Un labo israélien lance une start-up pour créer des anticorps par ordinateur
Soutenu par Pfizer, AstraZeneca et d’autres, AION Labs développe une plateforme numérique pour créer des anticorps sauveurs de vies en utilisant l'IA et la biophysique
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.
Un laboratoire israélien d’innovation biotechnologique, soutenu par plusieurs géants de l’industrie pharmaceutique à travers le monde, vient de lancer une nouvelle startup qui utilisera l’intelligence artificielle (IA) et la biophysique pour créer une plateforme destinée à fabriquer des anticorps conçus par ordinateur pour le développement de nouveaux médicaments.
La startup, DenovAI, est la deuxième société israélienne établie avec des fonds et le soutien d’AION Labs. Cette organisation basée à Rehovot a été lancée en 2021 avec pour mission de créer et d’investir dans des startups en phase de démarrage axées sur l’IA et la biologie computationnelle dans le domaine de la recherche et de la conception de nouveaux traitements. AION Labs est le fruit d’une collaboration entre les grands groupes pharmaceutiques Pfizer, AstraZeneca, Merck et Teva Pharmaceuticals, ainsi que AWS d’Amazon et le Fonds israélien pour les biotechnologies, et est dirigé par Mati Gill, ancien cadre supérieur de Teva.
AION Labs organise des ateliers destinés aux fondateurs et aux inventeurs scientifiques sur le terrain, afin de relever les principaux défis industriels identifiés par les entreprises pharmaceutiques mondiales, tels que le développement d’anticorps pour les thérapies ciblées et la découverte de nouveaux médicaments, ou encore l’analyse de données par le biais de l’IA afin d’évaluer et de prévoir la viabilité clinique des médicaments potentiels.
Fondée avec un financement de démarrage d’environ 2 millions de dollars, DenovAI entend mettre sur pied une plateforme informatique pour la création de novo (à partir de zéro) d’anticorps thérapeutiques monoclonaux afin de développer de nouveaux traitements efficaces.
Les anticorps thérapeutiques sont bien connus pour leur capacité à sauver des vies, mais le processus de sélection d’un nouveau composé parmi des milliards de séquences d’anticorps potentiels est laborieux et coûteux et, dans de nombreux cas, ne permet pas d’identifier des anticorps efficaces.
L’objectif à terme, explique Gill, est de parvenir à développer la technologie qui aidera à « trouver de nouveaux anticorps qui pourront ensuite servir de médicaments, et de pouvoir travailler avec nos entreprises pharmaceutiques et d’autres entreprises du secteur pour les aider à développer leurs nouveaux anticorps, en collaboration avec la startup ».
« Si nous connaissons la cible ou le mécanisme de la maladie, nous pouvons alors concevoir un anticorps thérapeutique capable de l’attaquer », a déclaré Gill au Times of Israel.
Le Dr Kashif Sadiq, un scientifique qui combine les théories et les techniques numériques de la physique avec l’intelligence artificielle afin de comprendre les processus chimiques et biologiques, dirigera la startup pour ce défi. Sadiq a été retenu par le comité d’investissement d’AION Labs parmi les 15 groupes participants et travaillera en étroite collaboration avec les entreprises pharmaceutiques partenaires.
DenovAI se basera sur une technologie brevetée cocréée par Sadiq au Laboratoire européen de biologie moléculaire (EMBL) à Heidelberg, en Allemagne, et dont la licence a été accordée à la start-up. L’EMBL est un laboratoire des sciences de la vie qui compte 28 États membres, dont Israël, et plus de 110 groupes de recherche et équipes de service couvrant le spectre de la biologie moléculaire répartis sur six sites en Europe.
« Nous développons un cadre d’IA de bout en bout qui pourra prédire les séquences et les structures d’anticorps qui se lient avec une affinité et une sélectivité élevées à tout épitope. Et ce, avec une couverture illimitée de l’espace séquentiel. Cela n’a jamais été fait auparavant », a déclaré Sadiq, fondateur et PDG de DenovAI. « Nous avons assisté à des percées considérables dans le domaine des anticorps thérapeutiques, mais le processus de développement de nouveaux médicaments est incroyablement lent, très coûteux et inefficace. »
Gill a ajouté que jusqu’à présent, la découverte d’anticorps thérapeutiques s’est principalement concentrée sur les processus biologiques, réalisée en laboratoire, et implique des études précoces et précliniques qui peuvent prendre des années.
« Actuellement, le développement d’un nouveau médicament dépasse largement le milliard de dollars, et prend bien plus de 10 ans », a expliqué Gill. « Avec l’aide de l’apprentissage automatique et des technologies numériques de l’IA, nous allons pouvoir réduire ce temps de plusieurs années à plusieurs mois, voire même plusieurs semaines ou plusieurs jours, pour arriver à le faire bien plus rapidement et par un processus qui sera non seulement moins coûteux, mais également bien plus précis et qui offrira de meilleures chances de succès. »
Mati Gill confirme qu’il existe quelques excellentes start-ups israéliennes spécialisées dans la biotechnologie qui se concentrent sur le développement d’anticorps, mais selon lui, elles développent un ensemble d’anticorps spécifiques, par leurs propres processus cliniques ou en partenariat.
« Ce n’est pas d’une plate-forme technologique dans laquelle on peut investir en permanence et qui peut être mise à la disposition de l’industrie dans son ensemble pour permettre des incidences industrielles à grande échelle », a déclaré Gill. « DenovAI sera en mesure de faire les deux : développer son propre pipeline mais aussi travailler avec des collaborateurs issus de l’industrie pharmaceutique pour les aider à développer leurs anticorps.
« Si la technologie est développée correctement, nous serons en mesure de concevoir de nouveaux anticorps thérapeutiques en partant de zéro, de développer des anticorps qui s’attaquent à de nouvelles cibles pour lesquelles il n’existe actuellement aucun anticorps, de manière à pouvoir traiter des maladies qui ne sont actuellement pas traitées par des anticorps », a-t-il ajouté. « Parmi toutes les maladies qui existent dans le monde, très peu, surtout en oncologie, sont traitées par des anticorps. Il y a donc beaucoup plus de choses que nous pouvons accomplir. »
Israël a identifié la bio-convergence, soit le croisement de la biologie, de l’ingénierie et de l’IA, comme une priorité nationale en R&D, et bon nombre de programmes sont déjà en cours.
Le consortium d’entreprises qui a formé AION Labs a remporté un appel d’offres gouvernemental lancé par l’Autorité israélienne de l’innovation (IIA) en 2020. L’IIA avait lancé un programme de laboratoires d’innovation il y a quelques années pour inciter les sociétés internationales à s’installer en Israël et à se familiariser avec divers développements innovants dans le domaine des sciences de la vie.
Le programme AION Labs s’inspire de BioMed X, un institut de recherche biomédicale indépendant basé à Heidelberg, qui identifie les défis de l’industrie en matière de R&D et recherche des fondateurs scientifiques dans le monde entier.
Ricky Ben-David a contribué à cet article.