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Pittsburgh: Deux médias s’unissent pour le procès de la fusillade Tree of Life

Initiative inhabituelle de coopération, le Pittsburgh Union Progress et le Jewish Chronicle ont mis de côté leur concurrence au service d'une communauté encore traumatisée

Torsten Ove, àç gauche, du Pittsburgh Union Progress et Adam Reinherz du PIttsburgh Jewish Chronicle au premier jour de la sélection du jury dans le procès du massacre de la synagogue de Pittsburgh, le 24 avril 2023. (Crédit : Toby Tabachnick via JTA)
Torsten Ove, àç gauche, du Pittsburgh Union Progress et Adam Reinherz du PIttsburgh Jewish Chronicle au premier jour de la sélection du jury dans le procès du massacre de la synagogue de Pittsburgh, le 24 avril 2023. (Crédit : Toby Tabachnick via JTA)

PITTSBURGH (JTA) — A combien de reprises le nom du tireur de la synagogue doit-il être cité dans un article consacré à son procès – un procès qui commence maintenant, plus de quatre ans après l’horreur ?

Pour le Pittsburgh Union Progress, le mois dernier, la réponse avait été sept. Pour le Pittsburgh Jewish Chronicle, cela avait ét un cinq laborieux, se distinguant du zéro habituel – un nombre choisi par respect pour une communauté dévastée par l’attaque.

C’est une différence légère, et l’unique divergence entre une série d’articles qui avaient été publiés par les deux médias dans le cadre de leur couverture du procès de Robert Bowers, qui est accusé d’avoir assassiné onze Juifs qui priaient dans leur synagogue en 2018.

Une anomalie qui offre un aperçu d’un partenariat inhabituel entre les deux publications – le journal juif de la ville et le site d’information créé par des personnels en grève du Pittsburgh Post-Gazette — un partenariat qui est né au mois de février, quand il est clairement apparu que le procès durerait des mois.

La rédactrice en chef du Pittsburgh Jewish Chronicle, Toby Tabachnick, redoutait la couverture du procès, avec un personnel de seulement trois personnes à l’éditorial : elle-même et deux journalistes, David Rullo et Adam Reinherz.

« J’ai commencé à ressentir une véritable nervosité. Je me demandais comment on allait faire », dit Tabachnick à la veille du procès, s’exprimant depuis la cour fédérale où la sélection du jury va bientôt commencer. « Nos journalistes pouvaient être là, bien sûr. Mais ça aurait été si prenant, si difficile, si fort au niveau émotionnel pour nous – parce qu’après tout, nos journalistes font, eux aussi, partie de cette communauté ».

De plus, ajoute-t-elle, « en plus du procès – qui se tiendra tous les jours pendant trois mois – nous couvrons l’actualité des synagogues, des événements et des fêtes, nous couvrons les conférences… Nous avons encore un journal communautaire habituel à boucler. »

Tabachnick connaissait Andrew « Goldy » Goldstein, membre de l’équipe de la Post-Gazette qui avait remporté le Pulitzer pour sa couverture du massacre, qu’elle avait rencontré quand il était stagiaire au Jewish Chronicle. Elle savait également qu’il était en grève et elle s’est demandé s’il pourrait utiliser cette opportunité supplémentaire en freelance.

Goldstein a immédiatement eu une meilleure idée : unir le Pittsburgh Union Progress, le journal écrit par des grévistes, et le Jewish Chronicle dans le cadre d’un projet conjoint, organisé en partie par le biais du Pittsburgh Media Partnership, un incubateur du journalisme local. (La Jewish Telegraphic Agency collecte actuellement des fonds pour pouvoir assurer cette couverture au bénéfice de nos lecteurs).

Travailler ensemble était logique, explique Goldstein. Le Chronicle dispose de vastes ressources au sein de la communauté juive, dans laquelle le journal jouit d’une grande crédibilité, et l’équipe du Progress comprend Torsten Ove, une légende locale.

De gauche à droite : Bob Batz du Pittsburgh Union Progress, Toby Tabachnick du Pittsburgh Jewish Chronicle et Andrew Goldstein du Progress dans la salle Joseph Weis Jr. du tribunal de Pittsburgh, le 21 avril 2023. (Crédit : Ron Kampeas/JTA)

« Nous avons chez nous le meilleur journaliste pour couvrir les affaires de la cour fédérale avec Torsten et nous avons un grand nombre de journalistes réellement formidables qui adorent Pittsburgh, qui adorent cette communauté, et nous ferons de notre mieux pour couvrir le procès », indique Goldstein, qui note que le Chronicle aura aussi accès aux photographes du Progress. « Mais le Chronicle va apporter quelque chose de complètement différent – il est tellement profondément impliqué dans la communauté juive de Pittsburgh dont il tire ses ressources, une communauté qui, comme les journalistes, porte évidemment un intérêt très particulier au procès ».

Ce type de collaboration est devenu plus fréquent, ces dernières années, alors que les publications réalisent qu’elles peuvent élargir leur impact et leur public en travaillant côte à côte. Mais s’il y a un nombre croissant de relations qui sont établies entre les publications nationales et locales et entre les quotidiens et les magazines d’information, les liens entre des médias mainstream et ethnique sont beaucoup plus rares.

S. Mitra Kalita, fondatrice et directrice d’URL Media, un réseau communautaire de médias à destination des Afro-Américains et des populations métisses qui partagent leurs contenus et leurs revenus, déclare que la valeur de tels partenariats n’est pas seulement d’apporter un soulagement en termes de travail aux grosses publications mais aussi de sensibiliser ces dernières aux minorités et à ce qu’elles éprouvent.

« Parler de ces gens que le média ethnique va toucher et pourquoi nous travaillons de la manière dont nous travaillons – l’esprit de cette collaboration réelle réside un peu dans cet échange », explique-t-elle. Nous améliorons beaucoup les médias mainstream parce qu’on commence ainsi à infuser certains aspects communautaires dans ces derniers, en aidant à les redéfinir ».

Le traumatisme résiduel du massacre dans cette collaboration, à Pittsburgh, a rendu d’autant plus importante la nécessité, pour les journalistes du Progress, de se montrer sensibles aux nuances apportées par le média juif, indique-t-elle.

« Avec une histoire telle que celle-ci en particulier, avec une attaque d’une telle ampleur contre une communauté – une communauté qui a été marginalisée en raison de son existence même – la stratégie ne peut pas être simplement une stratégie de travail en parallèle », souligne Kalita. « Ca ne va pas fonctionner. Il faut que ce soit une collaboration réelle, qui soit féconde des deux côtés ».

Un mémorial de fortune se tient à l’extérieur de la synagogue Tree of Life au lendemain d’une fusillade meurtrière à Pittsburgh, le 29 octobre 2018, au cours de laquelle onze Juifs ont été tués alors qu’ils assistaient à un service de Shabbat. (Crédit : AP/Matt Rourke)

Et c’est exactement ce qui se produit, selon les journalistes et selon les rédacteurs impliqués dans le projet, avec une communication facile entre les dirigeants des deux publications et une expertise mise en commun de manière optimale.

Ove est un habitué des couloirs de la cour fédérale Joseph F. Weis Jr. depuis si longtemps qu’il connaît l’histoire d’une grande partie des juges dont les portraits ornent les murs des couloirs. Il est peut-être aussi le seul journaliste spécialisé dans les affaires judiciaires à avoir cherché à interviewer un magistrat après sa mort pour lui demander pourquoi il continuait à hanter l’endroit (le juge ne s’était jamais montré et sa veuve n’avait pas été vraiment surprise d’apprendre qu’il n’était jamais parvenu à renoncer à son travail, même depuis l’au-delà).

Il a fait découvrir le tribunal et ses labyrinthes à une ribambelle de journalistes du Chronicle et du Progress dans la journée du vendredi qui a précédé l’ouverture du procès, faisant forte impression sur les visiteurs par sa profonde connaissance du bâtiment – il connaissait la provenance de chaque peinture accrochée dans chaque salle d’audience, dans chaque pièce – impressionnait également par sa proximité avec les employés. Soo Song, procureure-adjointe qui prendra la tête des représentants du parquet lors du procès du tireur de la synagogue Tree Of Life, a souri et hoché amicalement la tête en le croisant.

Une étoile de David suspendue à une clôture à l’extérieur de la synagogue Tree of Life dans le quartier de Squirrel Hill, à Pittsburgh, le 26 octobre 2022. (Crédit : Gene J. Puskar/AP)

Ove a montré aux journalistes comment accéder gratuitement aux registres du tribunal et alors qu’ils se tenaient autour de lui à l’un des terminaux informatiques, les différentes sensibilités de l’équipe ont fait leur apparition : Ove a prédit que la sélection du jury, qui a commencé la semaine dernière et qui devrait durer au moins trois semaines, ne devrait pas faire les gros titres, son expérience lui ayant appris que ce n’était que rarement le cas.

Pour Reinherz et Tabachnick, attentifs à la nécessité de mettre en avant la sensibilité des communautés religieuses, ont fait part de leur désaccord. Reinherz, de son côté, s’est demandé si les catholiques pratiquants, qui rejettent la peine de mort, seraient éliminés et Tabachnick, pour sa part, s’est posé une question : les avocats de la défense chercheraient-ils à exclure les Juifs du jury ? Si tel devait être le cas, comment s’y prendraient-ils ?

Reinherz a finalement couvert le tout premier jour de la sélection du jury.

« Les journalistes locaux et nationaux ont décidé que le Pittsburgh Jewish Chronicle devait avoir un siège pendant la session initiale, le premier jour », a expliqué Reinherz dans un article paru sur les deux sites d’information. Il a par ailleurs noté que le membre du public à être entré le premier dans la salle d’audience avait été Daniel Leger, blessé lors de l’attaque.

Ce travail réalisé conjointement sur les deux plateformes a été initialement bizarre, note Bob Batz Jr., rédacteur en chef par intérim du Progress, qui ajoute qu’il s’habitue rapidement à ce contexte inhabituel.

« C’est un terrain inconnu pour quelqu’un comme moi. Cela fait longtemps que je fais ce travail et vous savez, nous ne faisons pas de collaborations à l’ordinaire », explique-t-il.

« Nous sommes concurrents », intervient Tabachnick.

« Ce que nous faisons n’est pas commun – et ça ne va pas être facile », dit Batz. « Nous allons évidemment nous accrocher à un moment sur quelque chose, ou quelqu’un n’utilisera pas le bon mot, ou il y aura un million de choses qui seront susceptibles de mal tourner – mais c’est le lot de toutes les collaborations et celle-là, concernant ce procès, est tellement logique, elle est évidente sous de si nombreux aspects. Nous tentons réellement de servir au mieux la communauté ».

Des pots de fleurs, portant chacun le nom de l’un des 11 fidèles tués le 27 octobre 2018 lorsqu’un tireur a ouvert le feu alors que les offices religieux commençaient à la synagogue Tree of Life, bordent la clôture entourant la synagogue, samedi 26 octobre 2019, dans le quartier de Squirrel Hill à Pittsburgh. (Crédit : Gene J. Puskar/AP)

Tabachnick affirme qu’il est aussi important pour elle de permettre à des journalistes en grève qu’elle admire par ailleurs de rester sous le feu des projecteurs. Les journalistes de la Pittsburgh Post-Gazette avaient lancé une grève, au mois d’octobre, sur la question de leur salaire et de leurs conditions de travail, au paroxysme de tensions de longue date entre les propriétaires du journal et les employés – qui avaient finalement décidé de relocaliser leur salle de rédaction alors même qu’en 2018, le journal avait remporté le prix Pulitzer pour sa couverture de l’attaque de la synagogue. Ce mouvement de grève est l’un des plus longs de toute l’Histoire du journalisme et les journalistes apportent leur contribution au Pittsburgh Union Progress malgré une rémunération bien inférieure à leur salaire habituel.

« Je suis très heureuse de pouvoir mettre en exergue leurs noms et le nom de leur publication », dit Tabachnick.

Chaque article est publié de manière presque identique sur les deux sites, avec une ligne qui souligne leur collaboration. Tabachnick et Batz ont eu un échange bref et amical par courriel avant qu’ils n’appuient, tous les deux, sur le bouton « Publier » de leur article consacré au débat, entre les familles des victimes, sur l’opportunité d’une condamnation du tueur présumé à la peine capitale.

Le Chronicle réduit au maximum l’apparition du nom de l’accusé dans ses articles, par respect à l’égard de la sensibilité des lecteurs – qui veulent que les membres de la communauté se concentrent sur les fidèles, et non sur l’attaquant. Certains chercheurs et certains responsables de la police ont aussi appelé les journalistes à ne pas publier les noms et les photographies des tueurs, citant des éléments qui prouvent que leur mise en avant, par les médias, est susceptible de contribuer à leur glorification, voire d’encourager de nouvelles attaques.

Batz dit comprendre parfaitement la manière de penser du Chronicle même si sa rédaction peut faire des choix différents.

« On tâtonne encore, on tente encore de trouver notre manière de fonctionner », dit Batz. « Le Chronicle ne veut pas citer le nom de l’accusé dans ses articles, et il ne le fait pas. Et notre journaliste à nous, Torsten, une vedette du journalisme judiciaire, utilise, pour sa part, le nom de l’accusé. Alors pour notre premier article en collaboration, on a échangé en temps réel par courriel et par texto, on a trouvé une solution et l’article s’est trouvé sur les deux sites en l’espace de quelques minutes – c’était vraiment bien ».

Tabachnick évoque cette collaboration de la veille comme si elle travaillait dans une salle de rédaction avec Batz depuis des décennies et non via internet depuis le mois de février.

« La solution trouvée, c’est que j’ai réalisé qu’avec le début du procès, cela n’avait plus aucun sens de ne pas utiliser son nom, que nous devions le faire en tant que média d’information », explique-t-elle. « Ce qui ne signifiait pas qu’on avait besoin de voir son nom cité à chaque phrase. Je ne veux pas dire que Tortsten utilise trop ce nom ! Il l’a utilisé pour son article autant qu’il a été nécessaire en termes de style, mais je suis intervenue en enlevant quelques-unes de ces mentions et en écrivant ‘l’accusé’ à la place. Résultat : Tout le monde a été content »

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