Un haut responsable palestinien, accusé d’harcèlement, maintenu à son poste – média
Hussein al-Sheikh, successeur potentiel de Mahmoud Abbas et vu par les US et Israël comme un pragmatique, aurait payé 100 000 dollars pour que la plainte de 2012 soit abandonnée
Une enquête de 2012 sur le harcèlement sexuel impliquant un haut responsable palestinien, successeur potentiel du président de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, aurait été abandonnée moyennant un « pot-de-vin » de 100 000 dollars.
Cette révélation provient d’un article profilant le ministre des Affaires civiles de l’Autorité palestinienne et secrétaire général du Comité exécutif de l’Organisation de libération de la Palestine, Hussein al-Sheikh, publié lundi par le magazine Foreign Policy.
Le magazine américain a interrogé 75 fonctionnaires et autres personnalités familières avec l’ascension d’al-Sheikh à l’un des postes politiques les plus élevés de Cisjordanie, où il est l’un des plus proches conseillers d’Abbas. Ce texte dresse le portrait d’un personnage complexe au sein d’un système miné par la corruption, mais très apprécié d’Israël et des États-Unis en raison de son approche relativement pragmatique au conflit israélo-palestinien.
Foreign Policy révèle dans son article que les services de sécurité israéliens étaient tellement investis dans le succès d’al-Sheikh qu’ils auraient contacté un journaliste de Haaretz qui prévoyait de publier un article sur l’allégation de harcèlement sexuel et lui auraient prié de ne pas le publier.
Le journaliste a refusé d’obtempérer et a publié son article, qui décrit comment al-Sheikh a harcelé verbalement une jeune ingénieure en informatique de son ministère et lui a fait des attouchements alors qu’elle l’avait repoussé. La femme l’a alors giflé, lui a crié dessus et a quitté le bureau. L’époux de la jeune femme a ensuite déposé une plainte officielle contre al-Sheikh, plainte qui a été retirée à la suite d’un paiement.
Al-Sheikh a fait savoir à Foreign Policy que l’article en question était « de la propagande négative à mon encontre » et a refusé de répondre aux allégations spécifiques.
L’ancien chef du renseignement militaire de Tsahal, Tamir Hayman, a décrit al-Sheikh à Foreign Policy comme quelqu’un qui « au départ faisait partie du peuple, mais qui a fini par se retrouver totalement isolé. Aux yeux d’une grande partie de la population, il représente tout ce qui a mal tourné avec l’Autorité palestinienne : déconnectée, corrompue et liée à Israël ».
Al-Sheikh est né à Ramallah en 1960 et a purgé une peine dans une prison israélienne vers la fin des années 1970, début des années 1980, pour son implication présumée dans une cellule terroriste qui ciblait les Israéliens. Le ministre de l’AP a affirmé à Foreign Policy qu’il n’avait pas été personnellement impliqué dans des actes de violence ; Tsahal, pour sa part, a déclaré avoir perdu les archives du procès militaire d’Al-Sheikh.
Pendant son incarcération, il a appris l’hébreu et a appris à connaître Israël. Après sa libération, il a gravi les échelons au sein des services de sécurité de l’AP, puis en politique, utilisant ses compétences linguistiques pour occuper des postes impliquant des relations avec Israël.
Dans les années 1990, un ancien gouverneur militaire de Tsahal à Ramallah a invité al-Sheikh à donner une conférence dans un lycée de Tel Aviv sur l’importance de la coopération israélo-palestinienne, selon Foreign Policy.
Depuis quelques années, al-Sheikh est devenu une personnalité particulièrement importante dans la politique palestinienne en raison de sa proximité avec Abbas, âgé de 88 ans.
Mais selon l’ancien responsable du Fatah devenu opposant, Nasser al-Kidwa, l’ascension d’al-Sheikh est due à « une capacité particulière à lécher les bottes, à mentir, à flatter et à raconter des bobards… Sans parler du fait qu’il n’arrête pas de dire à Abu Mazen qu’il est un Dieu – ‘Vos arguments sont incroyables, Monsieur le Président' ».
« [Al-Sheikh] est un insecte à côté d'[Abbas]. Si Abou Mazen change de position demain, al-Sheikh sera fini », a déclaré al-Kidwa à Foreign Policy, en utilisant le nom de guerre d’Abbas.
Des responsables américains ont néanmoins, confié au site d’information qu’ils préféraient travailler avec al-Sheikh parce qu’il est plus pragmatique.
Un responsable de l’administration américaine a comparé l’approche de M. al-Sheikh à celle de M. Abbas, qui avait pontifié « ad nauseam pendant 25 minutes avant de laisser [le président américain Joe] Biden placer un mot » lors de leur rencontre à Bethléem en 2021.
Selon ce même responsable, le Premier ministre de l’AP, Mohammad Shtayyeh, prononcerait des discours tout aussi longs aux officiels en visite, mais al-Sheikh serait différent. « Lorsque vous vous trouvez dans une pièce avec lui, vous sentez qu’il cherche réellement à trouver des solutions », a déclaré le responsable de l’administration à Foreign Policy. Un autre fonctionnaire américain a déclaré que l’administration de Biden faisait appel au « chuchoteur d’Abbas », al-Sheikh, « lorsque les choses deviennent vraiment tendues ».
Les responsables israéliens sont du même avis, un officier supérieur israélien à la retraite a qualifié al-Sheikh comme « notre homme à Ramallah ».
Des responsables israéliens ont déclaré à Foreign Policy qu’ils étaient au courant des allégations de corruption portées contre l’AP, en particulier en ce qui concerne le processus d’obtention des permis d’entrée en Israël, qui est géré par le bureau d’al-Sheikh. Mais que, tant que l’AP continuera à réprimer les groupes terroristes palestiniens en Cisjordanie, comme elle le fait plus ou moins depuis quelques dizaines d’années, ils sont peu enclins à s’en mêler.
Kobi Lavy, ancien conseiller pour les affaires palestiniennes au sein de l’unité de l’Administration civile du ministère des Affaires étrangères, a déclaré à Foreign Policy : « Lorsque les Palestiniens nous disent : ‘Si la situation était pénible pour Israël, vous y mettriez fin’, et la réalité, même si elle n’est pas belle à dire, c’est qu’ils ont raison. Sans terrorisme palestinien, personne ne se soucierait d’eux ».
Les responsables de l’administration Biden savent qu’al-Sheikh n’est pas très apprécié des Palestiniens. « Il est à peu près aussi populaire auprès du peuple palestinien que l’était le Shah en janvier 1979 », a déclaré à Foreign Policy un fonctionnaire de l’administration, en référence au dirigeant iranien renversé par la révolution islamique cette année-là.
Les responsables de l’administration ont tenté d’améliorer son image en l’invitant à Washington l’année dernière. « De toute évidence, il souhaitait venir pour renforcer sa propre crédibilité au sein de l’Autorité palestinienne, et nous souhaitions l’inviter pour lui conférer une certaine légitimité ».
« Il essaie de maintenir debout cette tour croulante », a déclaré le responsable de l’administration à Foreign Policy, justifiant la confiance de Washington en al-Sheikh. « Il comprend nos limites et celles des Israéliens. »
Pour sa part, al-Sheikh a déclaré à Foreign Policy : « L’Autorité [palestinienne] n’est pas en mesure d’offrir un horizon politique à la population. L’Autorité [palestinienne] n’est pas en mesure de résoudre les problèmes financiers et économiques de la population dus à l’occupation, mais quelle est l’alternative à l’AP ? Le chaos et la violence. »
Expliquant son approche plus progressiste, al-Sheikh a déclaré : « Nous devons combler le fossé qui nous sépare, car même si les résultats sont modestes, ils sont importants. »