Saar tente de justifier l’établissement de relations avec 3 partis européens d’extrême droite
Le ministre a néanmoins admis que certains avaient de « mauvaises racines », ajoutant que la décision restait celle d'Israël, dans un dialogue avec les communautés juives locales
Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Le ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, a déclaré cette semaine avoir demandé à ses diplomates d’établir des canaux de communication officiels avec les partis d’extrême droite en Suède, en France et en Espagne.
Jusqu’ici, les Démocrates de Suède, le Rassemblement national en France et Vox en Espagne avaient été tenus à distance par les institutions israéliennes, en raison de préoccupations liées à leur passé marqué par l’antisémitisme, la négation de la Shoah et des liens historiques avec des mouvements fascistes.
Le ministère des Affaires étrangères, la résidence du président et le bureau du Premier ministre avaient tous adopté cette ligne de non-engagement, considérant leur passé et certaines de leurs prises de position comme incompatibles avec les valeurs défendues par Israël.
La décision de Saar de formaliser un dialogue — révélée par Walla et confirmée par un haut responsable du ministère — s’appuie sur des évaluations internes menées sous son prédécesseur, Israel Katz. Dès son entrée en fonction en novembre, Saar a commandé une analyse approfondie de ces partis, basée sur quatre critères : leur position actuelle sur Israël, leur attitude envers les communautés juives locales, la manière dont ces communautés les perçoivent et les efforts qu’ils ont entrepris pour affronter leur héritage antisémite.
À l’issue de cet examen, Saar a jugé qu’un dialogue avec ces trois partis était possible. En revanche, il a décidé de maintenir la politique de non-engagement d’Israël vis-à-vis du Parti de la liberté d’Autriche (FPÖ) et de l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), estimant que leurs efforts de réhabilitation restaient insuffisants, comme l’a rapporté Walla.
S’adressant mardi à Bruxelles à des responsables de communautés juives et à des militants pro-israéliens, Saar a expliqué sa démarche. Il a souligné qu’Israël ne cautionnait pas l’ensemble de leurs programmes, mais qu’il était essentiel de reconnaître les évolutions récentes dans leurs discours et leurs politiques.

« La relation sera la même qu’avec les autres partis politiques. À l’issue d’un examen de leurs opinions et décisions, sur un plan strictement professionnel, je ne voyais aucune raison de ne pas le faire. Bien au contraire. »
Il a souligné que le ministère des Affaires étrangères évalue chaque cas avec soin.
« Nous examinons de manière responsable, et au cas par cas, les différents partis », a-t-il poursuivi. « Nous examinons leur attitude envers Israël et le soutien qu’ils lui témoignent. Nous examinons également leur attitude à l’égard de l’antisémitisme, de la négation de la Shoah et d’autres questions similaires. »
Saar a précisé que les discussions avec ces partis portent aussi sur la protection des rituels essentiels à la vie juive en Europe, comme la circoncision et la casheroute.
« Nous ne voulons pas tourner le dos à nos amis européens, mais nous ne voulons pas non plus accorder de légitimité à des partis qui servent de tremplin aux néonazis », a-t-il expliqué. « En fin de compte, c’est à nous de décider — et nous le faisons en concertation avec les dirigeants des communautés juives. »

Saar a fait valoir que ces partis ont traversé des réformes significatives, mettant en avant leur position pro-Israël actuelle et leurs efforts déclarés pour lutter contre l’antisémitisme.
« Certains de ces partis ont de mauvaises racines », a reconnu Saar.« Mais nous jugeons leurs actions d’aujourd’hui. Dénoncent-ils les propos antisémites tenus en leur sein ? Excluent-ils les membres qui s’en rendent coupables ? Ce sont des indicateurs essentiels. »
Malgré les évolutions revendiquées par ces partis, leurs antécédents et certaines de leurs déclarations passées continuent d’alimenter la méfiance.
Israël a ainsi boycotté pendant des décennies le Rassemblement national (RN) français. Fondé sous le nom de Front national par Jean-Marie Le Pen, le parti s’est construit autour de positions nationalistes et xénophobes, et son fondateur a été condamné à plusieurs reprises pour incitation à la haine antisémite. Jean-Marie Le Pen est notamment connu pour avoir qualifié les chambres à gaz nazies pendant la Shoah de « simple détail de l’histoire ».

Depuis qu’elle a pris la tête du parti en 2011, sa fille Marine Le Pen s’efforce de rompre avec cet héritage, cherchant à le rendre plus respectable aux yeux du grand public. En 2015, elle a officiellement exclu son père du parti et s’est publiquement distanciée de sa rhétorique antisémite. Cependant, elle a largement recentré son discours sur une dénonciation de l’islam et de l’immigration, visant particulièrement les musulmans, qui représentent environ 11 % de la population française.
Bien que Marine Le Pen ait condamné l’antisémitisme à plusieurs reprises, certains experts estiment qu’une part significative de la base électorale du RN continue de nourrir des préjugés antisémites.
Les Démocrates de Suède sont le plus grand parti du bloc de droite suédois et le deuxième au Riksdag à partir de 2024. Les Suédois ont longtemps critiqué le parti en raison de ses racines dans le mouvement néonazi. Ces dernières années, le parti a tenté de se repositionner en excluant ses membres les plus extrémistes et en recentrant son discours sur la lutte contre la criminalité et l’immigration, dans un contexte de hausse des fusillades et des violences liées aux gangs.
En 2022, un responsable du parti a été suspendu après avoir tenu des propos insultants sur Anne Frank, la qualifiant d’« immorale ».
En 2018, un dirigeant du SD avait proposé une motion visant à interdire la circoncision non médicale des garçons, qualifiant cette pratique de « maltraitance infantile rétrograde ». La même année, pourtant, Alexander Christiansson, député du SD, avait déposé une motion appelant à transférer l’ambassade de Suède en Israël de Tel Aviv à Jérusalem, s’alignant ainsi sur la position israélienne qui considère Jérusalem comme sa capitale. Aucune de ces propositions n’a abouti, mais la question de la circoncision reste sensible en Suède. En 2021, des responsables du ministère de la Santé ont ouvert une enquête sur un rabbin et un médecin, les accusant de ne pas avoir administré d’anesthésie lors de circoncisions de nourrissons juifs.

En Espagne, le parti Vox a suscité de vives controverses en raison de ses positions politiques radicales et de certaines de ses affiliations historiques.
Le parti prône la restriction de l’accès à l’avortement, l’abrogation des lois existantes sur la lutte contre les violences faites aux femmes, ainsi que la suppression du ministère de l’Égalité.
Vox a également été critiqué pour avoir accueilli dans ses rangs des individus aux affiliations néonazies. En 2019, le parti avait désigné comme candidat au Congrès l’historien Fernando Paz, connu pour ses prises de position révisionnistes sur la Shoah. Paz avait notamment remis en question des faits historiques établis sur la Shoah et qualifié les procès de Nuremberg de « farce ».
Le maintien par le ministère israélien des Affaires étrangères de l’interdiction de tout contact officiel avec l’Alternative pour l’Allemagne (AfD) — qui vient de réaliser son meilleur score électoral à ce jour — et avec le Parti de la liberté autrichien (FPÖ) repose sur des critères spécifiques. Selon Ynet, Israël suit de près l’évolution de ces partis pour voir s’ils prennent réellement leurs distances avec les comportements antisémites et les discours extrémistes.
« Il s’agit de mettre à jour nos évaluations à la lumière de leurs actes concrets », a déclaré un haut responsable cité par Ynet.