Nouvelle tentative d’éviction de la procureure générale : vraie bataille ou matraque électorale ?
La Cour suprême va certainement freiner le limogeage de Baharav-Miara, ce dont les ministres sont bien conscients. Et il se pourrait qu'ils en profitent pour détourner l'attention de l'exemption de service des haredim

Légalement parlant, la résolution du gouvernement destinée à modifier la procédure de limogeage de la procureure générale semble vouée à l’échec en raison des graves problèmes de procédure qui l’entachent, sans parler de son contenu et de son calendrier, on ne peut plus problématiques.
Comme le sait pertinemment le gouvernement, des groupes de surveillance de la bonne gouvernance ont déposé des recours auprès de la Cour Suprême dès l’adoption de cette résolution par le Conseil des ministres, hier dimanche.
Les services de la procureure générale ont d’emblée fait savoir que cette nouvelle procédure – qui s’affranchit de l’avis d’un comité qualifié et donne aux ministres tout pouvoir pour limoger la plus haute personnalité du système judiciaire israélien – était totalement « illégale ». Il est donc plus que probable que la Cour prenne un référé contre cette mesure – comme elle l’a fait contre le limogeage du chef du Shin Bet sortant, Ronen Bar -, le temps pour elle d’examiner les recours.
Avec une crise constitutionnelle généralisée, face à laquelle l’actuel gouvernement ne fait rien, quel est donc le sens d’une résolution du Conseil des ministres à ce point bancale sur le plan du droit et si susceptible de se faire retoquer par la Cour suprême ?
Cette résolution a été adoptée sur fond de crise – sans doute la plus grave à ce jour au sein de l’actuelle coalition – qui voit le gouvernement poussé au bord du gouffre par les exigences des partis ultra-orthodoxes de faire à nouveau graver dans le marbre de la loi l’exemption générale de tout service militaire des étudiants de yeshiva, comme ce fut le cas des dizaines d’années durant.
Il s’agit d’une question politiquement ruineuse pour le Premier ministre Benjamin Netanyahu et son parti, le Likud, étant donné le large soutien du public pour que les hommes haredi soient enrôlés dans l’armée israélienne, en particulier dans le contexte de la guerre à Gaza qui s’éternise et dans laquelle le fardeau du service militaire est tombé sur toutes les parties de la société juive, à l’exception des ultra-orthodoxes.
Si Yahadout HaTorah et le Shas décident de voter en faveur de la dissolution de la Knesset et de la tenue de nouvelles élections parce que les rebelles du parti du Likud refusent de se plier aux ordres de Netanyahu et de voter la loi d’exemption de service militaire, alors ces élections seront dominées par la question de la conscription haredi.

Cela pourrait être catastrophique pour Netanyahu et le Likud, quotidiennement aux prises avec des messages de campagne et des discours disant qu’un nouveau gouvernement Netanyahu prendrait une loi sur l’exemption de service des haredim, avec pour effet de reporter le fardeau militaire sur le reste de la population.
Se pourrait-il donc que le ministre de la Justice, Yariv Levin, et le gouvernement dans son ensemble aient approuvé cette mesure en sachant pertinemment qu’elle ouvrirait un nouveau front contre le pouvoir judiciaire, avec dans l’idée d’en faire une sorte de matraque électorale ?
Si la Knesset lance effectivement sa procédure de dissolution dans les prochains jours, Levin et Netanyahu pourraient faire tourner la future campagne autour d’une question nettement plus susceptible de rassembler leur base politique, à savoir la prétendue tyrannie du système judiciaire sur le peuple.
Il ne se passe pas une semaine, depuis l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement il y a de cela deux ans et demi, sans que ses ministres – et parfois même le gouvernement dans son entier – s’en prennent à la procureure générale, à la Cour Suprême ou au reste des institutions judiciaires, accusant une « élite » libérale de dominer ces institutions et de s’opposer à la volonté du peuple depuis des décennies.
Mener une campagne électorale en promettant, une fois pour toutes, de « libérer » le peuple de la « dictature du droit », en faisant de la figure de la procureure générale son symbole, serait une bien meilleure carte à jouer par le bloc dirigé par Netanyahu que la sempiternelle question de l’exemption de service des ultra-orthodoxes, avec les impératifs de coalition que cela suppose.
Dans l’avis juridique rédigé sur la mesure, le procureur général adjoint, Gil Limon, évoque l’idée que la résolution adoptée en Conseil des ministres ce dimanche serve à alimenter la querelle avec le pouvoir judiciaire.
« Il semble que le but [de cette résolution] soit d’affaiblir et dissuader les gardiens [des forces de l’ordre], et de créer une nouvelle confrontation avec les institutions judiciaires », a-t-il écrit.
La méthode approuvée par les ministres, ce dimanche, pour limoger la procureure générale permet au gouvernement de s’affranchir de la procédure consacrée – qui exige que le gouvernement consulte au préalable un comité statutaire, ce que le gouvernement est incapable de faire – et de donner le pouvoir à un simple comité ministériel de recommander ou non la révocation de Gali Baharav-Miara, l’actuelle titulaire du poste.

Pour la Cour suprême, le fait de vouloir prendre des lois ou modifier des procédures consacrées avec des visées de court terme ou sectorielles est impensable, surtout dans le cas de procédures en cours.
Il est tout aussi impensable que l’actuelle Cour Suprême approuve la nouvelle procédure de limogeage de la procureure générale, alors que Levin a initié la précédente, sans succès, et souhaite précisément la modifier en raison de cet échec.
Ne parlons pas de la manière dont cette résolution a été rédigée, sans consultation aucune avec les services de la procureure générale, ni de la façon dont elle livre le procureur général, figure clé de l’État de droit en Israël, aux caprices du gouvernement et de son comité ministériel.
Lorsque la Cour s’opposera à la mise en œuvre de cette résolution – si tant est qu’elle le fasse -, Levin et les autres ministres, qui pestent à longueur de temps contre le pouvoir judiciaire, auront des raisons de le faire contre cette décision et de s’engager, lors de la campagne électorale, à y remédier une fois revenus au pouvoir.
L’urgence de cette question pourrait alors être utilisée pour étouffer les cris de protestation concernant l’exemption de service des haredim.
C’est bien cela, et non une volonté réelle de limoger manu militari la procureure générale, qui semble être derrière cette ultime tentative, dimanche, de bousculer l’establishment judiciaire d’Israël.
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