« Shalom Ohad, je suis avec les manifestants en Iran, je filme avec une caméra cachée »
Images des manifestations de Téhéran prises clandestinement pour la Douzième chaîne israélienne, et interviews de manifestants ; "Le peuple ne veut plus de vous"
La Douzième chaîne israélienne a diffusé des images tournées pour son compte depuis Téhéran avec une caméra cachée, donnant aux téléspectateurs israéliens un rare aperçu, lundi soir, du mouvement de protestation populaire, dirigé par des femmes, qui balaie l’Iran depuis trois semaines.
Comment et quand la Douzième chaîne a obtenu ces images n’a pas été précisé. Toute interaction entre un citoyen iranien et les médias israéliens risquant d’être perçue de manière extrêmement négative par les autorités iraniennes, qui tentent en ce moment de contrôler une vague de protestations déclenchée par la mort d’une jeune femme placée en garde à vue.
Plus tôt dans la journée de lundi, le dirigeant suprême de l’Iran, Ali Khamenei, a accusé les États-Unis et Israël d’avoir fomenté les manifestations.
Mahsa Amini, 22 ans, a été déclarée morte le 16 septembre, quelques jours après son arrestation par la tristement célèbre police des mœurs. Cette Iranienne d’origine kurde avait été arrêtée parce qu’elle aurait enfreint la loi obligeant les femmes à porter le hijab et des vêtements modestes. La colère suscitée par la mort d’Amini a déclenché la plus grande vague de protestations que l’Iran ait connue depuis près de trois ans, et les forces de sécurité de Téhéran ont réprimé des centaines d’étudiants universitaires dans la nuit de dimanche à lundi.
Les manifestations se sont transformées en un défi ouvert aux dirigeants iraniens, avec des femmes brûlant leur foulard imposé par l’État et des chants de « Mort au dictateur », qui ont résonné dans les rues et sur les balcons à la nuit tombée.
La séquence diffusée sur la Douzième chaîne s’ouvre sur le caméraman, dont la voix est déformée pour des raisons de sécurité, qui salue le correspondant de la chaîne israélienne pour les affaires palestiniennes, Ohad Hemo, en disant « Shalom Ohad, je suis avec les manifestants en Iran… Je suis en train de filmer les manifestations avec une caméra cachée ».
La caméra fait un bref panoramique sur le visage du caméraman dissimulé derrière un masque.
Tout en marchant, le caméraman identifie les agents de police en civil et en uniforme qui se préparent à réprimer la foule qui proteste.
La vidéo montre des manifestants scandant « Je tuerai celui qui tue mon frère » et « Mort au dictateur », en référence à Khamenei.
On peut également entendre des manifestants s’encourager mutuellement à ne pas avoir peur, malgré les méthodes de répression brutales et parfois meurtrières des forces de police.
Les forces de sécurité ont répondu par des gaz lacrymogènes, des balles de métal et, dans certains cas, par des balles réelles, d’après des groupes de défense des droits de l’homme et des images abondamment diffusées.
Au moins 92 manifestants ont été tués jusqu’à présent au cours des manifestations, selon le groupe Iran Human Rights (IHR), basé à Oslo, qui tente d’évaluer le nombre de morts malgré les coupures d’Internet et les blocages touchant les réseaux sociaux WhatsApp, Instagram et d’autres services en ligne.
Amnesty International a déclaré plus tôt qu’elle avait confirmé 53 décès, après la déclaration de l’agence de presse semi-officielle iranienne Fars la semaine dernière indiquant « qu’environ 60″ personnes étaient mortes.
Au moins 12 membres des forces de sécurité auraient été tués depuis le 16 septembre.
L’inquiétude s’est accrue lundi suite à une intervention nocturne contre les étudiants de la prestigieuse Université de technologie Sharif de Téhéran où, où, les médias locaux ont indiqué que la police anti-émeute portant des fusils à billes d’acier a utilisé des gaz lacrymogènes et des fusils à billes de peinture contre des centaines d’étudiants.
Les étudiants scandaient « Femme, vie, liberté », et « les étudiants préfèrent la mort à l’humiliation », selon l’agence de presse Mehr.
L’IHR a publié des vidéos qui montreraient des policiers à moto poursuivant des étudiants en fuite dans un parking souterrain et emmenant des détenus, la tête recouverte d’un sac en tissu noir.
Dans une des vidéos, qui aurait été prise dans une station de métro de Téhéran, selon l’IHR, on peut entendre une foule chanter : « N’ayez pas peur ! N’ayez pas peur ! Nous sommes tous ensemble ! »
La séquence diffusée sur la Douzième chaîne comprend une interview d’une femme qui manifeste contre les lois sur le port obligatoire du voile.
La police est « déjà finie », a déclaré la femme non identifiée, ajoutant « elle ne pourra plus gérer la situation très longtemps »
« Si nous ne voulons plus du régime de l’ayatollah, que pouvons-nous faire ? Où nos voix seront-elles entendues ? » a demandé la manifestante.
Un autre manifestant anonyme a déclaré à la caméra : « J’ai un message pour les dirigeants du régime : le peuple ne veut plus de vous. Si je devais diriger ce pays, je ferais un bien meilleur travail que vous. »
Khamenei a évoqué les protestations lundi, ses premiers commentaires publics sur la question, en accusant les Américains et les forces « sionistes » d’avoir fomenté les protestations, affirmant que de nombreux manifestants étaient payés.
« Ces émeutes ont été planifiées… Ces émeutes et ces insécurités ont été élaborées par l’Amérique et le régime sioniste, et leurs employés », a déclaré Khamenei aux policiers stagiaires.
Il a averti que « ceux qui fomentent des troubles pour saboter la République islamique sont passibles de poursuites et de sanctions sévères. »
Les protestations liées à la mort d’Amini ont touché un nerf en Iran, en raison de la flambée des prix, du chômage élevé, des restrictions sociales et de la répression politique. Les manifestations ont eu lieu à Téhéran et dans les provinces les plus reculées, malgré les restrictions imposées par les autorités à l’accès à Internet et le blocage des applications de réseaux sociaux.
Les universités des grandes villes, dont Ispahan dans le centre de l’Iran, Mashhad dans le nord-est et Kermanshah dans l’ouest, ont organisé des manifestations au cours desquelles des foules d’étudiants ont applaudi, chanté et brûlé le foulard imposé par l’État.
« Les étudiants sont réveillés, ils détestent les dirigeants ! » ont scandé des foules d’étudiants à l’université de Mazandaran, dans le nord du pays.