisation Ohr Torah Stone, auprès du Times of Israel, se référant à l’année où les Romains avaient détruit le Second temple.
« Et jamais le beit hamikdash ne saura être reconstruit si nous ne comprenons pas ce message », a-t-il ajouté, utilisant le mot désignant un temple en hébreu.
Brander a indiqué que l’incident lui avait donné l’idée d’exiger des écoles et des programmes de son organisation – notamment de ses lycées à Jérusalem et en Cisjordanie, et de son séminaire Midreshet Lindenbaum – qu’il y ait des débats sur le pluralisme religieux.
« Grâce à ces voyous, 5 000 élèves vont apprendre l’importance de respecter les Juifs réformés et masortis« , a-t-il dit. « Ils vont apprendre qu’il y a des Juifs qui apportent leur contribution à la communauté juive, même si je ne suis pas toujours d’accord avec leurs croyances. »
Brander a déploré les dégâts entraînés par ces incidents sur les jeunes qui étaient en train de vivre leur cérémonie de bar et de bat mitzvah, ainsi que sur leurs familles.
« Nous avons là des filles et des garçons qui viennent lire la Torah, qui s’y sont préparés et, soudainement, arrive un groupe de voyous. Quelle relation entretiendront ces jeunes avec Dieu après cela ? Quelle relation entretiendront-ils avec l’État d’Israël ? », a-t-il interrogé.
S’exprimant auprès du Times of Israel, Brander a maintenu que son point de vue était absolument aligné sur l’orthodoxie. Ces jeunes étaient ceux qui ont violé la loi juive, la halakha, a-t-il dit.
« Vous n’êtes pas un Juif respectueux de la Halakha si vous agissez de cette façon », a dit Brander. « Un Juif qui se comporte comme ça n’est pas un Juif orthodoxe. Je pense que la majorité silencieuse est d’accord avec moi. »
Et pourtant, de nombreux rabbins orthodoxes – ainsi que des politiciens – ne partagent pas le même point de vue.
Et en effet, cette opposition forte aux courants progressistes du judaïsme peut être appréhendée dans le cadre du conflit continu qui traverse la communauté orthodoxe d’Israël au sujet du rabbin Eliezer Melamed, à la tête de la yeshiva de Har Bracha, férocement nationaliste, qui est installée dans l’implantation de Cisjordanie du même nom.
L’année passée, Melamed a été excommunié par de larges pans de la communauté orthodoxe en raison de deux questions majeures : il soutient un point de vue très impopulaire sur la conversion au judaïsme, qui autoriserait les personnes intéressées à se convertir même si elles ne prévoient pas de strictement suivre la loi juive – contrairement à ce qui se passe actuellement – et il a prôné l’ouverture du dialogue avec les Juifs réformés et conservateurs, réclamant également que leurs offices de prière soient non seulement tolérés, mais salués dans l’espace de prière égalitaire du mur Occidental.
Si son premier avis lui a gagné quelques amis, c’est le deuxième point de vue exprimé, un point de vue pluraliste, qui lui a attiré les condamnations des plus grands rabbins ultra-orthodoxes et nationaux-religieux, qui ont aussi appelé leurs fidèles à jeter ses livres, et notamment sa série d’ouvrages Pninei Halakha qui était jusqu’à présent très populaire et très respectée et qui est consacrée à la loi juive.
Brander a salué Melamed et a noté que peu de fidèles semblaient avoir répondu à l’appel lancé à jeter ses livres.
Et pourtant, Brander a dû reconnaître que, tout particulièrement en Israël – c’est beaucoup moins le cas aux États-Unis où le pluralisme intrareligieux est mieux accepté -, l’opposition féroce aux judaïsmes réformé et masorti est commune.
« Personne ne sait, ici, ce que sont les ‘réformés’ et les ‘masortis‘. Alors libre à vous de dire qu’ils ont des cornes parce que vous n’en avez jamais rencontré de votre vie », a-t-il déclaré.
Cette question, pour Brander, n’est pas seulement importante au niveau civil ou politique, mais elle l’est aussi du point de vue théologique.
« Le temple sera reconstruit quand nous nous serons assurés que nous traitons les gens avec respect. Le temple sera reconstruit quand il n’y aura plus d’agunot – ces femmes dites enchaînées parce que leur mari leur refuse le divorce religieux », a-t-il dit. « Le temple sera reconstruit quand nous nous serons assurés que les plus faibles, dans notre société, sont traités avec respect. »
« Nous devons beaucoup mieux faire, je vais faire la petite part qui me revient pour ça », a-t-il ajouté.
De leur côté, ce sont les responsables des mouvements réformé et masorti qui ont lancé un appel, dimanche, au Premier ministre Yair Lapid, dans le sillage des incidents survenus au mur Occidental. Ils l’ont imploré d’améliorer la sécurité sur le site et de garantir que les Juifs progressistes pourront encore se l’approprier.
« M. Le Premier ministre, nous nous tournons vers vous parce que la situation ne peut pas continuer. Nous représentons des millions de Juifs qui ne peuvent pas tolérer un tel comportement et nous sommes las d’être traités comme des citoyens de seconde catégorie au mur », ont écrit les rabbins Rick Jacobs, à la tête du groupe Union for Reform Judaism, et Jacob Blumenthal, qui dirige l’organisation United Synagogue of Conservative Judaism.
Les deux rabbins ont demandé à Lapid de mettre en œuvre le compromis du mur Occidental, depuis longtemps dans l’impasse – un accord qui offrirait une représentation et un statut officiels aux non-orthodoxes dans l’administration du site.
« Nous sommes conscients de la situation politique complexe. Mais nous pensons qu’aujourd’hui, il y a une opportunité pour le Tikkun (réparation). Il est temps de lancer une nouvelle ère, et cela commencera par réparer la grave injustice qui se produit au quotidien au mur à l’égard des Juifs libéraux », ont-ils écrit.
Ils ont appelé Lapid à donner pour instruction aux policiers d’intervenir pour empêcher les perturbations violentes dans la section égalitaire ; pour garantir que le secteur restera ouvert à la prière mixte, demandant aussi de réparer les structures sur le site pour permettre aux fidèles d’accéder aux pierres du mur et de faire des représentants des deux mouvements les gestionnaires officiels du site.
« Toutes ces initiatives peuvent être prises dès demain. Nous savons qu’il y a de nombreux défis qui attendent le Premier ministre d’Israël. Mais ce défi-là peut – et doit – être relevé immédiatement », ont-ils estimé.