Un haut responsable américain critique Israël
"Comment Israël peut-il avoir la paix s’il ne veut pas délimiter une frontière, arrêter l’occupation ?" a demandé le chef de la Maison Blanche pour le Proche-Orient, Philipp Gordon dans un discours cinglant à Tel Aviv
Raphael Ahren est le correspondant diplomatique du Times of Israël
« L’occupation actuelle de la Cisjordanie par Israël est mal et conduit à une instabilité régionale et à une déshumanisation des Palestiniens », a déclaré mardi à Tel Aviv un haut responsable du gouvernement américain.
Au cours d’une déclaration de politique étrangère inhabituelle et dure, Philipp Gordon, assistant spécial du président américain Barack Obama et coordinateur de la Maison Blanche pour le Moyen-Orient, a appelé les dirigeants israéliens et palestiniens à faire les compromis nécessaires pour obtenir un accord de paix permanent.
Jérusalem « ne devrait pas prendre pour acquis la possibilité de négocier » un tel traité avec l’Autorité palestinienne du président Mahmoud Abbas, qui s’est révélé être un partenaire fiable, a déclaré Gordon.
« Israël fait face à une réalité indéniable : il ne peut pas maintenir un contrôle militaire sur un autre peuple indéfiniment. Agir ainsi est non seulement mal, mais c’est aussi une recette pour créer du ressentiment et une instabilité récurrente », a déclaré Gordon. « Cela renforce les extrémistes de deux côtés, cela déchire le tissu démocratique israélien et nourrit une déshumanisation mutuelle ».
Faisant son discours à la Conférence israélienne pour la Paix du journal Haaretz, Gordon a réitéré la position d’Obama qu’un accord final devrait être basé sur les frontières de 1967 avec des échanges de territoires mutuellement acceptés.
L’administration est consciente qu’Israël doit faire face à des menaces sur plusieurs fronts et Obama reste impliqué pour la sécurité d’Israël, a-t-il déclaré, en s’exprimant le jour où Israël a lancé son l’opération Bordure protectrice pour contrer les tirs de roquettes de la bande de Gaza contrôlée par le Hamas. Juste quelques instants plus tard, les participants à la conférence ont dû aller courir se mettre à l’abri après qu’une alerte signale l’approche d’un missile sur Tel Aviv.
« Les Etats-Unis soutiendront toujours Israël. Nous combattons pour Israël tous les jours aux Nations unies », a-t-il déclaré. Pourtant, en tant que meilleur ami et plus puissant soutien d’Israël, Washington doit pouvoir poser certaines questions fondamentales, a-t-il dit.
Gordon a poursuivi son discours : « Comment Israël restera-t-il démocratique et juif s’il essaie de gouverner les millions d’Arabes palestiniens qui vivent en Cisjordanie ? Comment aura-t-il la paix s’il ne veut pas délimiter une frontière, mettre un terme à l’occupation et permettre une souveraineté, une sécurité et une dignité palestinienne ? Comment empêcherons-nous d’autres Etats de soutenir les efforts palestiniens dans la communauté internationale, si Israël n’est pas perçu comme impliqué pour la paix ? »
L’administration a été déçue que les dernières tentatives de négociations de paix organisées par les Etats-Unis aient échoué et qu’actuellement « nous nous trouvons dans une situation délicate », a souligné Gordon.
« D’un côté, nous n’avons aucun intérêt à un jeu de critique. La difficile réalité est qu’aucune des parties n’a préparé sa population ou s’est montrée prête à prendre les décisions difficiles pour un accord. La confiance s’est effritée des deux côtés. Jusqu’à ce qu’elle soit restaurée, aucune des deux parties ne sera probablement prête à prendre des risques pour la paix, même s’ils vivent avec les terribles conséquences qui résultent de cette absence ».
Les « dernières semaines » montrent que l’incapacité de résoudre le conflit israélo-palestinien « implique inévitablement plus de tensions, plus de ressentiment, plus d’injustice, plus d’insécurité, plus de tragédie et plus de peine », a-t-il dit. « La vue de familles en deuil, aussi bien israéliennes que palestiniennes, nous rappelle que le coût du conflit demeure insupportablement élevé ».
Dans son discours de 25 minutes, la première intervention d’un haut responsable de la Maison Blanche directement au peuple israélien depuis le discours de mars 2013 d’Obama à Jérusalem, Gordon a rejeté toutes les autres alternatives à la solution de deux Etats. Il a appelé le Premier ministre Benjamin Netanyahu à rependre les pourparlers de paix avec l’Autorité palestinienne, en suggérant qu’Abbas était le meilleur dirigeant palestinien que Jérusalem pouvait espérer. « Israël ne devrait pas prendre pour acquis la possibilité de négocier une telle paix avec Abbas qui a montré a plusieurs reprises qu’il était impliqué pour la non-violence, la coexistence et la coopération avec Israël ».
A un moment de son discours, Gordon semblait contredire directement une déclaration faite par Netanyahu la semaine dernière concernant les besoins de sécurité d’Israël.
Se référant aux discussions que le général américain à la retraite John Allen avait tenu avec des officiers de l’armée israélienne concernant les moyens de sécuriser la frontière israélienne avec la Jordanie, Gordon a expliqué que les plans d’Allen prennent en compte « une série d’éventualités, y compris des menaces grandissantes que nous percevons au Moyen-Orient ». Allen évoquait probablement les gains territoriaux effectués lors des récentes semaines par le groupe terroriste radical l’Etat islamique, anciennement connu comme l’EIIL.
« Les démarches discutées créeraient une des frontières les plus sure du monde de deux côtés du Jourdain », a expliqué Gordon. « En développant une couche de défense qui inclut un renforcement significatif des barrières des deux côtés de la frontière, en s’assurant du nombre adéquat de soldats au sol, en déployant la technologie de dernier cri, un programme global de test rigoureux, nous pouvons rendre la frontière sûre contre n’importe quel type de menace conventionnelle ou non conventionnelle, des terroristes individuels aux forces armées conventionnelles ».
Le 29 juin, Netanyahu avait déclaré que l’un des défis centraux pour la sécurité d’Israël était de « stabiliser la zone ouest de ligne de sécurité du Jourdain ». Dans cette partie de la Cisjordanie, le Premier ministre a déclaré « aucune autre force que notre armée et nos services de sécurité ne peut garantir la sécurité d’Israël… Qui sait ce qui l’avenir nous réserve ? La vague de l’EIIL pourrait rapidement être redirigée contre la Jordanie », a-t-il déclaré lors d’une conférence à Tel Aviv.
Israël devrait donc maintenir un contrôle sécuritaire à long terme du territoire le long du Jourdain quel que soit l’accord avec les Palestiniens, a déclaré le Premier ministre. « L’évacuation des forces israéliennes mènerait directement à l’effondrement de l’Autorité palestinienne et à la montée en puissance de forces islamiques radicales, comme cela a été le cas à Gaza. Cela mettrait sérieusement Israël en danger ».
Dans son discours à l’hôtel David Intercontinental de Tel Aviv, Gordon a également évoqué la pluie de roquettes qui s’abat sur Israël depuis la bande de Gaza contrôlée par le Hamas. « Les Etats-Unis condamnent fermement ces attaques.
« Aucun pays ne devrait vivre sous la menace constante d’une violence hasardeuse contre des civils innocents », a rappelé Gordon, dont l’administration avait été fortement critiquée par le gouvernement israélien pour avoir accepté de travailler rapidement avec le nouveau gouvernement d’unité soutenu par le Hamas qui avait été établi le mois dernier.
L’administration soutient le droit d’Israël à se défendre contre ces attaques, a-t-il ajouté. « En même temps, nous apprécions l’appel du Premier ministre Netanyahu à agir avec responsabilité, et nous appelons à notre tour les deux parties à faire tout ce qu’elles peuvent pour ramener le calme et protéger les civils ».