Pourquoi Israël doit laisser son médaillé d’or en gymnastique se marier
Artem Dolgopyat et sa fiancée ne se plaignent pas. Mais ils font partie de 400 000 victimes d'une politique insensée qui octroie la citoyenneté en refusant le droit à se marier
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Oleg Dolgopyat a fait venir sa famille en Israël, il y a douze ans, depuis l’Ukraine. « Parce que je suis Juif », a-t-il expliqué cette semaine, après que son fils Artem est devenu le deuxième Israélien seulement de toute l’Histoire des Jeux olympiques à remporter une médaille d’or.
Toutefois, l’épouse d’Oleg, Angela, n’est pas Juive. Et si la famille a bénéficié de la citoyenneté automatique en Israël – la Loi du retour exige qu’au moins un grand-parent soit Juif pour avoir droit à la citoyenneté – Artem ne peut pas se marier ici dans la mesure où le judaïsme se transmet à travers les générations par le biais de l’ascendance maternelle, conformément à la Halakha (la loi juive). La Halakha interdit les mariages mixtes, et l’État juif n’a aucune disposition en matière de mariage civil (une loi de 2010 prévoit bien la dite « l’union civile » mais il s’agit d’un arrangement complexe et limité, non d’un mariage, qui ne concerne par ailleurs que les membres des religions non-reconnues).
En plus de la performance exceptionnelle du gymnaste lors de l’épreuve du sol à Tokyo – marquée par l’extraordinaire sang-froid et l’humilité du médaillé d’or – la situation floue imposée par l’État à Artem au niveau conjugal a également fait les gros titres.
Fidèle à son tempérament apparemment imperturbable et d’une discrétion absolue, Artem, âgé de 24 ans, a refusé d’entrer dans la polémique en disant doucement, lundi, que « je pense que ce n’est pas une bonne chose de parler de ça devant tout le pays… Il y a des choses qui m’appartiennent, ce sont des problèmes exclusivement personnels et je préfère donc ne pas répondre aux questions à ce sujet ».
Sa promise, Maria Sakovich, a également résolument refusé d’alimenter la controverse publique. Ne pas pouvoir se marier en Israël n’est « pas un problème pour moi », a-t-elle confié à l’AFP mardi. Après avoir montré de bonne grâce sa bague de fiançailles devant les caméras, elle a expliqué à la Douzième chaîne qu’elle savait que le mariage pourrait avoir lieu à l’étranger mais que le couple n’avait pas trouvé le temps nécessaire pour le faire en raison des obligations sportives de son futur époux.

Et c’est là l’absurdité de la situation actuelle dans le pays où, selon les estimations, environ 400 000 Israéliens – suffisamment Juifs pour se qualifier à la citoyenneté mais pas suffisamment Juifs du point de vue halakhique – ne peuvent se marier sur le territoire, mais peuvent toutefois bénéficier d’une reconnaissance de leur mariage civil par l’État s’ils se marient à l’étranger.
Il est admirable – et c’est aussi une bonne chose – que le droit au retour offre la citoyenneté en tant que réponse sioniste aux nazis. Ainsi, si on a été suffisamment Juif pour être la cible du génocide entrepris par Adolf Hitler, alors on l’est suffisamment pour avoir la garantie de trouver un foyer dans le seul État juif du monde. Et personne ne demande aux gardiens de la Halakha d’abandonner les principes de la loi religieuse (« Nous connaissons les règles du jeu », a dit Sakovich à la Douzième chaîne). Mais il n’y a pas de raison appropriée justifiant la non-introduction, par les autorités israéliennes de l’État, des mêmes structures de mariage civil sur le territoire que celles qu’ils acceptent lorsque leur propres citoyens procèdent à leur union lors d’une cérémonie civile à l’étranger.
Les opposants au mariage civil, au sein de l’État juif, affirment que ce dernier risquerait de compliquer, voire de diluer, le caractère juif du pays, mais c’est un argument qui est difficile à suivre. Ces centaines de milliers d’Israéliens pas assez Juifs ne cherchent pas à se faufiler dans le judaïsme halakhique ; ils ne prônent pas des conversions expresses qui manqueraient de sincérité et les documents délivrés par l’État qui se trouveraient en leur possession à l’issue d’un mariage civil ne travestiraient pas leur statut juif.
S’ils peuvent s’installer en Israël, combattre au sein de l’armée israélienne ou, comme c’est le cas aujourd’hui, remporter une médaille d’or pour Israël, alors ils doivent pouvoir se marier en Israël.
Les mariés de l’Histoire des J.O.
Enfin, juste un mot sur l’un des moments les plus beaux de ces Olympiades – celui où un autre Moyen-Oriental, le Qatari Mutaz Essa Barshim, a également remporté la seconde médaille d’or de l’Histoire de son pays dans l’épreuve du saut en longueur.
Barshim se trouvait alors depuis deux heures bloqué dans une compétition féroce avec son adversaire et ami, l’Italien Gianmarco Tamberi et il était impossible de les départager. Les deux athlètes n’avaient commis aucune erreur en sautant la barre des 2,37 mètres avant d’échouer tous deux et à trois occasions à franchir les 2,39 mètres – la hauteur-record des Jeux olympiques.
Ils se préparaient à une épreuve de barrage quand Barshim a eu l’idée de demander à l’officiel en charge : « Pouvons-nous avoir deux médailles d’or ? » – une requête apparemment en rupture avec les principes les plus purs de la compétition sportive.

« C’est possible », a déclaré l’officiel sous son masque, s’apprêtant à expliciter le règlement – mais Barshim et Tamberi ne l’écoutaient déjà plus. Ils avaient déjà échangé des regards de plaisir, se prenant les mains, et Tamberi, s’accrochant aux hanches de Barshim, l’a étreint.
Ces deux-là, au moins, se sont unis par les liens du mariage – celui de la médaille d’or, une cérémonie réservée aux champions du monde.
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