Pourquoi, selon Netanyahu, il est vital de s’en prendre à Abbas ?
Après le massacre de la synagogue de Har Nof mardi, les dirigeants israéliens ne sont pas allés très loin pour désigner un coupable
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël
« Ceci est le résultat direct de l’incitation à la haine mise en place par le Hamas et par Abou Mazen , l’incitation que la communauté internationale ignore de manière irresponsable, » a déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu dans un communiqué peu après l’attaque.
En plaçant « Abou Mazen », le nom de guerre du président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, dans la même phrase que le Hamas, l’accusation de Netanyahu est allée bien au-delà d’une simple mise en garde contre l’incitation palestinienne. Comme le Hamas, le Premier ministre a semblé dire qu’Abbas n’était pas un partenaire pour des négociations de paix.
Une grande partie du gouvernement de Netanyahu accepte cela.
Selon un communiqué publié par le ministre des Affaires étrangères Avigdor Liberman, «la responsabilité [de l’attaque de mardi] repose entièrement sur le président de l’Autorité palestinienne, Mahmoud Abbas. Abbas a délibérément tourné le conflit en un conflit religieux entre juifs et musulmans et l’incitation à la haine systématique qu’il mène contre les Juifs, y compris sa déclaration que les Juifs impurs ne peuvent monter sur le mont du Temple, donne les orientations de ces horribles attentats. »
Tant le ministre de l’Economie Naftali Bennett sur la droite de Netanyahu que le ministre des Finances Yair Lapid sur sa gauche, ont soutenu publiquement les accusations du Premier ministre contre Abbas.
Et cette insistance israélienne sur la culpabilité de Mahmoud Abbas va sans doute plus loin. Dans sa propre condamnation de l’attaque de mardi, le secrétaire d’Etat américain John Kerry a semblé accepter le point de vue israélien.
« Pour avoir ce genre d’acte, qui est un pur résultat de l’incitation à la haine (…) est inacceptable, » a déclaré Kerry qui se trouvait à Londres. C’est le Fatah d’Abbas qui a récemment appelé à des « jours de colère » pour « protéger » la mosquée Al-Aqsa.
« La direction palestinienne doit condamner cela et elle doit commencer à prendre des mesures sérieuses pour empêcher toute forme d’incitation à la haine et à la violence. Des innocents qui étaient venus prier dans une synagogue ont été assassinés sauvagement dans ce lieu saint, dans un pur acte de terrorisme et de brutalité insensée. J’appelle les Palestiniens, quel que soit leur pouvoir, à condamner cet acte dans les termes les plus forts… et à prendre de vraies mesures pour empêcher toute forme d’incitation à la haine et à la violence. »
L’ambassadeur américain en Israël, Dan Shapiro, a été encore plus explicite.
« Alors que les organisations terroristes comme le Hamas, égales à elles-mêmes, font déjà l’éloge de ces meurtres, toute autre personne qui se targue d’être un dirigeant responsable doit clairement condamner cet outrage et tout acte d’incitation qui peut inspirer de tels événements », a-t-il affirmé dans un communiqué.
Et, mercredi, les accusations de Netanyahu ont commencé à résonner dans des lieux que le Premier ministre lui-même considère généralement comme territoires ennemis, tout comme l’éditorial du New York Times.
« Le président palestinien, Mahmoud Abbas, a dû être poussé à s’exprimer par le secrétaire d’État John Kerry », a déploré mercredi l’éditorial de l’influent journal américain. « ‘Nous condamnons les meurtres de fidèles à la synagogue de Jérusalem et condamnons les actes de violence, peu importe leur origine’, a dit M. Abbas dans un communiqué. C’était apparemment la première fois qu’il dénonçait les attaques palestiniennes de ces derniers jours… En tant que dirigeant politique, M. Abbas a le devoir d’émettre l’argument moral qu’une telle brutalité et inhumanité ne peuvent que faire honte au peuple palestinien », a conclu le Times.
On ignore si Kerry ou le Times ont été convaincus par les accusations de Netanyahu, ou ont simplement été choqués de l’assassinat macabre à la hache de rabbins en prière. Quoi qu’il en soit, ces déclarations sont un accomplissement pour Netanyahu.
Mais ce succès soulève une question essentielle : Qu’est-ce que Netanyahu espère accomplir ? Est-ce qu’il espère que la communauté internationale relègue le chef palestinien au rang d’extrémiste incorrigible ? Pour de nombreux diplomates et dirigeants du monde, Abbas reste la meilleure, et peut-être la seule, chance pour arriver à négocier une paix. Faute de meilleure alternative, ils sont peu susceptibles de l’abandonner.
En sa qualité de responsable de la politique étrangère de l’Union européenne, Federica Mogherini s’est empressée d’expliquer, suite à l’attaque de mardi, que la violence ne fait que hâter l’impatience internationale pour un processus diplomatique Netanyahu-Abbas.
« L’absence de progression vers la solution des deux États annonce systématiquement la prochaine ronde de violence », dit-elle dans un communiqué. « L’heure est venue pour les deux parties de faire des compromis… »
Alors Netanyahu espère-t-il convaincre ses compatriotes israéliens qu’il n’y a pas de partenaire de paix ? Beaucoup, peut-être même la plupart, des Israéliens n’ont guère besoin d’être convaincus, si l’on en croit les centaines de sondages d’opinion sur les intentions palestiniennes.
La question est encore aiguisée par le désaccord apparent mardi entre le Premier ministre et le chef du Shin Bet -renseignements intérieurs – Yoram Cohen, sur la question de la culpabilité d’Abbas.
« Abu Mazen n’est pas intéressé par le terrorisme et n’incite pas au terrorisme, même en coulisses, » a déclaré Cohen à la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, un commentaire que presque tous les médias israéliens ont interprété comme une réfutation directe des accusations de Netanyahu.
La frénésie médiatique entourant le désaccord apparent entre le Premier ministre et le chef du Shin Bet souligne l’importance politique des accusations du premier contre Abbas.
Pour la droite, l’argument selon lequel Abbas provoque le terrorisme prouve que les pourparlers de paix sont impossibles. Pour la gauche, le jugement du chef des renseignements selon laquelle Abbas ne soutient pas les actes terroristes prouve que les pourparlers de paix restent un impératif moral et viable, et que le gouvernement de droite israélien est au moins aussi responsable de leur échec que les Palestiniens.
Comme le quotidien de gauche Haaretz l’a souligné dans son éditorial de mercredi, la « vraie motivation » derrière les accusations de Netanyahu est « de creuser la fracture avec les Palestiniens, et de torpiller toute possibilité d’un futur accord ».
Pourtant, la médiatisation des propos de Cohen, tout comme les réactions politiques aux accusations de Netanyahu, ne racontent que la moitié de l’histoire.
Alors que Cohen a effectivement dit aux parlementaires qu’Abbas ne cherchait pas la violence, il a également affirmé que « l’incitation récente de dirigeants de l’Autorité palestinienne, menés par Abu Mazen, sur les questions liées à Jérusalem et le mont du Temple, jouent un rôle dans le niveau élevé de violence sur le terrain, notamment à Jérusalem. »
Interrogé sur les commentaires de Cohen lors d’une conférence de presse mardi soir, Netanyahu a maintenu que tout ce que Cohen a affirmé à la commission parlementaire était « correct », et qu’il n’y avait pas de désaccord entre eux sur la question de la culpabilité d’Abbas.
Ainsi, l’argument plus sérieux du Premier ministre israélien a été perdu dans les affaires personnelles : l’incitation palestinienne ordinaire – et pas seulement les planificateurs terroristes eux-mêmes – est coupable de la violence.
Les politiciens palestiniens qui répondent encore à Abbas n’ont pas planifié ou lancé les dernières attaques terroristes. Sur cela s’accordent quasi unanimement les dirigeants politiques et sécuritaires israéliens.
Cohen et Netanyahu – la ministre de la Justice Tzipi Livni, et le ministre des Finances Lapid, et de nombreux Israéliens plus à gauche – sont également convaincus que l’Autorité palestinienne, et Abbas personnellement, incitent constamment et bruyamment contre les Israéliens et les Juifs.
Et l’incitation joue un rôle, a déclaré Netanyahu mardi.
« Les animaux humains qui ont perpétré ce massacre étaient pleins de haine et d’incitation, de haine profonde et de terrible incitation contre le peuple juif et son Etat », a déclaré Netanyahu aux journalistes réunis au cabinet.
« Le Hamas, le mouvement islamique et l’Autorité palestinienne diffusent d’innombrables mensonges contre l’Etat d’Israël. Ils disent que les Juifs contaminent le mont du Temple. Ils disent que nous prévoyons de détruire les lieux saints, que nous avons l’intention de changer les arrangements de prière – ce sont des mensonges. »