Un livre pour aider les Juifs atteints d’Alzheimer
Alors qu’il s’occupait de sa mère âgée de 93 ans, l’auteur Eliezer Sobel a eu l’idée d’un texte créé spécifiquement pour les adultes atteints de troubles graves de la mémoire et consacré à la vie juive

NEW YORK (JTA) — Le livre est large et tient facilement sur les genoux. Les photographies colorées remplissent presque chaque page. Chaque image représente des gens qui s’adonnent à un moment de la vie juive : Une jeune fille qui mange une soupe aux boulettes de matzo, une Bubbe juive et ses petits-enfants allongés sur l’herbe, un homme qui prie, portant des phylactères. Les phrases sont écrites en grand, elles sont simples (‘La mère prononce les bénédictions des bougies’) et faciles à lire.
Mais le livre n’a pas été conçu pour les jeunes enfants qui apprennent à lire. Il n’est pas non plus destiné aux parents désireux de présenter le judaïsme à leur jeune progéniture.
Il a été créé pour les malades atteints de démence et d’Alzheimer, une sorte de dégénérescence progressive qui cause un lent déclin de la pensée, de la mémoire et du raisonnement.
Le livre – une série d’images et de légendes indépendantes – ne nécessite aucune mémoire pour être lu et suivi, ce qui permet à ceux qui sont atteints de perte de mémoire de profiter et de nouer un dialogue avec chaque image, chacun à sa façon.
“L’Chaim: Pictures to Evoke Memories of a Jewish Life,” écrit par Eliezer Sobel (aucun de ses ouvrages n’a encore été traduit en français), est probablement le premier livre en son genre – un livre dont le thème est la vie juive et qui a été explicitement conçu pour les adultes atteints de démence ou de la maladie d’Alzheimer.
« Il y a une telle richesse dans les contenus, l’imagerie, l’histoire et la culture du Judaïsme », explique Sobel, 64 ans, à JTA. « Il y a tant de Juifs dans les maisons de retraite, et tant de familles juives qui ont des êtres chers atteints de démence ».
La famille de Sobel est l’une d’elles. L’auteur s’est inspiré de sa mère, Manya, 93 ans, une réfugiée qui a fui l’Allemagne nazie et qui est atteinte de la maladie d’Alzheimer depuis 17 longues années.
Avec la détérioration de la mémoire, son langage à lentement commencé à disparaître, explique Sobel. Et finalement, depuis quelques années, il a semblé avoir disparu pour de bon.
Toutefois, « un jour, j’entrais dans le salon, et elle parcourait un magazine en lisant correctement les titres en gros caractères imprimés à voix haute », se souvient-il. « Et je me suis écrié : ‘Oh mon Dieu ! Maman peut encore lire ! »
Sobel, qui vit à Red Bank, dans le New Jersey, indique s’être rendu au Barnes & Noble local pour lui trouver un livre d’images pour les malades atteints de démence.
« Cela semblait être la chose la plus logique du monde », dit-il.
‘Un jour, j’entrais dans le salon, et elle parcourait un magazine en lisant correctement les titres en gros caractères imprimés à vois haute’
Et au contraire, il a appris que ce genre de livres n’existait pas. Après être allé sans succès dans différentes librairies et avoir effectué des recherches en ligne, Sobel s’est tourné vers l’Association nationale des maladies d’Alzheimer.
Il confie que la libraire avec laquelle il s’est entretenu a semblé d’abord perplexe – elle lui a dit qu’il existe plus de 2 000 ouvrages pour les soignants mais elle n’avait jamais entendu parler d’un livre pour les patients eux-mêmes.
En fin de compte, la libraire a trouvé quelques livres pour les malades atteints d’Alzheimer : Lydia Burdick a écrit une série de trois livres pour adultes atteints de la maladie, dont « The Sunshine On My Face » (Le soleil sur mon visage) exclusivement en anglais.
Dans les années qui ont suivi, quelques ouvrages supplémentaires ont fait leur apparition, comme ceux qui ont été écrits par Emma Rose Sparrow.
Mais le marché pour de tels produits est très modeste, même si 5,8 millions d’Américains souffrent aujourd’hui de la maladie d’Alzheimer, selon l’association d’Alzheimer.
Inspiré, Sobel — un écrivain (parmi ses livres, le roman « Minyan: Ten Jewish Men in a World That is Heartbroken », »dix Juifs dans un monde déchiré ») et organisateur de retraites de méditation et de créativité – a créé son premier livre pour les adultes atteints de démence, “Blue Sky, White Clouds: A Book for Memory-Challenged Adults” (‘Ciel bleu, nuages blanc : Un livre pour adultes dont la mémoire est défaillante) en 2012. Comme “L’Chaim,” l’ouvrage est une série de larges photographies portant sur plusieurs choses, comme des oiseaux, des arbres et des bébés, avec des légendes telles que “le bébé s’endort rapidement » et « la neige recouvre les arbres ».
« Si les malades voient les photos, s’ils lisent les noms sur les photos, s’ils font des commentaires ou s’ils sont touchés d’une manière ou d’une autre par les livres, c’est une bonne chose, point final », a dit David Teplow, professeur de neurologie à l’UCLA, à JTA.
Teplow a par ailleurs rédigé une note pour « Blue Sky »: « Il semble nécessaire de combler un vide dans ce domaine de l’édition, en particulier avec la représentation réaliste d’images et d’idées pour les gens souffrant de dissonances mémorielles et cognitives. »
De surcroît, a ajouté Teplow, « il y a un grand nombre de Juifs qui sont atteints par la maladie d’Alzheimer et par d’autres démences. C’est assurément un important projet pour la communauté juive ».
Pour Sobel, créer un livre qui après « Blue Sky » avec une thématique consacrée à la vie juive allait de soi.

« Cela m’a semblé naturel », a-t-il indiqué. « C’est ce que je suis, c’est ce que nous sommes. En particulier ma mère. L’histoire de son expérience durant l’Holocauste – a contribué à une grande part de ce que je suis devenu. Et aussi comment elle et sa famille s’en sont sortis, ce qu’ils ont vécu ».
La mère de Sobel est arrivée aux Etats-Unis à l’âge de 14 ans, peu de temps après la nuit de Cristal en 1938. Même si elle était arrivée à fuir l’Allemagne avec sa famille proche – sa grand-mère, elle, est restée dans le pays et a trouvé la mort dans un camp de travail – elle était restée marquée par son expérience et avait élevé ses enfants dans un esprit de méfiance des étrangers.
« Fair Lawn, dans le New Jersey, c’était un peu comme dans ‘Leave It To Beaver’ — un endroit parfaitement sûr et avec beaucoup de familles juives », dit Sobel en évoquant sa ville natale située dans les faubourgs de la ville de New York. « Mais ma mère conservait une hache sous son lit lorsque mon père n’était pas à la maison ».
La famille mangeait casher. Le vendredi soir, il y avait le dîner du Shabbat et Sobel allait à la synagogue le samedi avec son père.
« A Shabbat, ma mère ne nettoyait pas la maison et elle faisait quelque chose qui lui plaisait, c’était cela pour elle Shabbat », se souvient-il. « Nous ne sortions pas – nous ne dépassions pas la maison du rabbin ».
Sobel raconte que même si lui et sa mère ont été en désaccord pendant une grande partie de sa vie adulte, elle a été libérée de ses souvenirs terribles lorsque la maladie d’Alzheimer est apparue.
‘C’était comme une bénédiction d’évoluer autour d’elle. Elle irradiait d’amour et accueillait tout le monde’
« C’était comme une bénédiction d’évoluer autour d’elle. Elle irradiait d’amour et accueillait tout le monde », dit-il. « Je me suis senti libre de vivre mon amour pour elle qui était scellé en moi depuis mes années d’adolescence et de le lui exprimer ».
Les livres, ajoute-t-il, ont semblé lui apporter du réconfort et – tout aussi important – du plaisir. Le père de Sobel, Max, s’était occupé de sa mère jusqu’à une chute qui avait entraîné chez lui des dommages au cerveau il y a trois ans, année des 67 ans de leur mariage.
Il est décédé au mois de novembre.
« J’ai vu mon père s’arracher les cheveux en cherchant des choses à faire avec elle », explique Sobel. « Il y a tellement peu de ressources pour cela ».
« Si elle prenait du plaisir avec le livre à un moment donné, nous pouvions reprendre le jour suivant ou l’heure suivante. On pouvait le relire 100 fois – il ne vieillissait jamais ».
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