Netanyahu place Israël sur le chemin d’une véritable « dictature démocratique »
Dans un climat politique fébrile, le Premier ministre doit le savoir : quand les divisions sont particulièrement aigües, tout le monde n'est pas capable de s'arrêter au bon moment
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Yariv Levin l’a dit, la semaine dernière, devant la nation tout entière : Cela fait vingt ans qu’il formule des propositions pour restreindre les pouvoirs de la Haute cour.
Pendant la plus grande partie de ces deux décennies, alors que Levin était un membre à la fois loyal et respecté au sein du Likud, ce projet l’avait mis en désaccord avec Benjamin Netanyahu, défenseur de longue date de l’indépendance et de l’autorité de la Cour (eh oui..!).
Revenant au pouvoir le 29 décembre dernier, Netanyahu avait transmis le signal que Levin pourrait enfin mener à bien sa révolution judiciaire en le nommant ministre de la Justice. Et mercredi dernier, donc six jours plus tard seulement, Levin a dévoilé son redoutable plan d’attaque.
Ce programme a été révélé la veille de l’audience, à la Haute cour, consacrée aux requêtes remettant en cause le « caractère raisonnable » des nominations ministérielles du criminel récidiviste Aryeh Deri, le chef du Shas. L’une des quatre propositions entrant dans le cadre de la « première phase » de réforme promise par le ministre du Likud serait l’incapacité, pour les juges, d’invoquer cette règle de « caractère raisonnable ». Si ce ministre atteint son objectif, le type d’examen judiciaire en cours concernant l’aptitude de Deri à devenir ou non ministre deviendra tout simplement impossible.
Les « réformes » de Levin rendraient la Cour presque totalement incapable de déjouer les objectifs poursuivis par une coalition au pouvoir, quelle que soit sa couleur politique, – et que ces objectifs soient soutenus par le biais d’une décision du gouvernement ou par une législation votée au Parlement. Car les « réformes » de Levin exigent « une majorité spéciale » dans un panel élargi de magistrats pour invalider toute loi et/ou toute décision semblant contrevenir aux Lois fondamentales, quasi-constitutionnelles dans le pays. Et même si un tel cas de figure devait se produire, la majorité en place pourrait tout simplement relégiférer les textes invalidés en recourant à la clause dite « dérogatoire ». La réadoption d’une loi serait possible seulement si les 15 juges de la Haute cour de Justice devaient décider, à l’unanimité, de l’annuler – ce qui ne sera pas une mince affaire, et ce qui le sera d’autant moins si l’on prend en compte une autre « réforme » de Levin selon laquelle la majorité en place aurait les pleins pouvoirs au sein de la Commission chargée de sélectionner les juges à la Haute cour…
Même l’ancien président de la Cour suprême, Aharon Barak, avait fait part de son soutien à une réforme consacrée au réexamen de l’équilibre des pouvoirs entre l’exécutif et le système judiciaire israélien – nos deux branches puissantes du gouvernement et les seules, le Parlement se trouvant aux mains d’une majorité. Barak, lui-même, a déclaré que dans le cadre d’une nouvelle Loi fondamentale : La législation, il serait favorable à une clause dite « dérogatoire » dans la mesure où elle nécessiterait un certain degré de consensus entre la coalition et l’opposition, ce consensus de 90 députés et non 61 comme le souhaite Levin permettant de relégiférer un texte précédemment invalidé par les magistrats. Mais ce que Levin a l’intention de mettre en place, a affirmé Barak dans trois entretiens désespérés qui ont été diffusés samedi à la télévision, neutralisera la Cour et laissera les Israéliens sans protection contre la suppression de leurs droits – si une telle initiative devait être décidée par le Premier ministre et par son gouvernement.
Prédisant que le plan de Levin, s’il devait pleinement se réaliser, marquerait « le début de la fin de l’Israël moderne », Barak a paraphrasé le pasteur allemand, Martin Niemoller, reprenant sa complainte sur le silence terrible qui régnait face à l’essor du nazisme, pour mettre en garde les Israéliens et leur demander qu’ils ne soient pas cet homme qui dit : « Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai rien dit, je n’étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les libéraux, je n’ai rien dit, je n’étais pas libéral. » Parce que « quand finalement ils viendront chercher ma famille, il n’y aura plus personne vers qui se tourner. C’est ce qui risque d’arriver probablement », a-t-il déploré.
Dans son plaidoyer (vraiment) désespéré, Barak a proposé d’offrir sa vie si cela pouvait, d’une manière ou d’une autre, empêcher ces réformes funestes, et il a suggéré que s’il se trouvait dans la même Cour qu’il avait présidée entre 1995 et 2006, il démissionnerait plutôt que de rester à faire respecter, tout simplement, les quatre volontés du Premier ministre. Bien entendu, rien ne ferait plus plaisir à Levin, et très certainement aussi à Netanyahu, que la démission massive des juges qui siègent actuellement au sein de la plus haute instance judiciaire d’Israël, des magistrats relativement divers ; ne serait-ce que parce que cela rendrait assurément beaucoup plus facile la tâche de les remplacer par des personnalités moins dérangeantes.
Dans une interview, publiée mercredi matin dans le Times of Israel, un ancien vice-président du tribunal, Elyakim Rubinstein, a estimé que « démissionner est l’expression d’un désespoir, et nous ne devons pas en arriver là ». Il a pourtant établi clairement qu’il partageait la détresse exprimée par Barak face à un glissement potentiel vers ce qu’il a appelé « une dictature démocratique » – un oxymore généralement plus habituellement réservé à la constitution de la République populaire de Chine.
Ostensiblement magnanime dans sa volonté déclarée de « restaurer » la démocratie israélienne, Levin assure que son projet sera pleinement débattu à la fois à la Commission de la Constitution, du droit et de la Justice et en séance plénière ; que « tous les points de vue » seront entendus et que le processus législatif sera « patiemment » mené. Mais Levin a aussi déclaré qu’il espérait que le texte final refléterait ses propositions de la manière la plus étroite possible et il a fait savoir que « rien ne pourra [l]’en dissuader ». Un responsable du bureau du député radical Simcha Rothman (HaTzionout HaDatit) a indiqué au Times of Israel que le gouvernement comptait bien graver les propositions dans le marbre de la loi d’ici la fin du mois de mars, juste avant les grandes vacances de Pessah.
Si, ou plutôt, semble-t-il, quand la Cour perdra sa capacité à protéger les Israéliens face aux abus de son gouvernement de la ligne dure, nous savons d’ores et déjà à quoi nous attendre. Les accords de coalition conclus entre le Likud et ses partenaires ultra-orthodoxes et d’extrême-droite prévoient, par exemple, une législation qui rendra légale la discrimination sur la base des convictions religieuses ; une exemption encore plus importante des membres de la communauté ultra-orthodoxe du service militaire ou des services nationaux ; des fonds publics versés aux écoles ultra-orthodoxes qui n’enseignent pas les matières fondamentales, avec une supervision limitée ; la légalisation d’avant-postes de Cisjordanie considérés jusqu’à présent comme illégaux parce qu’ils avaient été construits sur des terres privées palestiniennes ou la limitation des dispositions de la Loi du retour – tous ces domaines où la Haute cour intervenait ou où était susceptible d’intervenir auparavant.
Et alors même que le poids écrasant des réformes que Levin et la coalition dirigée par Netanyahu ont l’intention d’imposer se fait ressentir dans une partie au moins de l’électorat, les appels à y résister par des mouvements de protestation et des manifestations massives se font entendre de plus en plus fort – comme c’est le cas aussi des expressions d’intolérance de la part des membres de la coalition, ulcérés par une telle résistance.
Lundi, le chef de l’opposition Yair Lapid a promis « une guerre pour notre foyer » tandis que Benny Gantz, qui était ministre de la Défense il y a encore deux semaines, a averti que la refonte du système de la justice pourrait entraîner une « guerre civile », exhortant les Israéliens à descendre dans les rues dans le respect de la loi. « Le moment est venu de sortir en masse et de manifester, le moment est venu de faire trembler le pays, » avait-il ajouté.
En réponse, mardi après-midi, le député Zvika Fogel d’Otzma Yehudit a accusé les deux hauts-responsables ainsi que deux autres critiques fervents de la refonte, les anciens députés Yair Golan et Moshe Yaalon, de « trahison envers l’État », réclamant qu’ils soient arrêtés. « Ils parlent maintenant de guerre… S’ils appelaient à manifester, je leur donnerais tous les droits de le faire. Mais ils parlent de moi comme d’un ennemi ».
Quelques heures plus tard seulement, Netanyahu a réprimandé Fogel – sans ambiguïté, mais avec une pirouette. « Dans un pays démocratique, les dirigeants de l’opposition ne sont pas arrêtés »… Puis il a continué : « Tout comme les ministres d’un gouvernement ne sont pas qualifiés de nazis, tout comme les gouvernements juifs ne sont pas appelés le Troisième reich et tout comme la désobéissance civile n’est pas encouragée ». Cette référence faite aux nazis portait sur des pancartes qui établissaient une comparaison entre les nazis, Levin et le gouvernement israélien et qui avaient été aperçues lors d’un rassemblement anti-gouvernement à Tel Aviv, dans la soirée de samedi. Les responsables de l’opposition n’ont à aucun moment comparé les manoeuvres du 6e gouvernement Netanyahu au Troisième reich.
Le leader de la faction de Fogel, le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, a déclaré ce mercredi matin au micro de la radio militaire (que son collègue Shlomo Karhi veut faire fermer) que si les forces de police qu’il supervise n’arrêteraient pas ses opposants politiques, il « comprenait parfaitement » le sentiment de Fogel « qui se réveille tous les jours en découvrant des menaces proférées contre lui et contre son État, contre tout notre État ».
Ben Gvir réclame une réponse policière plus dure aux mouvements de protestation, notamment en arrêtant les manifestants « déchaînés qui bloquent les routes », et il a déploré le traitement plus sévère, selon lui, qui est réservé par les forces de l’ordre aux manifestants ultra-orthodoxes qui dénoncent le service militaire à Jérusalem par rapport à la gestion policière des rassemblements de Tel Aviv. L’égalité devant les canons à eau.
Rappelons que Ben Gvir a acquis une certaine notoriété avant l’assassinat d’Yitzhak Rabin lorsque, au cours d’une interview télévisée, il avait fièrement brandi l’insigne qu’il avait arraché de la Cadillac de Rabin en déclarant : « Nous atteindrons aussi Rabin ».
Une manifestation bien plus large que la semaine dernière est prévue à Tel Aviv, samedi soir.
Dans le climat politique fébrile qui règne actuellement, alors que la démocratie israélienne est remise en question comme elle l’a rarement été auparavant, ce rassemblement fera figure, d’une certaine façon, de test (notamment pour les organisateurs qui voudront attirer le public le plus large possible tout en rassurant les citoyens inquiets qui, par ailleurs, pourraient se sentir mal à l’aise à la vue d’un drapeau palestinien ou être choqués par des pancartes faisant référence aux nazis.)
Netanyahu, qui a promis qu’il se tiendrait fermement à la barre de son gouvernement de droite dure, a donné carte blanche à Levin, observé les inquiétudes croissantes et prévisibles de l’opposition, entendu un membre d’extrême-droite de sa coalition lancer de graves accusations de trahison à l’encontre des chefs de l’opposition et l’a gentiment renvoyé dans ses foyers. Cependant, comme Israël – et Netanyahu – le savent malheureusement trop bien, quand les divisions sont particulièrement aigües, tout le monde n’est pas capable de s’arrêter au bon moment.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel