Ne laissons pas les groupes de lobby mettre en échec la loi contre les options binaires
Les partisans de cette industrie tentent de déjouer l'initiative longtemps attendue des autorités visant à mettre fin à ce secteur largement frauduleux
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Ces derniers jours, dans les coulisses du pouvoir, l’âme financière d’Israël fait l’objet d’une bataille silencieuse.
D’un côté, les autorités chargées de faire respecter la loi – accablées de travail et en déficit de ressources – cherchent tardivement à se saisir du pire fléau de corruption qui ait jamais gangréner l’état contemporain d’Israël. De l’autre, sévissent ceux qui veulent maintenir l’emprise de la criminalité sur l’état juif.
Dix ans après le début des opérations de la première entreprise d’options binaires en Israël, un an après que le Times of Israël dénonce sans relâche l’industrie frauduleuse, et aussi un an après que l’Autorité israélienne des Titres (ISA) interdise aux entreprises d’escroquer des Israéliens, le ministre des Finances a signé un projet de loi interdisant l’industrie entière – mettant ainsi un point final et définitif à ses activités. Une industrie interdite d’opération où que ce soit en Israël. Une industrie interdite de cibler des clients dans le monde entier.
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Cela a pris un long moment à l’ISA pour intérioriser l’ampleur de l’industrie et la gravité des dégâts. On estime qu’elle rapporte entre 5 à 10 milliards de dollars chaque année. (Ce chiffre de 10 milliards représenterait un surplus stupéfiant de 10 % sur l’ensemble des exportations israéliennes). Des milliers d’Israéliens se sont rendus au travail chaque jour, lors de la dernière décennie, dans des centres d’appels de Tel Aviv, Herzliya, Ramat Gan, Césaré et au-delà, pour voler de l’argent à des victimes du monde entier.
Conseillant ostensiblement les clients sur des investissements à court-terme lucratifs effectués via des plate-formes de trading sophistiquées, ces vendeurs escrocs utilisent en fait une grande variété de ruses – mentant notamment sur leur identité, leur lieu de travail, leur niveau d’expertise, manipulant les chiffres du marché – et empêchant les clients de retirer leur fonds afin de s’assurer que l’ensemble des victimes y perdent jusqu’au dernier centime, ou presque.

Mais – et c’est tout à son honneur – l’ISA a reconnu ces derniers mois ce qui était en train de se passer et les dégâts causés par la fraude des options binaires pour la réputation d’Israël. Ceci en partie grâce à nos reportages, et en partie aussi à la colère croissante à l’international suscitée par cette fraude basée en Israël, mobilisant le FBI et d’autres régulateurs financiers internationaux qui placent dorénavant l’état juif sous pression.
Le président de l’ISA Shmuel Hauser avait qualifié l’été dernier cette fraude de dégoûtante et ruineuse et avait promis d’y mettre un terme. Le Bureau du Premier ministre avait annoncé soutenir cette initiative.
Travaillant avec le ministère de la Justice et le Bureau du Procureur général, Hauser a esquissé la législation nécessaire en début d’année. Le mois dernier, le ministre des Finances Moshe Kahlon a apposé sa signature au projet. Également soutenue par l’opposition – la commission de contrôle de l’Etat, la parlementaire de Yesh Atid, Karin Elharar, a joué un rôle important dans ce combat – la législation devrait être approuvée par la Commission des Lois au cours des prochains jours avant les congés de la Knesset.

Il y a deux semaines toutefois, lors de la seconde session spéciale consacrée à la question à la commission de contrôle de l’Etat, deux avocats de l’industrie ont dénoncé l’application d’une interdiction pure et simple, parvenant à garder la tête haute alors qu’ils tentaient de défendre l’indéfendable.
Ils ont affirmé que la fermeture de l’industrie en Israël mènerait simplement à la relocalisation des entreprises à l’étranger où d’autres récupéreraient des emplois qui étaient occupés jusqu’à présent par des Israéliens – ce qui est très probablement vrai, mais ne peut en aucun cas venir justifier ce vol organisé depuis l’état juif.
L’un d’entre eux a désespérément suggéré que certains des milliers d’Arabes israéliens employés par l’industrie pourraient bien, s’il se retrouvaient au chômage, recourir aux crimes nationalistes.
Les nouveaux immigrants, qui sont largement employés dans le secteur en raison de leurs compétences en anglais, en français et dans d’autres langues, se trouveraient dans l’incapacité de se faire embaucher pour de si bons salaires, a-t-il averti, ignorant encore une fois l’immoralité corrosive de l’activité.
Les immeubles de bureaux se trouveraient vidés en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, a-t-il ajouté, clamant que ce sont 20 000 Israéliens qui sont directement embauchés par l’industrie et 60 000 autres au sein d’entreprises associées – des chiffres bien plus élevés que d’autres cités par des initiés.
De telles assertions ont été balayées d’un revers de la main par Elharar et d’autres responsables lors de la réunion, qui sont persuadés depuis longtemps de la gravité de la fraude, et qui ont reconnu dans ce discours des arguments purement intéressés cherchant à rationaliser et à normaliser une entreprise ô combien criminelle.
Répondant directement aux affirmations évoquant les immigrants venus en Israël pour échapper à l’antisémitisme et qui risqueraient de se retrouver au chômage, Hauser de l’ISA a riposté : « Vous avez dit que les gens se sont installés ici pour échapper à l’antisémitisme. Mais sont-ils venus pour nourrir l’antisémitisme [à l’étranger] ? Est-ce que c’est pour cela qu’ils sont venus ? J’étais en Europe il y a quelque semaines avec tous les régulateurs et j’ai entendu tout ce qu’ils avaient à dire sur cette industrie », a-t-il ajouté avec amertume.

Dans les jours qui ont suivi cette réunion du 28 février, les groupes de pression et des défenseurs de l’industrie ont oeuvré silencieusement en coulisses pour tenter de saper le soutien apporté par les ministres à la nouvelle législation. Ils ont répété leur argument selon lequel une interdiction obligerait un grand nombre d’Israéliens à pointer au chômage.
Et ils ont plaidé en faveur d’une régulation des entreprises d’options binaires à la place d’une interdiction – une tactique pathétique avec pour objectif de gagner du temps dans la mesure où c’est le régulateur, atterré par la fraude, qui a été le premier à demander avec insistance la disparition de l’industrie entière. (« Je n’ai pas encore vu une seule entreprise d’options binaires qui soit légitime », a indiqué Jason Roy, président du tout nouveau groupe de travail consacré aux options binaires au Canada, et qui a appelé le gouvernement israélien à mettre un terme aux activités de l’industrie entière « immédiatement »).
Ce n’est pas la première fois qu’Israël connaît un tel bras de fer. En 2011, la parlementaire Einat Wilf avait tenté de faire fermer les entreprises d’options binaires et de Forex, mais sans succès. Elle avait fini par s’incliner devant leurs partisans.
Cette fois-ci, c’est un peu différent.
Cette fois-ci, la législation a été écrite par les autorités chargées de l’application de la loi, elle est appuyée par le gouvernement et l’opposition et a été approuvée par le ministère de la Justice.
‘Les partisans des options binaires veulent soumettre la législation pendant des semaines et des mois à des propositions d’amendement, la voir critiquée, neutralisée et enfin abandonnée’
Mais ceux qui défendent les options binaires sont bien financés et ne manquent pas d’arguments. Ils ne demandent pas aux ministres ou, à un stade plus avancé, aux membres de la Knesset de voter contre la loi. Ce serait trop embarrassant aux yeux de l’opinion publique. Ils cherchent plutôt à gagner du temps avant la présentation du texte à l’approbation de la Knesset et veulent soumettre la législation pendant des semaines et des mois à des propositions d’amendement, voir la législation critiquée, neutralisée et enfin abandonnée.
Les options binaires ont été autorisées à se développer en partie parce que les responsables de la loi en Israël tentent d’éteindre des incendies dans tant d’autres domaines. C’est un pays, après tout, qui se « vante » d’avoir eu un Premier ministre emprisonné pour des malversations financières et un autre, le Premier ministre actuel, qui se trouve sous le coup d’une enquête pour corruption, et un Grand Rabbin reconnu coupable d’avoir accepté des pots-de-vins.
C’est un pays dont un ancien président de banque a été emprisonné pour fraude, un ancien haut-responsable de la police inculpé sur la même accusation, avec plusieurs maires qui font l’objet d’enquêtes de corruption, et une série ininterrompue d’arrestations et de saisies pour des escroqueries d’ampleur et autres délits financiers. Certains partisans de l’industrie ont de très bonnes relations – notamment au niveau politique.
Personne ne suggère ici que les forces responsables de l’application de la loi aient volontairement éviter d’affronter ce fléau en raison de pressions politiques et autres. Mais maintenant que les autorités – dont le Bureau du Premier ministre, l’Agence juive, l’Autorité des Titres israélienne, le ministère de la Justice et la police, liste non exhaustive – sont pleinement conscientes de ce qui est en train de se produire, il serait tout à fait inexcusable que les législateurs israéliens n’approuvent pas l’action ferme que ces autorités considèrent – certes avec retard – comme nécessaire.
Si on lui permet de continuer, l’industrie des options binaires s’attaquera à tout le monde, partout et n’importe où dans le monde, grâce à sa routine bien huilée qui lui permet de ravir l’argent durement gagné de clients se sentant mis en confiance, et qui vont laisser derrière eux des vies détruites.
Si on lui permet de continuer, les entreprises d’options binaires continueront à ridiculiser l’état de droit dans ce pays et à normaliser le crime. Si on lui permet de continuer, l’industrie des options binaires continuera à laisser ce délit organisé séduire des milliers de jeunes Israéliens.
Le Times of Israël a évoqué le suicide tragique de Fred Turbide au Canada il y a trois mois, après qu’il a été escroqué par une entreprise israélienne d’options binaires.
Si cette tardive législation est mise en échec, Israël ne pourra pas alors dire : « Ne nous blâmez pas. Nous ne savions pas », lorsque sera évoquée la destinée d’un autre Fred Turbide. Israël ne pourra toujours pas dire : « Ne nous blâmez pas. Nous ne savions pas », quand émergera le mal commis par des milliers de nos concitoyens sans scrupules envers d’autres. Et à nous-mêmes.
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Les victimes d’entreprises d’options binaires sont invitées à entrer en contact avec le Times of Israel, et/ou la police israélienne, et/ou l’Autorité israélienne des Titres, et/ou le ministère de la Justice. Les employés actuels ou anciens des entreprises frauduleuses sont invités à faire de même.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel