Israël en guerre - Jour 56

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Pourquoi le ‘requin israélien’ a-t-il vu sa dette de 1,7 milliard $ presque effacée ?

L'ascension, la chute, et l'atterrissage en douceur d'Eliezer Fishman exposent la façon dont le gouvernement, les gros portefeuilles et les médias pervertissent la société israélienne

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

L'homme d'affaires Eliezer Fishman à la bourse de Tel Aviv (Crédit : Flash90)
L'homme d'affaires Eliezer Fishman à la bourse de Tel Aviv (Crédit : Flash90)

Il y a encore peu de temps, Eliezer Fishman était un éminent homme d’affaires israélien, souvent décrit comme un “requin”, membre d’une catégorie d’une dizaine de magnats qui auraient un contrôle démesuré sur la politique et l’économie israélienne. En 2013, Forbes Israel avait estimé que la valeur nette du septuagénaire s’élevait à 2,7 milliards de shekels.

Mais la presse a révélé, il y a deux ans, après de longues actions en justice, que l’empire du magnat des médias et de l’immobilier était un château de cartes. Loin d’avoir des biens dans ses milliards, il avait une dette envers les banques israélienne de plus de 4 milliards de shekels. Les banques et le principal intéressé ont gardé cette information sous silence pendant des années pendant que lui et sa famille maintenaient leur niveau de vie opulent.

En janvier, l’administrateur judiciaire nommé pour gérer ses biens a qualifié Fishman de « plus grande faillite de l’histoire d’Israël ».

Cette semaine, après les révélations sur un potentiel arrangement, dans lequel 92 % de sa dette de 1,7 milliard de dollars aux banques et aux autorités fiscales seraient effacés, le pays a manifesté sa colère.

« C’est la chose la plus méprisable et la plus nauséabonde qu’il m’a été donné de voir ces dernières années », a dit le député Eitan Cabel (Union sioniste) lors d’une session houleuse à la Commission des Affaires économiques de la Knesset, le 6 juin, consacré à l’affaire Fishman et à l’effacement de sa dette. « Il faut qu’il y ait une enquête parlementaire. »

« Comment les banques peuvent-elles continuer à financer un mode de vie opulent pour des gens qui ne remboursent pas leurs dettes, et parallèlement, expulser des gens de chez eux pour défaut de paiement sur le crédit immobilier ? », s’est interrogée la députée Ayelet Nahmias Verbin (Union sioniste) durant la même réunion.

De nombreux articles parus cette semaine ont indiqué que Fishman dans le cadre de cet accord, serait mieux traité que 700 000 Israéliens qui sont embourbés dans le système gouvernemental de recouvrement de créances pour des dettes d’à peine 10 000 shekels.

D’autres ont protesté que c’est le public, et non pas les banquiers très bien rémunérés qui ont été indulgents envers Fishman, qui paieront les pots cassés de l’insolvabilité de Fishman via une augmentation des frais bancaires et la baisse du prix des actions, étant donné que les fonds de pensions de la plupart des Israéliens sont investis dans les grandes banques.

Le député Eitan Cabel et la députée Ayelet Nachmias Verbin lors d'une réunion de la Commission parlementaire des Affaires économiques, le 6 juin 2017. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Le député Eitan Cabel et la députée Ayelet Nachmias Verbin lors d’une réunion de la Commission parlementaire des Affaires économiques, le 6 juin 2017. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Le 6 juin au soir, une réunion a été organisée dans les bureaux de l’administrateur judiciaire à Tel Aviv, au cours de laquelle l’administrateur des biens de Fishman a présenté aux créanciers les détails de l’accord sur sa dette. À l’extérieur, une bonne vingtaine de manifestants scandaient des slogans du type « C’est notre argent », « Nous exigeons une enquête » et « Le peuple ne s’effacera pas ». Les créanciers n’ont pas signé l’accord. L’avocat de l’un des créanciers, Bank Leumi, a déclaré au quotidien économique israélien Globes que l’accord n’a pas été validé parce que le créancier principal, la banque Hapoalim, s’y est opposé. »

Après la réunion, la banque Hapoalim a déclaré : « La banque estime qu’il n’y a pas lieu de signer un accord avec Mr Eliezer Fishman, et nous pensons que la procédure de faillite doit se poursuivre. Cette recommandation sera présentée au conseil d’administration de la banque. »

D’autres négociations auront lieu entre les créanciers et l’administrateur nommé par la cour qui a négocié l’accord soumis. Avant la rencontre, Fishman a déclaré à la télévision israélienne qu’il n’avait « pas d’argent à donner… Ils peuvent me déclarer en faillite. Qu’est-ce qui les en empêche ? », a-t-il demandé. « Je ne leur conseille pas de le faire, mais ils devraient faire ce qui est bon pour eux. »

Selon Akiva Lasker, un avocat israélien au courant de l’affaire Fishman, la faillite est une issue bien pire qu’un règlement de dette pour Fishman.

Ronen Bar-El (Crédit : Facebook)
Ronen Bar-El (Crédit : Facebook)

« Si vous êtes en faillite, vous ne pouvez plus utiliser de carte de crédit, et vos chèques sont limités. Ce n’est pas une situation souhaitable. »

Mais Fishman ne mourra pas de faim, a souligné Lasker, même si nombre de ses biens sont saisis. « Sa femme et ses enfants sont très, très riches. Ils ont des maisons et des biens d’une valeur de centaines de millions de shekels », a déclaré Lasker au Times of Israel.

Ronen Bar-el qui enseigne à l’Open University d’Israël, estime que les créanciers ont rejeté l’accord en raison du tollé du public.

« Cela aurait envoyé un très mauvais message au prochain débiteur de faillite. De plus, le public regardait Eliezer Fishman et pensait ‘Et moi ? Et si je ne paye pas mes dettes ?’ »

Les médias israéliens servent-ils les intérêts du milliardaire ?

Au-delà de l’injustice de cet accord controversé, le fait qu’en raison de l’incompétence d’un homme d’affaires, ses dettes seront répercutées sur monsieur Tout le monde, et qu’il sorte indemne du chaos qu’il a créé, l’histoire de la dette de Fishman résonne chez les Israéliens parce qu’elle symbolise le concept de hon-shilton (argent et pouvoir). C’est l’idée qu’Israël est de plus en plus corrompu par le capitalisme de connivence, et que les politiques, les banques et les puissants hommes d’affaires se sont associés pour leurs intérêts propres et leurs portefeuille, au détriment de l’intérêt public.

De nombreux Israéliens parlent désormais de hon-shilton-iton (argent, pouvoir, journal), pour évoquer l’idée que les journaux israéliens ne sont pas indépendants, qu’ils faussent leur couverture pour promouvoir les intérêts commerciaux des propriétaires et de leurs amis.

Parmi ses nombreuses actions, notamment en immobilier, en vente en détail (Celio, Zer4U, MegaSport), dans la télévision câblée, les infrastructures de télécommunications et les stations d’essence, Fishman était aussi le propriétaire, jusqu’à très récemment, du quotidien économique Globes, et détenait 38 % des parts du journal Yedioth Aharonoth. De nombreux observateurs ont soutenu le fait que la banque Hapoalim et ses autres créanciers ont continué à lui prêter de l’argent, parce qu’il avait le pouvoir de modeler l’opinion public en leur faveur.

Dans « The Seventh Eye », un journal qui critique les médias israéliens, Oren Persico a étudié la couverture du journal durant le mandat de Fishman.

« Comme nous l’avons vu dans une enquête menée l’an dernier, le journal attaquait les régulateurs et les rivaux qui travaillaient contre les intérêts économiques du propriétaire. Au même moment, le journal avait accordé aux banques et à leurs propriétaires, une couverture médiatique positive dans les journaux économiques israéliens. Les banques et banquiers, qui sont très vigilants quant à leur image dans les médias, ont profité du traitement dont ils jouissaient chez Globes et n’avaient certainement pas envie que cela cesse. »

« Le centre névralgique du pouvoir israélien »

Le mois dernier, le tout nouveau radiodiffuseur israélien, la corporation Kan, a diffusé un rapport très révélateur en cinq volets, intitulé « The Bank Hapoalim Report: A chronicle of lawlessness in five acts » (Le rapport sur la banque Hapoalim : une chronique d’illégalité en cinq actes), produit par Guy Rolnik, rédacteur du quotidien économique The Marker, et le directeur télévisé Doron Tsabari, dont le documentaire de 2015 « The Silver Platter », s’intéressait également au capitalisme de connivence en Israël.

L’émission s’ouvre su Rolnik, devant un somptueux manoir de la ville aisée de Savyon, au nord de Tel Aviv.

« La maison qui se trouve derrière moi est celle qui héberge la plus grande faillite de l’histoire de l’État d’Israël, Eliezer Fishman. »

Capture d'écran du manoir d'Eliezer Fishman du reportage de Guy Rolnik sur la banque Hapoalim. (Crédit : capture d'écran YouTube)
Capture d’écran du manoir d’Eliezer Fishman du reportage de Guy Rolnik sur la banque Hapoalim. (Crédit : capture d’écran YouTube)

Rolnik affirme que « si vous voulez comprendre la politique, l’économie et la démocratie, vous devez comprendre le pouvoir. Et la banque Hapoalim a été le centre névralgique du pouvoir en Israël ces 15 dernières années. »

Le rapport explique que la direction de la banque Hapoalim accordait facilement des crédits à ses amis, certains des directeurs de banque ont même souscrit à des crédits personnels de la banque, approuvés par leurs collègues.

Fishman et d’autres requins de son genre ont utilisé leurs crédits pour acheter des affaires, notamment des monopoles privatisés par le gouvernement, et obtenaient souvent leurs crédits sur la base de futures rentes de leurs affaires. Les régulateurs n’ont pas fait jouer la compétition, constate le rapport. Il indique ensuite que ce n’est pas une coïncidence que nombre de ces régulateurs ont par la suite des postes en or dans les mêmes banques et pour les mêmes milliardaires avec lesquels ils avaient été si cléments.

Les affaires de Fishman ont connu des périodes fastes, comme l’ont fait remarqué Rolnik et d’autres. Mais s’il y a eu une faiblesse qui a conduit à sa chute, c’était son appétit pour le pari, à la fois dans les entreprises à risques et dans la négociation de devises, aussi connu sous le nom de forex.

Aryeh Aneri, un journaliste israélien qui a écrit en 2005, une biographie intitulée « The Fishman Riddle » (L’énigme Fishman), a déclaré à la Dixième chaîne que lorsqu’il avait interviewé Fishman pour son livre, il répondait aux questions tout en faisant face à son ordinateur, frappant sur son clavier comme s’il était face à un jeu vidéo.

Quand il lui a demandé ce qu’il faisait, il a répondu qu’il échangeait des devises étrangères.

Guy Rolnik. (Crédit : capture d'écran YouTube)
Guy Rolnik. (Crédit : capture d’écran YouTube)

« Il disait ‘J’ai juste transféré quelques centaines de milliers ici, quelques millions là…’ » d’un air imperturbable.

En 2006, Fishman a acheté une grande quantité de lires turques qu’il a financée avec un prêt en dollars canadiens. Quand la lire a chuté, il a perdu 2 milliards de shekels en quelques jours. De nombreuses personnes pensant que cette perte est ce qui l’a envoyé dans la spirale de l’insolvabilité, spirale dont il n’est jamais sorti. Quand les banques demandaient un remboursement, il leur promettait que son dernier investissement serait très rentable et qu’il rembourserait prochainement.

Quand ses dettes ont été révélées au public, il devait plus de 4 milliards de shekels aux banques israéliennes, dont 1,7 milliard en dette personnelle.

Une réalité virtuelle ?

Dans le dernier volet du rapport, appelé « The Matrix », Rolnik avance que certains médias israéliens ont également été pris pas les forces corrompues.

En 2009, quand le gouverneur de la banque centrale d’Israël Stanley Fischer a demandé au président de la banque Hapoalim Dani Dankner de démissionner, parce qu’il n’avait plus confiance en lui, Globes et Yedioth Aharonoth ont adopté une ligne éditoriale qui défendait Dankner, rappelle Rolnik. (Dankner a été incarcéré pour fraude peu après).

« Ce que nous ne savions pas, à l’époque, c’est que la banque Hapoalim était effectivement un acteur caché des transactions commerciales de Fishman. Si Fishman était déjà insolvable en 2006, cela signifie que la banque Hapoalim était la véritable propriétaire de Globes, ainsi que le partenaire caché de Noni Mozes du groupe Yediot. Les journaux, secrètement contrôles par les banques, tenaient les cartes en main. »

Un autre journal israélien attaqué par Rolnik, pour son manque d’indépendance journalistique est Israel Hayom, le quotidien le plus lu du pays, un journal gratuit fondé par Sheldon Adelson, magnat des casinos à Los Angeles, qui adopte un angle pro-Netanyahu. Comme pour soutenir les propos de Rolnik, le 6 juin, l’un des chroniqueurs les plus éminents de ce journal, Dan Margalit, a publié sur Twitter qu’il avait été remercié de la rédaction pour avoir été critique du Premier ministre israélien.

Président du conseil d'administration de la Banque  Hapoalim, Dani Dankner, à gauche, le 1er février  2008. (Crédit : Roni Schutzer/Flash 90)
Président du conseil d’administration de la Banque Hapoalim, Dani Dankner, à gauche, le 1er février 2008. (Crédit : Roni Schutzer/Flash 90)

La banque Hapoalim, le groupe Yediot et Globes ont tous rejeté les allégations du rapport de Rolnik.

Durant l’audience du 6 juin à la Knesset, sur les dettes de Fishman, Verbin, la députée, a posé une question rhétorique : « Fishman spéculait avec l’argent du public sous l’égide des régulateurs qui l’ont autorisé à le faire. Pourquoi les banques continuaient-elles à lui accorder des crédits ? La banque d’Israël était un casino. Quand il devait 3 ou 4 milliards de shekels, pourquoi personne ne s’est manifesté ? »

La réponse proposée par Rolnik et par de nombreux autres commentateurs, c’est que les dettes de Fishman sont la conséquence de la corruption du système.

« Quelle est la différence entre l’Afrique et la Suède », a demandé Rolnik à la fin de son émission télévisée à un petit public « Après tout, il a de la technologie partout, l’argent coule à flots »

« Parce que les gouvernements sont corrompus », a répondu quelqu’un.

« Exactement », a répliqué Rolnik. « En fin de compte, ce qui détermine notre qualité de vie, c’est la corruption. »

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