Retour sur le parcours trépidant de la regrettée Ruth Gruber
Elle avait photographié les moments les plus symboliques de l’Exodus en 1947 et rêvait d’un monde "sans réfugiés à la recherche d’un foyer"
Lorsque Ruth Gruber a vu un reportage durant la Deuxième Guerre mondiale dans lequel 1 000 réfugiés allaient être emmenés vers les États-Unis, elle s’est empressée de se rendre sur son lieu de travail, avec le secrétaire de l’Intérieur.
« Je me suis débarrassée de mon petit déjeuner, j’ai couru au bureau et j’ai crié : je dois voir le secrétaire de l’Intérieur. Je lui ai dit : quelqu’un doit aller leur tenir la main, ils vont être terrifiés », raconte Gruber dans une interview accordée en 2010 au Sunday Telegraph of London.
Ce quelqu’un, ça sera elle, et, alors qu’elle accompagne les réfugiés aux États-Unis, elle les interroge. Ces entretiens ont donné naissance à « Haven: The Dramatic Story of 1,000 World War II Refugees and How They Came to America », l’un des 19 livres de la longue et surprenante vie de Gruber.
La journaliste et humaniste est décedée à son domicile mercredi, selon son éditeur Philip Turner. Elle avait 105 ans.
Gruber est née à Brooklyn et a commencé à étudier à l’université de New York à l’âge de 15 ans. Âgée d’à peine 20 ans, elle était déjà titulaire d’un doctorat de l’université de Cologne, en Allemagne. Elle avait rédigé sa thèse sur Virginia Woolf, qu’elle a rencontrée plus tard.
Gruber a ensuite embrassé la carrière de journaliste. Elle a travaillé comme correspondante étrangère et a visité l’Artique soviétique et la Sibérie. Elle écrivait et photographiait. C’est elle qui a couvert l’arrivée de l’Exodus en 1947 en Palestine, et qui a fait un reportage sur le sauvetage des juifs du Yemen dans les années 1950, et d’Éthiopie dans les années 1980.
Durant la Seconde Guerre mondiale, elle a été nommée au poste d’assistante du secrétaire de l’Intérieur, Harold Ickes. Elle avait réalisé pour lui une étude censée déterminer si les vétérans pouvaient s’installer en Alaska.
En 1944, Gruber a été impliquée dans une mission qui consistait à faire venir un groupe de 1 000 réfugiés européens aux États-Unis. Elle s’est battue pour que les réfugiés obtiennent la nationalité américaine, et elle a fini par réussir.
Elle est revenue vers le journalisme, après la guerre. Elle a couvert la détresse d’autres réfugiés juifs, et l’impuslion qui leur a permis de s’installer dans ce qui était alors la Palestine.
« Je pensais qu’il fallait combattre l’injustice partout où elle se trouvait, et y a-t-il meilleur outil que le journalisme pour cela ? J’avais toujours sur moi ma petite machine à écrire Hermès, qui pesait un kilo, et mes deux appareils photos », racontait-elle dans l’interview du Suanday Telegraph.
La photojournaliste faisait partie des premiers à embarquer à bord de l’Exodus en 1947, et elle a couché sur pellicule ce qui deviendra une photo caractéristique des passagers juifs, des survivants de la Shoah brandissant un drapeau flanqué d’une croix gammée.
Elle s’est tenue sur l’un des trois bateaux de prisonniers britanniques qui emmenaient les réfugiés en Israël, le Runnymeade Park.
« Les réfugiés ont brandi un énorme drapeau, avec certaines femmes aussi, et ils avaient peint une croix gammée sur l’Union Jack britannique. Et je me suis dit : ç’est un moment historique. Ce drapeau est historique », et j’ai appuyé frénétiquement sur mon appareil », se souvient Gruber dans un documentaire.
Dans « Haven », Gruber a écrit qu’elle est descendue par la suite dans la « prison » du navire.
« C’était comme dans une scène de l’Enfer de Dante. Les gens étaient à moitié nus, assis ou dormant sur le plancher métallique… Certains montraient des photos de bébés pour que je prenne des photos. J’en ai pris aveuglément – en aveugle parce que la seule lumière venait à travers les barreaux de la prison ; aveuglée par leur agonie », écrivait-elle.
Mais c’était son voyage avec les réfugiés vers le sol américain pendant l’Holocauste qui allait devenir l’accomplissement qui l’a définie, à ses propres yeux.
« L’expérience de Haven est avec moi tous les jours », écrivait-elle dans son livre de 1983.
« Quel était le but, qu’est-ce que les années de journalisme ont signifié pour moi, les années de couverture des survivants et des déplacés ? Par le biais du journalisme, j’ai cherché à comprendre les gens et la politique, à explorer de nouvelles frontières, à voir, à sentir, à goûter, à toucher et à essayer de capturer avec honnêteté et compassion ce que j’ai vu. J’espère avoir réussi », écrit-elle.
Orientant la discussion vers ses petits-enfants, la journaliste conclut : « et puis je me demande ce qu’ils seront quand ils grandiront. Je prie pour qu’ils fassent mieux que nous et construisent un monde sans faim et sans peur, un monde sans réfugiés qui ont besoin d’un havre, d’un monde en paix ».
Gruber a reçu les honneurs de différentes organisations comme le musée de la Tolérance du Centre Simon Wiesenthal. Elle s’est mariée deux fois. Ses deux maris sont morts avant elle. Elle laisse derrière elle son fils et sa fille de son premier mariage.
Amanda Borschel-Dan a contribué à cet article.
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