« Tout ce qui arrive aux Juifs, ils l’exagèrent »
Un réalisateur israélien a monté un documentaire sur ce que les Palestiniens de Cisjordanie pensent de la Shoah
Lazar Berman est le correspondant diplomatique du Times of Israël

Que pensent les Palestiniens de la Shoah ? Et savent-ils de quoi il s’agit ? Le cinéaste israélien amateur Corey Gil-Shuster, qui a émigré en Israël en provenance du Canada il y a 15 ans, a entrepris une série sur YouTube intitulée « Demandez à un Israélien, demandez à un
Palestinien » qu’il a également conduite en Cisjordanie.
Les résultats, même s’ils ne sont pas vraiment scientifiques, ne s’avèrent toutefois pas très encourageants.
Il y a trois types de réponses qui sont apparues au cours de ces entretiens : le manque de connaissances sur la Shoah, le point de vue que la Shoah a bien eu lieu, mais qu’elle a été exagérée ou qu’elle représente ce que font les Israéliens aux Palestiniens à l’heure actuelle, ou alors, troisième possibilité, l’idée qu’Adolf Hitler avait raison de vouloir tuer tous les Juifs.
Gil-Shuster et son traducteur ont filmé avec une caméra toute simple achetée 180 dollars chez Best Buy. Les séquences ont été principalement tournées à Ramallah alors que les combats de cet été à Gaza avaient cours.
« Le traducteur et moi marchions dans la rue et il a principalement choisi des gens qui avaient l’air intelligents » affirme Gil-Shuster au Times of Israel. « Nous avons surtout demandé à des gens qui avaient un peu de temps pour répondre à une question ».
Ayoud à Ramallah, par exemple, a déclaré que « ce qui a été fait aux Juifs, les Juifs sont en train de le faire » selon le traducteur de Gil-Shuster.
« Ils sont essentiellement en train de massacrer les Palestiniens, tout comme ce qu’Hitler leur a fait », acquiesce sa compagne Najla des États-Unis, « à part que les gens ont plus de sympathie pour les Juifs que pour les Palestiniens, parce que dans les médias américains, ils dépeignent les Juifs comme ceux qui sont frappés par les Palestiniens ».
Mohammad de Ramallah a déclaré que « 100 000 Juifs ont été tués, mais ils continuent de dire qu’il y en a eu 6 millions… Tout ce qui arrive aux Juifs, ils l’exagèrent ».
Toujours à Ramallah, Malek a déclaré : « C’est exagéré dans les médias. Je suis bien sûr contre ça et contre le meurtre de civils partout… Personne ne nie la Shoah. Que c’est arrivé et que c’est bien réel. Mais ce que fait Israël maintenant est de l’utiliser comme une excuse pour jouer la victime devant le monde entier… Ils nous tuent, nous, les Palestiniens, tout comme on les a tués ».
S’exprimant à Naplouse, un homme du nom d’Ahmed dit : « Respect à Hitler ». En ajoutant qu’il voulait tuer des Juifs « parce que les Juifs occupent la terre ».
Une jeune femme nommée Amani, à Ramallah, est d’avis que « Hitler a laissé quelques Juifs en vie pour faire savoir au monde pourquoi il les avait brûlés ». Est-ce que les Juifs incarnent le mal ? « Oui, bien sûr, » répond-elle.
Plusieurs répondants ne savent pas grand chose sur la Shoah, au-delà du fait qu’Hitler a brûlé les Juifs.
Abdel-Karim à Ramallah semble être un des mieux informés. « Ils ont été tués, ils ont été brûlés, ils ont été expulsés » a-t-il expliqué.
« Hitler était un dictateur qui aimait prendre tout en charge… Il voulait que tous les gens aient peur de lui. A cause de cela, il a brûlé les Juifs. Pour montrer aux gens dans le monde quels pouvoirs les Allemands avaient ».
Ce projet autofinancé a commencé un peu par hasard il y a environ trois ans, quand Gil-Shuster en a eu assez de voir des non-Israéliens se targuant de parler de la société israélienne sans que cela ne corresponde aucunement à ce que lui avait vécu ici. Il a commencé par demander via Facebook à poser des questions aux Israéliens.
Le projet, qui a recueilli plus de 100 000 visionnages pour certaines des vidéos, a fait l’objet de plus d’un millier de commentaires.
Gil-Shuster a dit qu’il avait un ensemble de règles pour les quelque 250 vidéos qu’il a réalisées : « La majorité des réponses ce sont des gens au hasard que je rencontre dans la rue. J’inclue toutes les réponses, peu importe ce qu’ils disent. Je ne fais pas de sélection dans le contenu de ce qu’ils disent. J’essaie d’obtenir un échantillon représentatif des Israéliens – jeunes, vieux, hommes, femmes, Arabes, Juifs, etc. Cela ne fonctionne pas toujours car les personnes âgées, les femmes et les Arabes, par exemple, sont moins susceptibles d’accepter de figurer dans le projet. Ce n’est donc pas un échantillonnage scientifique mais j’essaie tout de même ».
Il a affirmé être au courant que la reconnaissance de la Shoah demeure un sujet tabou dans la culture palestinienne, et que nombre d’entre eux en savent peu ou pensent que c’est un mensonge fabriqué par les Juifs.
Pourtant, a-t-il dit, « il a été un peu choqué par la profondeur de la haine qu’ils ont pour les Juifs et pour les Israéliens. J’avais envie de crier quand ils ont répondu à certaines questions, mais je ne voulais pas brûler les ponts et qu’ils pensent que j’ai un motif anti-palestinien à poser toutes ces questions ».
Il a dit qu’il ne sentait pas qu’il était en danger de poser des questions au sujet de la Shoah. « Je me présente en tant que Canadien. Personne ne demande jamais si je suis juif et je ne pense pas qu’ils se soucient tellement de Juifs étrangers. Mais s’ils soupçonnent que je suis israélien, ils vont probablement penser que je suis un agent du Shin Bet ou une sorte d’espion à la recherche d’informations ».
Le projet a donné à Gil-Shuster certaines idées sur la société palestinienne actuelle.
« J’ai remarqué qu’à Ramallah, où ils sont plus mondains, plus riches, et où ils ont une meilleure qualité de vie, ils ont plus de haine que des Palestiniens plus pauvres et moins éduqués vivant à Jénine, par
exemple ».
Une vidéo de Gil-Shuster réalisée en 2010 montrait des Palestiniens visitant le musée de Yad Vashem à Jérusalem mais donnait une impression bien différente.
De jeunes habitants de Cisjordanie avaient exprimé leur horreur de ces événements et une certaine volonté d’en tirer des leçons.