Netanyahu et le nouvel Israël de droite
Tous les sondages montrent une forte poussée de la droite en 2015. Même si Netanyahu parvient à construire une large coalition, sera-t-elle la meilleure pour Israël ?
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Depuis que Benjamin Netanyahu a renvoyé Yaïr Lapid et Tzipi Livni, les premiers sondages d’opinion décrivent un renforcement de la droite israélienne avant les élections du 17 mars.
Sauf qu’ils ne montrent pas un simple renforcement de la droite ; ils montrent une droite qui est montée en flèche – et qui bénéficie d’une augmentation spectaculaire qui, si elle se maintient le jour du scrutin, modifiera la politique israélienne et les relations internationales.
Lors de sa conférence de presse de mardi soir qui pouvait s’intituler « Ils sont virés, votez Likud ! », Netanyahu a déploré avoir dû intégrer Yesh Atid et Hatnua dans son gouvernement en 2013 parce que le camp dirigé par le Likud n’avait pas remporté suffisamment de sièges à la Knesset.
Le Likud renforcé par Yisrael Beitenu avait réussi à obtenir 31 sièges, Habayit Hayehudi de Naftali Bennett avait obtenu 12 sièges. Même avec les deux partis ultra-orthodoxes (Shas, qui a remporté 11 sièges et Yahadout hatorah, qui en a remporté 7), Netanyahu n’était pas parvenu à concocter la plus étroite majorité de coalition, c’est-à-dire 61 sièges.
Il lui fallait se battre pour gagner chaque vote de la Knesset, ne pas se montrer vulnérable à l’effet de levier ultra-orthodoxe – et être donc facilement moqué par ses opposants comme le chef d’un gouvernement pris en otage par les ultra-orthodoxes aux frais du grand public israélien.
Et ces centristes gênants et ce centre-gauche avaient dû être impliqués dans la coalition – en partie parce que Bennett et Lapid étaient alliés à l’époque. Et Netanyahu s’est vu gêné par ces alliés voire « plombé » par eux, comme il l’a dit mardi soir, que ce soit sur l’Iran, les Palestiniens, la construction à Jérusalem, la politique économique etc.
Les trois premiers sondages instantanés, mardi soir et mercredi matin, pour les Deuxième et Dixième chaînes, et pour Walla, prédisent un tableau très différent pour la prochaine Knesset, d’ici trois mois et demi.
Les trois sondages produisent des résultats très similaires les uns aux autres, ce qui indique que le Likud, Yisrael Beitenou et le nouveau parti pas encore nommé de l’ancien ministre Likud Moshe Kahlon obtiendraient, ensemble, de 49 à 51 sièges – une énorme poussée par rapport aux 31 sièges remportés par Likud-Yisrael Beitenu en 2013.
Habayit Hayehudi gagnerait également 5 sièges – dans les trois sondages – et en obtiendrait 17. Cela signifie que la droite pourrait rassembler une coalition de 66 à 68 sièges – une majorité saine à la Knesset – sans avoir besoin d’une aide extérieure. Sans dépendre des goûts de Livni ou de Lapid. Sans dépendre ni de Shas ni des haredim ashkénazes. Les partis ultra-orthodoxes pourraient être invités dans la coalition, mais ils n’auraient pas l’effet de levier escompté. (* Les chiffres complets des sondages figurent à la fin de l’article).
Les sondages peuvent très certainement changer. Les élections se dérouleront dans plus de trois mois, et nous sommes dans l’instable Moyen-Orient.
Le parti de Bennett pourrait croître encore et éclipser le Likud. Kahlon pourrait émerger comme une véritable alternative à Netanyahu. Compte tenu des anciens électeurs de Yesh Atid, Kahlon, qui se veut opposant à un Etat palestinien et au démantèlement des implantations, pourrait de manière improbable choisir de se repositionner en homme du centre.
Les partis arabes, en s’unissant, pourraient eux aussi croître de manière significative. Un nouveau visage pourrait émerger sur le centre-gauche, avec un fond de sécurité, pour contester les sombres perspectives régionales de Netanyahu.
Une coalition improbable entre travaillistes, Yisrael Beitenou, Kahlon, Yesh Atid, Hatnua, et les partis ultra-orthodoxes pourrait, à elle seule, moquer toute l’arithmétique électorale conventionnelle (j’insiste sur improbable). Et de nombreux autres changements inattendus pourraient entrer en jeu.
Néanmoins, la tendance que ces enquêtes montrent est unique et potentiellement très importante.
Quand les Israéliens se sont rendus aux urnes la dernière fois, en janvier 2013, le Printemps arabe avait déjà tourné vers l’Hiver arabe et la région avait déjà profondément commencé à s’enfoncer dans la tourmente et l’instabilité qui demeure à ce jour. Au milieu de la montée de l’extrémisme islamique et de l’imprévisibilité générale au Moyen-Orient, il a été largement anticipé qu’Israël se déplacerait fermement vers la droite.
On s’attendait déjà à ce que les électeurs élisent plus d’hommes politiques qui, d’abord et avant tout, souhaitent éviter toute tentative de compromis territorial avec les Palestiniens, au vu de la préoccupation constante que les extrémistes s’emparent du pouvoir en Cisjordanie si Tsahal devait s’y retirer, exactement comme ce que le Hamas avait fait à Gaza en 2007.
Mais les électeurs israéliens n’ont pas vraiment agi en conséquence. Les élections de 2013 ont vu la droite se contracter légèrement, le centre maintenir ses positions, et la gauche augmenter légèrement sa représentation – posant toutes les difficultés à Netanyahu pour renforcer sa coalition. Malgré une légère diminution, la droite israélienne est devenue décomplexée et… davantage de droite.

Bennett est devenu l’étoile montante de la droite en 2013. Il soutient l’annexion de 60 % de la Cisjordanie. Son collègue et rival du parti Uri Ariel, qui est devenu le ministre du Logement, voudrait annexer toute la Cisjordanie. Et le Likud de la Knesset 2013 est nettement plus belliciste que dans la Knesset précédente – avec les Danny Danon, Tzipi Hotovely, Miri Regev et Moshe Feiglinqui qui ont remplacé les modérés qu’étaient Dan Meridor et Michael Eitan.
Les sondages d’opinion de mardi et mercredi suggèrent que, cette fois, l’électorat va fermement balancer vers la droite – que le centre et la gauche (travaillistes, Hatnua, Meretz, Yesh Atid et Kadima) vont se flétrir de 48 sièges dans la Knesset sortante à 32 ou 33 sièges en mars. (Kadima devrait certainement disparaître, et je ne donne pas cher non plus du parti de Tsipi Livni.)
Tactiquement, si les résultats du sondage sont répliqués le 17 mars, Netanyahu sera capable de regarder en arrière avec une immense satisfaction sur la bombe de cette semaine visant à faire éclater la coalition et à passer à une dissolution du Parlement et à de nouvelles élections. Cependant, il y a quelques mises en garde – pour lui et pour chacun d’entre nous.
Malgré toutes les récriminations du chef de l’exécutif envers Lapid et Livni, leur présence dans sa coalition, en tant que partisans d’une solution à deux Etats, le protégeait – et, par extension, Israël – de critiques internationales bien plus intenses sur la politique de son gouvernement.
Tant que Livni était à ses côtés, ministre de la Justice et négociatrice en chef avec les Palestiniens, qui pouvait vivement répéter que le problématique Abbas était néanmoins un partenaire de paix potentiel, la rhétorique de Netanyahu pouvait malgré tout évoquer la recherche d’un accord avec les Palestiniens et le monde arabe et ne pas être entièrement dépourvue de crédibilité. Non, cela ne sera absolument plus le cas si le gouvernement n’a pas de composante centriste.
Sous le Premier ministre Netanyahu version 2015, une coalition comprenant le Likud, HaBayit HaYehudi, Yisrael Beitenu, le parti de Moshe Kahlon, et éventuellement les ultra-orthodoxes, serait perçue comme une coalition à sens unique : belliciste, intransigeante en ce qui concerne les Palestiniens, et pleinement engagée à l’expansion des implantations.
Les campagnes BDS contre Israël iraient en s’intensifiant. La reconnaissance unilatérale d’une Palestine sans relations apaisées avec Israël aurait un élan supplémentaire. L’empathie internationale pour Israël, à la prochaine reprise des attaques par le Hamas de Gaza ou du Hezbollah au sud Liban, serait de plus courte durée.
Réélu Premier ministre une nouvelle fois, à la barre d’une coalition moins remuante, Netanyahu pourrait néanmoins regretter amèrement le jour où il a expulsé Lapid et Livni. Et cela pourrait être le cas de nombreux Israéliens et partisans d’Israël.
Dans la chaleur de son amère conférence de presse de mardi, et dans les jours tendus et les heures précédentes, Netanyahu a apparemment oublié l’importance d’avoir été en mesure de se présenter – en Israël et à l’étranger – comme le leader d’une coalition politiquement diversifiée, comme l’homme du milieu au pragmatisme tempéré.
Débarrassé de Livni et Lapid, les problèmes de la coalition de Netanyahu ne seraient pas à mettre au passé. Les deux autres leaders des partis de sa coalition sont tout sauf des « yes man ». Liberman et Bennett ont passé tout l’été à fustiger publiquement la conduite des opérations de leur propre gouvernement au cours de la guerre avec le Hamas.
Par exemple, le ministre des Affaires étrangères a lancé une attaque directe contre Netanyahu le 15 juillet. Liberman a convoqué une conférence de presse au cours de laquelle il a décrit la reconquête de Gaza comme étant le seul moyen de mettre fin aux attaques de roquette du Hamas une bonne fois pour toutes. Au cours de cette conférence, il a tourné en dérision « toute cette hésitation » au sujet d’une réponse militaire israélienne aux tirs de roquettes.
Pour sa part, le ministre de l’Economie Bennett a demandé à plusieurs reprises qu’Israël mène une offensive beaucoup plus vaste à Gaza, bien plus vaste que son propre gouvernement dirigé par Netanyahu était prêt à mener. Bennett a aussi exhorté Israël à vaincre le Hamas une bonne fois pour toutes, le désarmer, et mettre en place à Gaza le même système qu’en Cisjordanie – « sans usines de missiles, de lanceurs, de roquettes et de tunnels ».
La rumeur suggère que Bennett, qui est comme Netanyahu diplômé de l’unité d’élite de reconnaissance de l’état-major général de l’armée israélienne (Sayeret Matkal), aimerait devenir le ministre de la Défense dans le prochain gouvernement Netanyahu.
Étant donné que les sondages suggèrent que la popularité de Bennett pourrait faire de lui un rival potentiel pour le poste de Premier ministre, Netanyahu pourrait difficilement lui refuser le poste de ministre de la Défense.
Mardi soir, Netanyahu a cité ses relations professionnelles harmonieuses avec le ministre de la Défense Moshe Yaalon comme l’un des rares éléments positifs de la coalition sortante ; une collaboration paisible entre le Premier ministre Netanyahu et le ministre de la Défense Naftali Bennett est difficilement envisageable.
Et enfin, dans ce bref catalogue de mises en garde pour Netanyahu, il importe de souligner qu’il est toujours confronté au défi des primaires au Likud.
Le 6 janvier, il sera presque certainement réélu comme le chef du parti. Mais Moshe Feiglin, un de ses rivaux, avait suffisamment de soutien pour remporter un vote de procédure lors de la dernière réunion du comité central du Likud qui a eu lieu le 10 novembre ; et les camps Feiglin, Danon, Hotovely et Regev feront de leur mieux pour sélectionner une liste Likud dépourvue de représentants enclins à accepter un Etat palestinien.
En bref, le chef du Likud, Netanyahu, pourrait bien se trouver à la tête d’une faction à la Knesset dans laquelle il serait le seul membre offrant un soutien, même conditionnel, à une solution à deux Etats.
Et le Premier ministre Netanyahu pourrait bien se trouver à la tête d’une coalition dans laquelle il serait l’un des membres les plus pacifistes, luttant constamment contre les demandes de ses collègues, qui non seulement exigeront de lui l’accélération de l’expansion des implantations, mais aussi l’annexion de certaines parties de la Cisjordanie.
Revenant joyeusement dans son bureau en tant que leader d’une coalition théoriquement beaucoup moins problématique, le quatrième mandat du Premier ministre Benjamin Netanyahu ferait alors face à une pression interne quasi unanime pour la mise en place de politiques plus bellicistes que lui-même n’est prêt à mettre en œuvre.
Il sera aussi confronté à la recrudescence de l’opposition intérieure qu’il devra désamorcer et à la clameur de l’indignation internationale et l’isolement croissant de l’État d’Israël.
Il pourrait en venir à regretter Livni et Lapid. Ou peut-être qu’il a déjà prévu tout cela, et pense qu’il s’en sortira très bien.
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* Selon le sondage de mardi soir de la Dixième chaine, le Likud gagnerait 22 sièges, HaBayit HaYehudi 17, les travaillistes 13, Yisraël Beitenu 12, le parti encore sans nom de Moshe Kahlon 12, Yesh Atid 9, les partis arabes 9, Yahadut Hatorah 8, Shas 7, Meretz 7, et Hatnua 4.
Le sondage de la Deuxième chaîne a révélé que le Likud aurait 22 sièges, HaBayit HaYehudi 17, les travailliste 13, les partis arabes 11, Kahlon 10, Israël Beitenou 10, Yesh Atid 9, Shas 9, Yahadut Hatorah 8, Meretz 7, et Hatnua 4.
Le sondage du mercredi matin de Walla a donné 23 sièges du Likud, 17 à HaBayit HaYehudi, 12 aux travaillistes, 12 à Yisraël Beitenu, 11 à Yesh Atid, 10 à Kahlon, 10 aux partis arabes, 8 au Yahadut Hatorah, 7 à Shas, 5 à Meretz, et 5 à Hatnua.