Russie: Le grand rabbin dénonce les écrits antisémites d’un haut-responsable
Dans un article appelant à la "désatanisation" de l'Ukraine, un haut-conseiller russe a estimé que le mouvement 'Habad-Loubavitch était "un culte néopaïen" et "suprématiste"
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
Un haut-responsable de la sécurité russe a fait référence au mouvement hassidique ‘Habad Loubavitch en Ukraine en évoquant « un culte suprématiste », mardi, entraînant la condamnation furieuse du grand-rabbin de Russie, Berel Lazar, qui est lui-même membre du mouvement Loubavitch.
Dans un article écrit pour l’hebdomadaire Argumenty i Fakty, qui appartient au gouvernement, le vice-secrétaire du Conseil de sécurité nationale russe Aleksey Pavlov a appelé à « la désatanisation » de l’Ukraine, affirmant que le pays accueillait des centaines de cultes néopaïens.
Pavlov a inclus dans sa liste la secte ‘Habab-Loubavitch, qui était apparue au 18e siècle en Russie et qui est aujourd’hui une force religieuse majeure dans toute l’ex-Union soviétique – en Russie et en Ukraine en particulier.
« Le principe régissant les Hassidiques Loubavtich est de croire à la supériorité des membres de la secte sur toutes les nations et sur tous les peuples », a écrit Pavlov.
Même si l’invasion de l’Ukraine par la Russie est largement considérée sous son aspect géopolitique, la guerre contient également des éléments religieux avec le responsable de l’église russe qui apporte un soutien ferme à la guerre, s’y référant comme à une sorte de croisade.
Dans son article, Pavlov semble épouser ce point de vue religieux du conflit. « Je crois qu’avec la continuation de l’opération militaire spéciale, il devient de plus en plus urgent de procéder à la désatanisation de l’Ukraine », écrit-il ainsi.
Depuis que la Russie a lancé son offensive en Ukraine, au mois de février dernier, le mouvement ‘Habad, en Russie, a tenté de se tenir hors de la ligne de mire de toutes les parties en lice. Ses rabbins, en Russie, ont dénoncé le conflit et les effusions de sang, appelant à ce qu’il se termine, mais ils se sont aussi abstenus de blâmer directement Moscou, conservant dans le vague la question des responsabilités des belligérants. Les membres de l’organisation ont également critiqué de manière moins subtile l’ancien grand rabbin de Moscou Pinchas Goldschmidt, qui n’est pas membre du mouvement, pour sa décision de quitter la Russie et sa communauté dans le but de pouvoir critiquer plus librement la guerre et le leader russe Vladimir Poutine.
L’article de Pavlov souligne la précarité du statut du mouvement ‘Habad en Russie en général, et met en doute la réussite de ce dernier dans sa recherche d’une position équilibrée face à la guerre.
En réponse à l’article, Lazar, le grand rabbin de Russie, qui était dans le passé considéré comme un proche de Poutine, a écrit une lettre ouverte aux autorités russes, leur demandant de condamner les propos de Pavlov.
« Vous pouvez qualifier la logique de M. Pavlov d’insensée, de vulgaire, de superficielle ou d’antisémite – mais la réalité est qu’elle n’est rien d’autre qu’une nouvelle version des vieilles diffamations du sang. Et si elles sont aujourd’hui proférées par un membre du Conseil de sécurité russe alors elles représentent un grand péril. Et nous demandons donc une réponse immédiate et sans ambiguïté de la part de la société et de la part des autorités du pays », a écrit Lazar dans son courrier.
Il a noté qu’il était lui-même membre du mouvement ‘Habad-Loubavitch, comme le sont également « 90% des rabbins qui officient en Russie ! »
Lazar a rejeté l’idée que le mouvement ‘Habad soit un culte et qu’il se considérerait comme supérieur aux autres, faisant remarquer le travail interconfessionnel approfondi qui est réalisé par l’organisation en Russie et ailleurs.
Ces derniers mois, Moscou a pris des mesures de répression contre les activités de l’Agence juive en Russie, intentant un procès à l’organisation qui, selon elle, stockerait des données sur des citoyens russes de manière inappropriée. Même si l’Agence juive est indépendante, elle travaille en étroite collaboration avec le gouvernement israélien et elle encourage l’immigration au sein de l’État juif, en plus d’organiser des activités culturelles et d’éducation en Russie en direction des membres de la communauté.
En raison de ses liens de proximité avec le gouvernement israélien, les initiatives prises par les autorités russes contre le groupe avaient été initialement considérées comme une tentative, de la part de Moscou, d’exercer des pressions diplomatiques sur Israël. Aujourd’hui, néanmoins, ces mesures prises à l’encontre de l’Agence juive semblent davantage entrer dans le cadre d’une répression plus globale de la société civile en Russie, une répression qui dure depuis des années.
Le mois dernier, Poutine avait aussi paru mettre en garde les Juifs russes contre un éventuel désir de quitter le pays, ce qu’ont fait des dizaines de milliers de personnes depuis le début de la guerre en Ukraine. Il leur avait rappelé qu’ils avaient le devoir d’apporter leur contribution à la Russie.
« Il est très important que tout en conservant leur loyauté à l’égard de leurs anciennes traditions spirituelles, les Juifs de Russie apportent une contribution solide à la préservation de la diversité culturelle dans notre pays, au renforcement de la concorde interethnique et des principes de respect mutuel et de tolérance religieuse », avait-il déclaré.