Quand Poutine a utilisé des armes chimiques au Royaume-Uni
Il y a 4 ans, dans une attaque meurtrière dont il n'a jamais payé le prix réel, le président russe avait montré son absence totale de scrupule à commettre l'impensable
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

SALISBURY, Angleterre – En regardant de plus près, il y a un petit périmètre de pierres pavées, aux abords du magasin Superdrug et à proximité de l’animalerie Pet Foods, tous deux situés dans le centre de cette petite ville idyllique du sud de l’Angleterre, dont la teinte est légèrement plus claire que celles qui l’entourent. Et en interrogeant les habitants, il s’avère que cette petite différence de coloris est en elle-même une leçon – improbable – donnée à la communauté internationale alors même que le monde s’efforce d’intégrer les horreurs semées par Vladimir Poutine en Ukraine.
Les pierres originales, dans cette petite galerie commerciale en plein air située à proximité des rives du fleuve Avon, avaient été arrachées il y a quatre ans, comme le banc public qui s’y trouvait. Parce que cela avait été sur ce banc, le 4 mars 2018, que Sergei Skripal, ancien agent militaire russe devenu espion pour le compte de la Grande-Bretagne, et sa fille, Yulia, avaient été retrouvés inconscients, empoisonnés au Notchivok, un agent neurotoxique, par deux membres des services de renseignement militaire russes.
Remarqués par un infirmier de l’armée britannique qui passait là par hasard, le père et la fille avaient été emmenés à l’hôpital dans un état critique. S’ils avaient survécu après des semaines de traitement intensif, une femme qui vivait à quelques kilomètres de distance, Dawn Sturgess, n’avait pas eu cette chance. Trois mois plus tard, son petit ami avait trouvé et ramassé la bouteille de parfum qui avait contenu le poison, dont les assassins envoyés par Poutine s’étaient débarrassés, et il la lui avait offerte. Elle était morte peu après.
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Comme le note dans un récent entretien Fiona Hill, experte de la Russie au sein du Conseil national de sécurité sous l’administration Trump : « Il y avait suffisamment d’agent neurotoxique dans cette bouteille pour tuer plusieurs milliers de personnes ».
Les pavés ont été remplacés à Salisbury et tous les endroits associés à cette attaque chimique meurtrière russe ont été nettoyés en profondeur depuis longtemps – mais la ville n’a rien oublié.
Un mardi, lors d’une fin de matinée glaciale mais légèrement réchauffée par les rayons d’un soleil radieux, deux gardiens de sécurité patrouillent parmi les boutiques et les étals de la place du marché, et lorsque je m’approche pour les interroger sur ces événements choquants de 2018 et que je leur demande si cette honorable localité est parvenue à tourner la page, une femme tenant un stand alimentaire, à portée de voix, intervient sans y être invitée et elle me dit, sur un ton furieux : « On a tourné la page, mais rien n’est oublié ».

Les habitants de Salisbury — ce n’est pas une surprise – ont apporté un soutien particulièrement fort à l’Ukraine, aujourd’hui attaquée par la Russie de Poutine, notamment en collectant des fonds de toutes les manières possibles et imaginables : vente d’œufs de Pâques ou de gâteaux ; livraison d’aide humanitaire aux réfugiés qui se trouvent aux frontières de l’Ukraine ; mobilisation autour de l’accueil des réfugiés chez les résidents ou simples prières. Des centaines de personnes ont pris part à une marche en solidarité avec les Ukrainiens au début de l’offensive russe, une manifestation qui s’est terminée par une messe à la Cathédrale, qui s’enorgueillit du plus haut clocher de toute l’Angleterre. A la mairie de Salisbury, flotte actuellement le drapeau ukrainien.
L’attaque russe commise dans la ville aurait pu être tellement pire, tellement plus dévastatrice. Les assassins de Poutine, comme l’a écrit Carole Cadwalladr, journaliste au Guardian, le mois dernier, « se sont engagés dans une rue de Salisbury sans faire seulement l’effort de se déguiser, devant cent caméras de surveillance ou plus, et ils ont utilisé un agent neurotoxique meurtrier. Et ensuite ? Eh bien, ensuite, ils ont jeté la bouteille. Mais que ce serait-il passé, s’interroge Cadwalladr dans son article, si le petit ami de Dawn Sturgess ne l’avait pas trouvée ? Que se serait-il passé si le poison s’était propagé ? Que se serait-il passé s’il « était entré dans les nappes phréatiques ? »
Manifestement, les assassins de Poutine ne se préoccupaient guère des conséquences potentielles de leurs actions. Et ils ne s’en préoccupaient guère parce qu’ils avaient parfaitement conscience que leur patron lui-même n’en avait cure.

Dans la salle capitulaire de la cathédrale de Salisbury, l’un des quatre exemplaires restants de la Magna Carta – La grande Charte d’Angleterre – est exposée. C’est la mieux préservée des copies qui existent encore. Il y a huit cent ans, cette « Grande charte des libertés » avait inscrit dans le marbre pour la toute première fois l’idée que le roi et son gouvernement n’étaient pas au-dessus des lois, un texte visionnaire en son genre qui avait été qualifié par Lord Denning, l’un des juges les plus respectés de l’Histoire d’Angleterre, de « document constitutionnel le plus important de tous les temps – avec l’établissement de l’entière liberté de l’individu face à l’autorité arbitraire du despote ».
Et il y a quatre ans, Vladimir Poutine s’était placé au-dessus des lois à Salisbury, utilisant des armes chimiques à l’effet meurtrier, mettant en péril des civils. Il n’en aura jamais payé le prix.
L’incident avait été une petite indication de sa cruauté, de sa conviction d’être lui-même au-dessus des règles humaines. Cela n’avait absolument pas été la seule fois où il avait fait usage d’armes chimiques : il suffit de regarder la Syrie. Mais cet incident avait mis en relief cette capacité qu’a Poutine d’orchestrer l’impensable aux yeux du monde civilisé.

Ces empoisonnements de Salisbury auraient dû servir de signal d’alarme plus fort lorsque l’attention de Poutine s’est finalement tournée vers l’Ukraine. Ils ont souligné qu’il était impossible d’apaiser ou de raisonner des despotes comme le président russe. Et ils doivent dorénavant aider à garantir que personne dans le monde ne doutera de son aptitude à commettre l’impensable – à moins que cette capacité ne lui soit retirée, ou jusqu’à ce que cette capacité ne lui soit retirée.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel