Retour sur la conférence de l’Association juive européenne
L'EJA appelle les dirigeants politiques à agir davantage contre la haine des Juifs ; nombre de ses responsables se disent favorables à une aide sécuritaire de la part d'Israël
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
PARIS – Une organisation juive européenne a dévoilé mardi son « plan pour vaincre l’antisémitisme » à des dizaines de dirigeants de tout le continent, leur demandant d’adopter cette stratégie dans leur pays comme antidote à la montée des attaques contre les Juifs sur leur territoire.
Le plan présenté par l’Association juive européenne [EJA] lors de sa conférence annuelle à Paris appelle tous les pays européens à adopter la définition opérationnelle de l’antisémitisme utilisée par l’International Holocaust Remembrance Alliance – IHRA, [Alliance internationale pour la mémoire de la Shoah], à nommer un envoyé spécial pour la lutte contre l’antisémitisme, à exiger que les écoles incluent des cours sur l’antisémitisme et à légiférer sur l’interdiction des symboles antisémites en public, y compris les symboles nazis.
« En tant que communautés juives, nous ne pouvons pas éradiquer l’antisémitisme par nos propres moyens », a déclaré le président de l’organisation, le rabbin Menachem Margolin, lors du dévoilement du plan.
« Après 20 ans passés à traiter ce sujet, j’ai compris que peu importe le nombre d’écoles que nous visitons et le nombre de délégations que nous amenons à Auschwitz, ce n’est qu’une goutte d’eau dans la mer », a-t-il constaté. « C’est pourquoi nous avons réalisé que la manière de lutter contre l’antisémitisme est de transmettre la responsabilité aux gouvernements européens ».
Menachem Margolin a fait savoir qu’une grande partie du rôle des dirigeants de la communauté juive à l’avenir sera de faire pression sur les parlementaires pour qu’ils prennent des mesures.
Plus de 200 personnes ont participé à cette conférence de deux jours, dont des dirigeants de la communauté juive et des parlementaires européens. Parmi les orateurs figuraient la maire de Paris, Anne Hidalgo, la sous-directrice générale de l’Unesco, Stefania Giannini, l’envoyé spécial des États-Unis contre l’antisémitisme, Elan Carr, la ministre française de la Justice, Nicole Belloubet, et l’ancien secrétaire général de l’OTAN et Premier ministre du Danemark, Anders Rogh Rasmussen.
La conférence, intitulée « Les Juifs en Europe : Unis pour un avenir meilleur », s’est tenue au Centre européen du judaïsme (CEJ), un centre communautaire dont la construction a coûté 15 millions d’euros hors taxes et qui a ouvert ses portes en octobre dernier.
Menachem Margolin trouve que le nouveau bâtiment au centre de Paris respire la « confiance en soi », il lui donne de l’espoir quant à l’avenir des Juifs en France.
L’entrée du centre est protégée par deux grandes portes en verre épais et pare-balles.
Les attaques visant les Juifs en Europe ont augmenté ces dernières années, une tendance mise en évidence par les résultats d’une enquête présentés aux participants de la conférence.
En Grande-Bretagne, le nombre d’incidents antisémites est passé de 150 en 2019 à 1805, selon les statistiques de l’European Action and Protection League. En 2013, le nombre d’incidents haineux en Grande-Bretagne s’élevait à 535.
Aux Pays-Bas, le nombre de crimes haineux est passé de près de 50 à 182 en 2019, soit 82 de plus que le chiffre de 2013, lorsque l’Action and Protection League a commencé à les comptabiliser.
En France, où vivent environ un demi-million de Juifs, le nombre total a également augmenté, s’élevant à 687, contre 150 l’année dernière, soit près de 250 de plus qu’en 2013.
Les chiffres révèlent également une augmentation constante en Autriche, où les incidents haineux sont passés de 255 en 2014 à 547 en 2018.
L’Action and Protection League a également interrogé 16 000 adultes dans 16 pays d’Europe sur leurs sentiments à l’égard des Juifs. Parmi les personnes interrogées, 51 % ont approuvé l’affirmation selon laquelle « les Juifs sont plus enclins que la plupart des autres à recourir à des pratiques douteuses pour atteindre leurs objectifs ».
Cinquante-six pourcents sont soit tout à fait d’accord, soit d’accord avec l’affirmation selon laquelle « il est toujours préférable d’être un peu prudent avec les Juifs ».
Trente-neuf pourcents sont d’accord avec l’affirmation « Il existe un réseau secret juif qui influence les affaires politiques et économiques dans le monde ». L’enquête présentait une marge d’erreur de 0,8 %.
Si les chefs de communauté présents à la conférence n’ont pas minimisé la gravité de la tendance – certains d’entre eux doutant ouvertement que les populations juives de leur pays d’origine y restent – de nombreux orateurs ont tenu à souligner des motifs d’optimisme.
Le chef de la lutte contre l’antisémitisme au Royaume-Uni, John Mann, a souligné la défaite électorale écrasante du président du Parti travailliste Jeremy Corbyn en décembre, qui a été visé par des accusations d’antisémitisme.
« Les électeurs britanniques ont montré ce que notre pays pense de cette question », a commenté M. Mann. Il s’est également vanté que 641 des 643 membres du Parlement britannique avaient signé la définition de l’antisémitisme de l’IHRA, qui inclut « le ciblage de l’État d’Israël, conçu comme une collectivité juive ».
L’État juif doit-il aider les Juifs ?
Sur la question d’Israël, le Times of Israel s’est entretenu avec une poignée de dirigeants communautaires présents, leur demandant s’ils estimaient que l’État juif avait un rôle à jouer dans la lutte contre l’antisémitisme auprès de la diaspora.
Beaucoup d’entre eux ont reconnu qu’au début des années 2000, lorsque l’antisémitisme a commencé à s’intensifier en Europe pour la première fois depuis des décennies, ils ont cherché à prendre leurs distances avec Israël, ne voulant pas être assimilés à l’État juif, qui devenait de plus en plus impopulaire parmi leurs voisins non juifs, en particulier les immigrants musulmans.
« Mais aujourd’hui, tout le monde sait que l’anti-sionisme est de l’antisémitisme et qu’il n’y a aucune raison d’essayer de séparer les deux », a déclaré M. Margolin. Le président français Emmanuel Macron s’est d’ailleurs fait l’écho de ce sentiment dans un discours prononcé plus tôt cette année.
Menachem Margolin a fait valoir que l’État d’Israël a donc un « rôle fort » à jouer pour aider les Juifs de la diaspora à combattre l’antisémitisme.
« Il y a peut-être un risque », a-t-il dit, reconnaissant que cela pourrait conduire à assimiler les communautés juives d’Europe à Israël et à ses politiques, « mais les bénéfices que l’on peut tirer de sa contribution sont bien supérieurs ».
Les dirigeants des petites communautés juives allemandes de Fribourg et de Rhénanie du Nord-Westphalie, composées de moins de 1 000 membres, ont déclaré que des entreprises israéliennes les conseillent sur les questions de sécurité, mais que l’implication du gouvernement est limitée.
« Je ne peux pas dire que le gouvernement israélien ait l’obligation d’agir sur cette question, mais nous l’apprécierions bien sûr », estime Irina Katz, présidente de la communauté juive de Fribourg.
La présidente de la communauté juive de Rhénanie du Nord-Westphalie, Leah Floh, a affirmé qu’Israël « doit jouer un rôle particulier pour protéger les Juifs de la diaspora et vice-versa. Malheureusement, ils n’ont pas joué de rôle jusqu’à présent ».
Interrogée pour savoir si sa communauté avait officiellement pris contact avec les autorités israéliennes, Leah Floh – une cousine du ministre Zeev Elkin du Likud – a reconnu que non, mais a affirmé que ce soutien ne devait pas dépendre de demandes officielles, car Jérusalem est « consciente » de la situation des Juifs dans le monde entier.
« Ils ont assez de problèmes à régler en Israël, mais peut-être qu’un jour ils se rendront compte qu’il est temps de réagir », a-t-elle ajouté.
Leah Floh et Irina Katz, dont les communautés allemandes sont composées en grande partie d’immigrants de l’ancienne Union soviétique, ont toutes deux indiqué que la vie est devenue de plus en plus difficile pour leurs membres en raison de la montée de l’antisémitisme et qu’ils pourraient choisir de partir si la tendance se poursuit.
« Nous n’attendrons pas comme ils ont fait dans les années 1930 », souligne Mme Floh.
Mme Katz prédit que des membres de sa communauté déménageraient en Israël ou aux États-Unis si la situation continuait à se détériorer.
David Liscia, président de la communauté juive de Florence, a fait savoir que l’ambassade israélienne en Italie a envoyé des fonctionnaires pour apprendre à ses membres comment réagir aux attaques antisémites. Tout en reconnaissant lui aussi le caractère sensible de l’implication de Jérusalem dans la communauté, M. Liscia affirme que les Juifs de Florence sont beaucoup moins menacés que leurs voisins de Rome ou d’autres grandes villes européennes, et qu’ils ont donc moins de raisons de s’inquiéter.
En outre, il a fait valoir que « ceux qui trouveraient un problème par rapport à Israël trouveraient une autre excuse pour critiquer si Israël n’était pas impliqué ».
Joël Mergui, président du Consistoire central de France qui assure des services aux Juifs français, a déclaré que recevoir de l’aide de l’État juif et être lié à Israël n’était pas une préoccupation, car « les antisémites le font déjà ».
Il a fait valoir qu’Israël devrait contribuer à renforcer l’identité juive des Juifs français, qui souffrent depuis quelques années de l’assimilation.
Il s’est toutefois abstenu de dire que le gouvernement israélien avait la responsabilité de protéger les Juifs de l’étranger contre l’antisémitisme car « la sécurité des Juifs de la diaspora est la responsabilité de leurs pays respectifs ».
« Les gouvernements européens ne doivent pas pouvoir penser que c’est la responsabilité d’Israël », a ajouté M. Mergui. « Je ne dis pas qu’Israël n’a pas un rôle à jouer [dans la lutte contre l’antisémitisme], mais celui-ci ne devrait pas être officiel ».
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