Trump réintroduit le trait d’union dans le mot « antisémitisme »
La Maison Blanche n'explique pas le retour à l'ancienne politique, qui, selon ses opposants, "crée la catégorie raciale 'sémite'" ; pour l'ADL, l'orthographe importe moins que la politique

JTA — Cela était censé avoir été réglé : supprimer le trait d’union du mot « anti-sémitisme » et utiliser « antisémitisme » à la place.
Le débat public s’était enflammé en 2020, mais en 2024, presque tout le monde avait adopté cette nouvelle orthographe : juifs et non-juifs, universitaires et journalistes, représentants du gouvernement et simples citoyens, de droite comme de gauche.
Puis, en janvier, Donald Trump a repris ses fonctions et a de nouveau fait inscrire le mot « anti-sémitisme » avec un trait d’union.
C’est l’orthographe que le gouvernement utilise dans ses déclarations officielles, notamment dans le décret présidentiel du 29 janvier intitulé « Mesures supplémentaires pour lutter contre l’antisémitisme » et dans le titre du nouveau « Groupe de travail pour lutter contre l’antisémitisme ».
Quelle est l’intention derrière le retour du trait d’union ? La Maison Blanche n’a pas répondu à la demande d’informations de la Jewish Telegraphic Agency.
Mais cette question laisse perplexe la personne peut-être la plus responsable du passage à la forme unifiée du mot : Deborah Lipstadt, l’experte de la Shoah qui a été envoyée spéciale pour surveiller et combattre l’antisémitisme sous l’administration Biden.

« Cette décision n’a aucun sens », a écrit Lipstadt dans un courriel adressé à la JTA.
« Je ne comprends pas pourquoi il y a eu ce revirement. »
Lipstadt connaît bien les arguments contre le trait d’union. « Les seules personnes qui font pression pour le trait d’union sont celles qui souhaitent créer une catégorie raciale ‘sémite’ », a-t-elle déclaré dans son courriel.
« Elles le font dans le but de se déclarer elles-mêmes ‘sémites’ et donc incapables de se retourner contre leur propre groupe. »
« Cette affirmation est ridicule à plusieurs niveaux. Premièrement, on peut faire partie ‘d’un’ groupe et lui être hostile. Deuxièmement, il n’existe bien sûr pas de peuples sémites. Il existe des peuples qui parlent des langues sémitiques. Enfin, le mot a ses origines dans le mot allemand ‘Antisemitismus’, qui ne comporte pas de trait d’union. L’homme qui l’a inventé voulait qu’il ne signifie qu’une seule chose : la haine des Juifs. »
Mais les arguments de Lipstadt ne semblent pas convaincre l’administration Trump, qui s’efforce de défaire pièce par pièce l’héritage de son prédécesseur. L’orthographe traditionnelle crée une continuité avec le précédent mandat présidentiel de Trump, lorsque l’orthographe avec trait d’union faisait encore consensus ; son nouveau décret sur l’antisémitisme est présenté comme une extension d’un décret qu’il avait signé en 2019.
Quelle importance faut-il accorder à l’orthographe ? Pour de nombreux défenseurs, y compris les auteurs de la définition de l’antisémitisme que l’administration Trump s’est engagée à utiliser, elle s’avère importante.
Michaela Küchler est secrétaire générale de l’International Holocaust Remembrance Alliance(IHRA), qui a rédigé la définition et contribué à populariser la forme sans trait d’union.

« L’IHRA préconise l’orthographe du mot ‘antisémitisme’ sans trait d’union pour souligner que le terme fait spécifiquement référence à l’opposition et à la haine envers les Juifs », a-t-elle écrit dans un e-mail adressé à la JTA.
« En utilisant la forme sans trait d’union, l’IHRA vise à apporter de la clarté dans la lutte contre l’antisémitisme sous toutes ses formes, en particulier à une époque où nous assistons à une augmentation de la violence et de la rhétorique dirigées contre les Juifs dans le monde entier. »
Le terme a été popularisé pour la première fois à la fin des années 1880 par un nationaliste allemand nommé Wilhelm Marr. Ce dernier voulait donner à sa haine des Juifs un aspect plus intellectuel. Il pensait également que le terme contribuerait à présenter les Juifs comme les membres d’une race inférieure, les Sémites, plutôt que comme les adeptes d’une religion minoritaire.
Les Juifs ont fini par utiliser ce terme pour décrire les préjugés auxquels ils étaient confrontés, mais cela a posé divers problèmes. Intentionnellement ou non, certaines personnes n’ont pas compris le sens du terme, se demandant si les Juifs pouvaient être qualifiés de Sémites ou insistant sur le fait que les Arabes étaient également des Sémites – étant donné que l’arabe, comme l’hébreu, est une langue sémitique – et qu’ils ne pouvaient donc pas être considérés comme antisémites.
Au 21ᵉ siècle, des universitaires juifs comme Lipstadt avaient appelé à abandonner le trait d’union, affirmant que la nouvelle orthographe contribuerait à dissiper la confusion sur la signification du terme. Son livre de 2019, Antisemitism: Here and Now (« L’antisémitisme : ici et maintenant »), avait joué un rôle important à cet égard. En 2020, les organisations juives avaient commencé à adopter le changement, y compris l’Anti-Defamation League (ADL), l’American Jewish Committee (AJC), le Congrès juif mondial et Yad Vashem, le musée de la Shoah en Israël.
La plupart des médias d’information avaient rapidement emboîté le pas, à commencer par l’Associated Press et son guide de style omniprésent, ainsi que le New York Times. Les médias de droite comme Fox News et Breitbart avaient également commencé à utiliser le terme « antisémitisme ». Il en avait été de même pour toute la presse juive, y compris la JTA.
La préférence de l’administration Biden pour l’orthographe « antisémitisme » aurait pu la faire considérer comme « libérale », mais cela n’avait pas été le cas. La droite avait tout de même adopté la nouvelle orthographe. Par exemple, l’année dernière, la Heritage Foundation, l’influent groupe de réflexion de droite, avait publié « Project Esther : A National Strategy to Combat Antisemitism » (« Projet Esther : une stratégie nationale de lutte contre l’antisémitisme »).
Toute cette transition est visible dans le travail de Bari Weiss, la journaliste juive iconoclaste qui s’est faite connaître en menant une croisade contre l’antisémitisme à l’Université de Columbia et au New York Times. Son livre de 2019 s’intitule How to Fight Anti-Semitism (« Comment combattre l’anti-sémitisme )». The Free Press, le média qu’elle a fondé en 2021, écrit le mot sans trait d’union.

Alors même que le nouveau consensus émergeait, certains ont fait valoir que le débat accaparait une attention injustifiée.
« Les utilisateurs des réseaux sociaux aiment les querelles de style plutôt que de fond, et le langage est bien plus facile à contrôler que les actions. Il est donc compréhensible que ceux qui cherchent à vaincre un préjugé vraisemblablement insoluble tel que l’antisémitisme soient attirés par cette question », a écrit Yaïr Rosenberg, rédacteur pour l’Atlantic, qui n’a jamais abandonné le trait d’union.
« Mais le temps et l’énergie consacrés à ce sujet seraient bien mieux utilisés pour combattre les antisémites et pour éduquer les alliés. »
Lorsque l’ADL avait adopté la nouvelle orthographe en 2021, la réputation du groupe en tant qu’organisation la plus importante au monde dans la lutte contre l’antisémitisme avait contribué à inverser la tendance. Elle avait alors écrit : « Bien que la suppression d’un trait d’union ne suffira pas à vaincre l’antisémitisme, nous pensons que cette légère modification contribuera à clarifier la compréhension de cette haine séculaire. »
Interrogée sur le fait que Trump ait rétabli le trait d’union, l’ADL a minimisé l’importance de l’orthographe de ce terme.
« La communauté juive continue de faire face à des niveaux d’antisémitisme sans précédent depuis le 7 octobre [2023] », a souligné le groupe dans un communiqué.
« Peu importe comment on l’écrit – antisémitisme, AntiSémitisme ou anti-Sémitisme – c’est toujours le même problème. La solution requiert une approche pangouvernementale et pansociétale. »