« Nous connaissons cette douleur »: à Antakya, les mineurs turcs prêtent main forte
La Turquie a un long héritage de catastrophes minières. Bien que de nature différente, ce tremblement ne pouvait les laisser indifférents
Une trentaine de mineurs, casques jaunes et blancs noircis, contemplent un immeuble en mille-feuilles d’Antakya, dans le sud de la Turquie, à un millier de kilomètres de chez eux, près de la Mer Noire.
« Nos cœurs ne pouvaient pas supporter ça ».
Chasuble jaune et hautes bottes noires, Ismail Hakki Kalkan, mineur depuis huit ans à Zonguldak (nord-ouest) a accouru avec ses camarades.
« Quand nous avons vu à la télévision ce qu’il se passait ici, nous avons compris que nous devions venir et nous voici » confie-t-il jeudi à l’AFP.
Ses collègues se tiennent droit, pioches, pelles, masses, scies à métaux et barres à mine en mains. Leurs outils du quotidien.
L’un d’eux fait reposer sur son épaule gauche une énorme cisaille en fer.
Ils ont mis 25 heures pour atteindre Antakya, cité anéantie par le séisme de lundi qui a fait plus de 21 000 morts en Turquie et en Syrie voisine et où les secours peinent à faire face au désastre.
Pays de charbon, la Turquie a un long héritage de catastrophes minières. Bien que de nature différente, ce tremblement de terre d’une magnitude de 7.8, qui a dévasté une dizaine de provinces du sud, ne pouvait les laisser indifférents.
« Aucun mot »
« Les catastrophes minières sont fréquentes ici. C’est pourquoi ces désastres nous touchent autant », reconnait Turgay Acikgoz, un autre mineur venu prêter main forte.
« Nous connaissons cette douleur, puisque nous y avons déjà goûté. Il n’y a aucun mot pour décrire ça. »
Les anciens du groupe gardent en mémoire la tragédie de 2010 : 30 mineurs tués par un coup de grisou dans leur mine de charbon, à Zonguldak.
En novembre, quatre mineurs y ont été blessés, dont deux grièvement, trois semaines seulement après que 42 autres eurent péri dans le même genre d’explosion 50 kilomètres plus loin.
Surtout, la Turquie reste marquée par la catastrophe de Soma, survenue en 2014: 301 mineurs tués dans une mine de charbon après une explosion et un incendie qui avaient provoqué l’effondrement d’un puits.
Soudain, une quinzaine de mineurs s’agitent et remontent le boulevard, où les voitures slaloment entre les décombres des bâtiments effondrés.
Les hommes se dirigent vers un immeuble réduit à un tas de débris, une rue plus loin. Selon les rescapés, plusieurs personnes se trouvent sous cette masse de béton et de ferraille.
Une pelleteuse aide à déblayer, puis un chef d’équipe de la mine de Zonguldak lui fait signe d’arrêter. Il fracasse à la masse un bloc de béton dont ses compagnons évacuent les éclats.
Six proches perdus
Le chef d’équipe, casque blanc, demande une couverture. Un enfant vient d’être découvert mort dans son lit.
Son père, bonnet et écharpe noirs, repart avec le corps enveloppé dans ses bras, sans un mot.
A quelques mètres de là, une femme dont les mèches claires s’échappent du foulard se tient aux côtés de sa fille.
Nesibe Kulubecioglu guide les mineurs : sa belle-mère, âgée de 80 ans, vivait dans un appartement de cet immeuble avec son fils, à un étage du leur.
Elle et sa fille ont pu s’extraire vivantes de leur lit et gagner la rue dans la nuit de dimanche à lundi – le séisme a frappé à 4H00 du matin.
La quinquagénaire, qui a perdu six proches dans le séisme, n’a plus l’espoir de les retrouver vivants. Elle en veut au gouvernement, dénonce la lenteur des secours.
Elle est cependant reconnaissante envers les mineurs, car eux seuls peut-être parviendront à extraire les corps de cet amas de décombres.
Ainsi seulement, pourra-t-elle entamer le travail de deuil: « Nous devons trouver un lieu pour les enterrer et repartir de zéro ».