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Netanyahu tient-il son approche historique non-conformiste de son père?

La position de Netanyahu sur le rôle d'al-Husseini pendant la Shoah est similaire à la position de Benzion Netanyahu sur les Marranes

Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Benjamin Netanyahu avec son père, le professeur Benzion Netanyahu, dans sa maison de Jérusalem, en 2013. (Crédit : Nati Shohat/Flash90)
Benjamin Netanyahu avec son père, le professeur Benzion Netanyahu, dans sa maison de Jérusalem, en 2013. (Crédit : Nati Shohat/Flash90)

Malgré l’indignation dans le monde entier, le Premier ministre Benjamin Netanyahu se révèle être peu disposé à revenir sur ses propos controversés sur Hitler, la Seconde Guerre mondiale et le mufti palestinien de Jérusalem, insistant sur le fait que Hadj Amin al-Husseini a joué un rôle central en encourageant les nazis à exterminer les juifs.

Netanyahu fonde son affirmation controversée sur des sources historiques, qui – prises de premier abord – soutiennent en effet l’affirmation selon laquelle le mufti a joué un rôle essentiel dans le plan du führer pour anéantir le peuple juif. Ces sources sont vivement contestées par les historiens les plus sérieux. Mais cela dit, le Premier ministre n’est pas le premier membre de sa famille à nager à contre-courant.

En défendant une approche non-conformiste de l’Histoire, Netanyahu suit les traces de son défunt père, Benzion Netanyahu, dont les vues sur les Marranes, des Juifs espagnols du Moyen-Âge contraints de se convertir au christianisme, ont été rejetées par la majorité de ses collègues.

Netanyahu est entré dans le champ miné de la responsabilité de la Shoah lors d’un discours prononcé mardi devant les délégués au Congrès sioniste mondial à Jérusalem. Il a soutenu qu’Hitler n’avait initialement pas eu l’intention d’anéantir les Juifs mais avait plutôt cherché à les expulser d’Europe. Il n’aurait changé d’avis qu’après une rencontre à Berlin à la fin de l’année 1941 avec al-Husseini – qui était le grand mufti de Jérusalem de 1921 à 1948, et le président du Conseil suprême musulman de 1922 à 1937.

« Hitler ne voulait pas exterminer les Juifs à l’époque [de la rencontre entre le mufti et le leader nazi]. Il voulait expulser les Juifs », a affirmé Netanyahu. « Et Hadj Amin al-Husseini est allé voir Hitler et lui a dit : ‘Si vous les expulsez, ils vont tous venir ici [en Palestine mandataire]’ », a poursuivi le Premier ministre. «’Alors, que dois-je faire avec eux? ‘a-t-il [Hitler] demandé », selon Netanyahu. « Il [Husseini] a dit, ‘brûlez-les’ ».

Défendant mercredi ses propos controversés alors qu’il était en route pour Berlin, le Premier ministre a déclaré : « Il y a beaucoup de preuves à ce sujet, dont le témoignage au procès de Nuremberg de l’adjoint d’ [Adolf] Eichmann – pas maintenant, mais après la Seconde Guerre mondiale ».

Netanyahu a ensuite cité deux déclarations attribuées à l’Hauptsturmführer Dieter Wisliceny, qui a servi sous Eichmann au département des affaires juives de l’Office central de sécurité du Reich et qui à partir de 1940 a occupé la fonction de conseiller aux affaires juives pour le gouvernement slovaque, en participant à la déportation des Juifs de Slovaquie, de Grèce et de Hongrie :

« Pour moi, le grand mufti, qui était à Berlin depuis 1941, a joué un rôle dans la décision du gouvernement allemand d’exterminer les Juifs d’Europe, dont l’importance ne doit pas être négligée. Il a suggéré à plusieurs reprises à diverses autorités, avec qui il a été en contact, surtout devant Hitler, Ribbentrop et Himmler, l’extermination des Juifs d’Europe. Il considérait cela comme une solution confortable pour le problème de la Palestine ».

Cette citation est tirée du procès de Nuremberg de 1946. Netanyahu a également cité une phrase que Wisliceny aurait prononcé à Bratislava alors que la Shoah faisait rage, en 1944:

« Le mufti était l’un des instigateurs de l’extermination systématique des Juifs d’Europe et était un partenaire et un conseiller d’Eichmann et d’Hitler pour la réalisation de ce plan ».

« La tentative de certains chercheurs et personnes d’être des apologistes du rôle clé et important de Hadj Amin al-Husseini est claire », a déclaré mercredi un Netanyahu impénitent. « Beaucoup d’autres chercheurs citent ce témoignage et d’autres concernant le rôle de Hadj Amin al-Husseini ».

Dieter Wisliceny (Crédit : Wikipedia)
Dieter Wisliceny (Crédit : Wikipedia)

Netanyahu n’est pas le premier à citer les citations de Wisliceny. Elles sont reprises, par exemple, dans un livre datant de 2012, « Israel: The Will to Prevail », écrit par l’homme que Netanyahu a récemment nommé comme son ambassadeur aux Nations unies, Danny Danon. Mais Danon reconnaît la problématique de son affirmation : « Certains historiens ont jeté le doute sur l’implication d’al-Husseini dans la ‘solution finale’, a-t-il écrit, car c’était déjà mis en place après [sic] l’arrivée d’al-Husseini sur scène ».

En fait, ce n’est pas certains, mais plutôt les historiens les plus sérieux qui doutent de la véracité du récit de Wisliceny.

Yehuda Bauer, un éminent spécialiste israélien de la Shoah , est un exemple de premier plan. « Après la guerre, ils l'(Wisliceny) ont attrapé et l’ont jugé à Nuremberg, où il a essayé d’éviter toute responsabilité, en disant : ‘Ce n’était pas Hitler, ce n’était pas moi, c’était le mufti’ », a expliqué jeudi Bauer au Times of Israel . « Je ne suis pas sûr que Wisliceny n’ait jamais rencontré le mufti. J’en doute mais cela n’a pas d’importance. Il est clair que sa déposition est fausse : les Allemands avaient commencé à éliminer les Juifs un an et demi avant qu’Hitler et le mufti ne se rencontrent. L’histoire de Netanyahu est entièrement sans fondement ». (Wisliceny a été exécuté pour crimes de guerre en 1948.)

Bauer, un professeur émérite d’Histoire et de l’Etude de la Shoah à l’Université hébraïque et un conseiller académique au mémorial de Yad Vashem d’Israël, est loin d’être le seul des historiens les plus prestigieux à rejeter la confiance de Netanyahu dans le témoignage de Wisliceny.

Le « déposition sur foi d’autrui de Wisliceny est non seulement non corroborée mais entre en conflit avec tout ce qui est connu sur les origines de la Solution finale », a écrit Rafael Medoff, le directeur du David Wyman Institute for Holocaust Studies basé à Washington, dans un article de 1996 pour le Journal of Israeli History.

« Il n’y a pas de confirmation documentaire indépendante des déclarations de Wisliceny et il semble peu probable que les nazis aient eu besoin d’un tel encouragement supplémentaire venant de l’extérieur », a écrit l’historien Bernard Lewis, un éminent érudit sur l’islam, en 1997.

Il y a quelques chercheurs qui sont prêts à croire au témoignage de Wisliceny. David Dalin et John Rothmann ont écrit, dans leur livre de 2008 « Icon of Evil : Hitler’s Mufti and the Rise of Radical Islam », qu’en recrutant les Musulmans de Bosnie pour les Waffen-SS, « al-Husseini a joué un rôle important dans l’extermination des Juifs européens par Hitler. Ce ne fut cependant pas sa seule contribution directe à la solution finale d’Hitler. À d’autres égards, le mufti a contribué activement à la Shoah ». Dans sa critique du livre écrite pour The New York Times, cependant, l’historien israélien, Tom Segev, a rejeté le livre comme ayant « peu de valeur scientifique » en raison de « l’absence de preuves solides » pour confirmer ses théories.

L’an dernier, Barry Rubin et Wolfgang Schwanitz ont publié Nazis, Islamists, and the Making of the Modern Middle East, dans lequel ils affirment que lors de leur rencontre en 1941 à Berlin, Hitler et al-Husseini « ont conclu le pacte du génocide juif en Europe et au Moyen-Orient, et immédiatement après, Hitler a donné l’ordre de se préparer à la Shoah. Le jour suivant, les invitations pour la conférence de Wannsee ont été envoyées à treize dignitaires nazis afin de commencer à organiser la logistique de cette assassinat en masse ». L’affirmation de ce livre, aussi, a été rejetée par les critiques. « L’affirmation selon laquelle al-Husseini était la main cachée derrière Adolf Hitler est invraisemblable, même stupide », a écrit David Mikics de l’université de Houston dans Tablet.

« Rubin et Schwanitz sont des historiens avec un agenda politique : ils veulent montrer que l’antisémitisme ‘éliminationniste’ anime le Moyen-Orient islamique, et ainsi, ils dépeignent al-Husseini comme si diablement antisémite qu’il peut concurrencer Hitler lui-même ».

Bauer, historien israélien de la Shoah , a fait écho à la critique que le livre apporte des affirmations peu convaincantes basées sur « des sources non fiables ».

Sans se décourager, Schwanitz est monté mercredi au créneau pour défendre Netanyahu, présentant comme un « fait historique » que « la collaboration du mufti avec Adolf Hitler a joué un rôle important dans la Shoah. Il était le conseiller extra-européen le plus important dans le processus de détruire les Juifs d’Europe ».

Une photo de la  rencontre de 1941  entre Adolf Hitler et le leader palestinien Hadj Amin al-Husseini (Crédit : Heinrich Hoffmann Collection/Wikipedia)
Une photo de la rencontre de 1941 entre Adolf Hitler et le leader palestinien Hadj Amin al-Husseini (Crédit : Heinrich Hoffmann Collection/Wikipedia)

Le fils de son père historien

Dans son insistance pour caractériser al-Husseini comme un acteur clé dans la réalisation de la Shoah, le Premier ministre endosse ainsi, une vue controversée minoritaire parmi les historiens – qui suit la meilleure tradition de la famille Netanyahu. Benzion, un expert en histoire des Juifs espagnols, avait fait valoir que les Marranes – également connu comme bnei anusim ou conversos – n’ont pas observé les lois et les rituels juifs pendant longtemps. Le marranisme, a-t-il affirmé contre l’opinion dominante des experts, est essentiellement un mythe.

La plupart des historiens sur l’Espagne médiévale, se fondant sur des sources issues de l’Inquisition, croient que les Marranes des 15ème, 16ème et 17ème siècle étaient effectivement des « crypto-Juifs ». Malgré le fait qu’ils se soient convertis, ils auraient vécu en secret une vie juive – ce que les spécialistes appellent la judaïsation. Ils se considéraient comme juifs et juives et étaient également considérés comme tels par l’environnement chrétien hostile.

Netanyahu-père, cependant, se fondant principalement sur des sources rabbiniques, a nié le caractère juif des Marranes. Il a affirmé que la judaïsation a disparu dès la première génération après l’expulsion, et que ce qui est communément appelé marranisme était en fait une invention de l’Inquisition pour persécuter les « nouveaux chrétiens » détestés. L’Inquisition, selon Benzion, ne cherchait pas seulement à effacer la pratique du judaïsme mais aussi à effacer toutes les traces de peuple juif.

La théorie de Netanyahu-père « n’a pas réussi à convaincre à l’exception d’une petite minorité », souligne le philosophe et historien israélien, Yirmiyahu Yovel, dans son livre publié en 2009 «&The Other Within: The Marranos ». « Aujourd’hui, la thèse révisionniste est largement considérée comme exagérée. La grande majorité des chercheurs convergent vers l’idée qu’un certain degré de judaïsation était une réalité historique ».

Un « ordre du jour idéologique (en fait , sioniste) tacite » peut être attribué aux deux points de vue sur le marranisme, explique Yovel. Ceux qui croient que les Marranes étaient effectivement judaïsés fournissent « à la conscience nationale juive moderne des héros et des martyrs ». Ceux qui, comme Benzion Netanyahu, en revanche, nient que les convertis de force aient secrètement continué d’être juifs, ajoute Yovel, suggèrent que « la vie juive dans la Diaspora est fragile et sujette à l’assimilation ».

On pourrait faire valoir que l’insistance du Premier ministre Netanyahu sur un narratif qui accuse de la Shoah un leader palestinien a également une base idéologique claire. Mais dans la mesure où il est davantage le dirigeant politique d’Israël qu’un érudit universitaire et en adoptant une position encore plus non conformiste, que certains critiques jugent qu’elle représente une absolution partielle d’Hitler, Netanyahu-fils a bien dépassé Netanyahu-père dans la fomentation de controverses incendiaires.

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