Un documentaire sonde l’identité complexe d’un jeune Israélien adopté
Le film de Tomer Heymann, ‘I am Not,’ suit Oren, un adolescent autiste né au Guatemala, dans un voyage qui l'emmènera bien au-delà des étiquettes collées sur lui par les médecins
Même s’il a fait sa connaissance il y a déjà plus d’une décennie, le réalisateur israélien Tomer Heymann se souvient encore très bien de sa première rencontre avec l’un de ses élèves – un élève particulièrement attachant.
Heymann donnait des cours à une classe formée d’adolescents défavorisés et passionnés de cinéma. Son objectif était d’aider ces jeunes à dépasser leurs difficultés et à – peut-être – intégrer la future génération de réalisateurs de film. Un retardataire s’était présenté en disant qu’il avait deux prénoms : « L’un des deux noms est Oren. Je ne vous dirai pas l’autre ».
« C’était surréaliste », se souvient Heymann.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Après ce départ de mauvais augure, Heymann et Oren avaient fini par apprendre à bien se connaître. Heymann avait appris que Levy avait été adopté dans son Guatemala natal par ses parents israéliens, Ehud et Dvora Levy – qui avaient aussi adopté une petite fille, Michal, dans ce pays d’Amérique centrale.
Heymann avait aussi découvert que les médecins avaient diagnostiqué chez Levy différentes difficultés psychiques – il souffrait notamment de boulimie et de troubles du spectre autistique, il était atteint du syndrome d’Asperger – et qu’il avait beaucoup souffert pendant sa scolarité et perdu confiance dans les professionnels de la psychiatrie. Enfin, il avait trouvé un environnement épanouissant et sécurisant dans le cadre de l’internat de Bnei Arazim.
Le cinéma était un exutoire pour Levy qui, depuis l’âge de treize ans, sortait rarement sans sa caméra.
Finalement, Heymann a accompagné la famille Levy toute entière dans un périple qui les a menés à Guatemala, où Oren et Michal ont rencontré leurs familles biologiques respectives avant de retourner en Israël. Le résultat de cette relation remontant à plus d’une décennie est un documentaire, « I Am Not » (Je ne suis pas), qui a été réalisé par Heymann et qui a été projeté au Festival du film de Boston, le 21 mars dernier.
Heymann se rappelle être allé se présenter à Ehud et Dvora et leur avoir confié qu’il voulait réaliser un film avec leur fils. Il raconte : « Je leur ai dit : ‘Il peut poser des problèmes et m’ennuyer par moment et pourtant, c’est quelqu’un que j’adore et dont je perçois tout le potentiel. C’est un gamin vraiment sympa’. »
« A cet instant là », continue-t-il, « ils m’ont tourné le dos et je les ai entendus pleurer. Je leur ai dit que j’étais désolé de les avoir émus à ce point. Il y a eu un moment de silence, seulement troublé par des sanglots. Sa mère m’a demandé : ‘Est-ce que vous avez été sincère dans ce que vous avez dit au sujet de notre fils ? Est-ce que vous pouvez le répéter ?’… Lorsque je l’ai fait, elle m’a répondu : ‘Jamais personne ne m’a dit quelque chose de positif au sujet de mon fils. C’est donc vrai ? Vous êtes honnête ?’. »
« Je n’exagérais pas et je n’essayais pas de leur faire plaisir », explique Heymann. « Ils étaient sous le choc à l’idée que quelqu’un ait ouvert son cœur à Oren. Ça n’a été que le début ».
Sous son nom d’origine, « All the Trees are Blowing in the Wind, » le documentaire a été applaudi par la critique lors du festival DocAviv en 2021. (L’année dernière, il a aussi remporté le prix du meilleur film lors de la remise des prix du Forum israélien du documentaire). Heymann a remporté le prix du meilleur réalisateur et Levy celui de la meilleure photographie.
Le lendemain, l’équipe du film au grand complet est allée célébrer son succès. Avant de rejoindre les autres au restaurant, Levy a tenu à s’isoler avec le réalisateur et il lui a demandé de changer le nom du documentaire.
Heymann se souvient des paroles prononcées par Levy : « Appelons-le ‘I’m Am Not.’ ‘I Am Not’, c’est qui je suis en réalité. Je ne suis pas un Asperger, je ne suis pas un autiste, je ne suis pas un boulimique, je n’ai pas de multiples personnalités. Je suis un type étrange. Il y a différents types de personnes dans l’univers. Je peux être triste, je peux être gai’. »
Le film montre les difficultés du quotidien pour Levy, notamment ses disputes avec ses parents pendant une fête de Pessah ou entre le jeune homme et son père dans un parking.
Petit à petit, le spectateur apprend l’histoire de Levy : comme sa sœur, il a été adopté au Guatemala quand il était bébé, en partie à cause de la séparation de ses parents biologiques, lorsque son père Mario a quitté sa mère, Henriqueta.
Le projet du film se concrétisant et Levy apprenant, lui aussi, à connaître Heymann, Levy a pris des décisions déterminantes sur la portée du documentaire – décidant notamment que lorsque la famille se rendrait au Guatemala, le réalisateur se joindrait à elle.
« Oren était très sûr de sa décision, il voulait que je sois là là-bas, avec eux, » se souvient Heymann. « Il y a différents chapitres dans le film, avec une moitié qui se passe en Israël et l’autre qui se déroule au Guatemala. Il n’y a qu’en lisant les deux chapitres qu’il est possible de comprendre vraiment la complexité de ce genre d’histoire ».
Après l’arrivée de Levy en Amérique centrale, et suite à sa demande, Ehud et Dvora ne l’ont pas accompagné le long des routes poussiéreuses empruntées pour aller enfin à la rencontre de son père et de sa mère biologiques. Le documentaire le montre en train de faire connaissance, dans un premier temps, avec Henriqueta et ses enfants, puis avec Mario. Il retrouve ensuite ses parents ensemble, des scènes qui ont toutes la même saveur douce-amère.
Nous assistons également aux retrouvailles très émouvantes entre Michal et ses parents d’origine – elle a choisi, pour sa part, d’être accompagnée par Ehud et Dvora. Devant la caméra, Michal explique avoir souffert de racisme en Israël à cause de sa peau brune.
Le film souligne les défis que doit relever Oren au Guatemala, avec notamment l’obstacle représenté par sa connaissance médiocre de l’espagnol. Il révèle pourtant son aptitude à naviguer entre les difficultés.
« Il ne maîtrisait pas la langue », explique Heymann. « Sa famille biologique ne parlait ni anglais, ni hébreu. Pourtant, quelque chose s’est passé entre eux, avec en particulier une nouvelle capacité à communiquer sans utiliser la parole ».
Réticent aux démonstrations d’affection en Israël, notamment avec ses parents adoptifs, Oren a montré une facette différente de sa personnalité au Guatemala, créant des liens avec les enfants et notamment avec son demi-frère George, encore bébé. Il a aussi souhaité organiser une deuxième rencontre avec Henriqueta en présence, cette fois-ci, de sa famille israélienne. Ses deux mères ont partagé une longue étreinte.
« J’ai découvert que je pouvais être normal, que je pouvais n’avoir aucun problème », réfléchit Oren par la suite. Il ajoute, en utilisant les mots en hébreu pour « Je ne suis pas » : « J’ai le sentiment de ne pas avoir le syndrome d’Asperger, je suis une personne normale, je ne suis aucune de ces étiquettes que vous avez posées sur moi. Je ne suis pas. Ani lo.«
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel