Un Stradivarius parmi les étables
Dans le cadre improbable d’un kibboutz de la frontière libanaise, les meilleurs étudiants violonistes du monde se rassemblent dans une école musicale résolument élitiste

Alors que mon compagnon de voyage et moi traînions les pieds sur une colline pendant une chaude journée d’été, nous avons dépassé la piscine du kibboutz, une zone industrielle poussiéreuse, et une étable. Nous avons ensuite traversé un club social abandonné où de l’herbe poussait dans les fêlures, jusqu’à finalement entré dans une modeste salle de concert.
A l’intérieur, un homme jouait du violon. Le son exquis et mélancolique qu’il produisait était si peu en phase avec notre environnement banal que nous nous sommes regardés plusieurs fois, impressionnés.
Le violoniste du kibboutz n’était autre que le soliste Vadim Gluzman, célèbre dans le monde entier, qui jouait sur son Stradivarius de 1690.
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Cette scène s’est déroulée pendant un voyage de presse au kibboutz Eilon, pour ses Masterclasses internationales de musique et d’instrument à corde Keshet Eilon annuelles, qui ont eu lieu de 24 juillet au 11 août. Le programme, qui est maintenant dans sa 26e année, accueille environ 70 jeunes musiciens du monde entier, dont beaucoup ont remporté des compétitions internationales et auront des carrières de solistes.
Gluzman est l’un des professeurs du cours, tout comme Ilya Kaler, qui a remporté trois des plus grandes compétitions de violon au monde, le Sibelius, le Tchaïkovski et le Paganini ; Quian Zhou, de Singapour ; Paul Roczek, d’Autriche, et Ani Schnarch, du Collège royal de musique de Londres.
L’un des étudiants les plus prisés de cette année était le violoniste chinois Ziyu He, qui a gagné la compétition Menuhin de Londres.
Un Juilliard du Moyen Orient
Peut-être le psychologue Bruno Bettelheim avait-il tort quand il prédisait que l’éducation des kibboutz mènerait à la médiocrité et que [les enfants du kibboutz] « ne seront pas des dirigeants ou des philosophes, n’arriveront à rien dans la science ou les arts. » Néanmoins, comment un kibboutz assoupi proche de la frontière libanaise se transforme-t-il, trois semaines par an, en Juilliard du Moyen Orient ?
Cela a commencé en 1990 quand des membres du kibboutz Eilon ont cherché à participer à l’intégration des immigrants, dont des musiciens exceptionnels, qui arrivaient d’Union soviétique. Pour donner à ces musiciens quelque chose à faire, ils ont décidé de créer un cours d’été.
« Nous voulions faire venir des musiciens vraiment très compétitifs ici, mais dans le même temps créer un kibboutz à l’ancienne, avec une atmosphère communautaire et familiale », a déclaré Gilad Sheba, directeur exécutif du centre musical de Keshet Eilon.
Keshet fait référence aux instruments à corde en hébreu, mais peut aussi signifier un arc-en-ciel ou une arche, et l’idée de faire venir des jeunes du monde entier, ainsi que de réunir les cultures, fait partie de la vision du centre. Les étudiants de cette année viennent d’Italie, de Russie, d’Ukraine, de Corée du Sud, du Canada, du Royaume-Uni, du Kazakhstan, de Suisse, et d’ailleurs.
Pendant l’année, Keshet Eilon propose des séminaires pour les étudiants en violon israéliens de tout le pays et particulièrement pour les centaines d’étudiants des villages arabes et druzes voisins.
Sheba a déclaré au Times of Israël que l’une des premières donations pour le centre était venue d’un musicien allemand en visite en Israël qui un soir, dans un état alcoolisé, a signé un reçu de carte de crédit avec les mots « Heil Hitler ».
Une fois sobre, il avait été mortifié par son geste, et avait fait une généreuse donation à Keshet Eilon en pénitence, a déclaré Sheba.
« Tout du moins, c’est notre interprétation de ce qu’il s’est passé. »
Pendant notre visite, nous avons assisté à une masterclass pendant laquelle un jeune élève de Juilliard des Etats-Unis, Ariel Horowitz, a joué un concerto pour violon du compositeur polonais contemporain Karol Szymanowski.
Après une performance énergique, le professeur d’Horowitz, l’Israélienne née en Roumanie Ani Schnarch, qui enseigne au Collège royal de musique de Londres, a proposé une critique sévère mais affectueuse.
« Le public t’aime, alors pourquoi dirais-je quoi que ce soit ? Mais je vais dire quelque chose pour ma conscience professionnelle. Tu as un beau son, tu as de l’énergie, mais ce n’est pas ce qui est écrit sur la page ; vous devez suivre ce que le compositeur a conçu. »
Horowitz a pris la critique avec bonne humeur et a joué à nouveau des passages cruciaux, cherchant à intégrer le conseil de sa professeure. A un moment, Schnarch lui a demandé de danser tout en jouant, pour qu’elle puisse sentir la musique de tout son corps.
Horowitz s’est exécutée et a dansé une petite gigue sur scène, au grand plaisir et sous les applaudissements du public.
Interrogé sur le public de la musique classique en Israël, Sheba a reconnu qu’il tendait à être plus âgé, en fait beaucoup plus âgé, et a déclaré qu’exposer les enfants du kibboutz à la musique était l’un des objectifs du kibboutz Eilon à la création de centre musical Keshet Eilon.
« C’est comme ça que j’ai acquis la musique classique. J’y ai été exposée enfant. C’est une question de valeurs, les parents doivent décider si leurs enfants étudieront le violon, vous savez, ou autre chose. »
Notre journée s’est terminée par un concert de flamenco sous les étoiles. Le public était composé de visiteurs et de familles du kibboutz, dont des enfants petits, des chats et des chiens, tous assis sur les couvertures, appréciant l’air de la montagne. A ce moment, tout le monde semblait amical et gentil, alors que la musique douche, pleine d’espoir et généreuse traversait la frontière et entrait au Liban.
« Le kibboutz Eilon est un petit paradis, a déclaré Sheba, nous sommes une goutte d’eau dans l’océan, mais nous essayons de préserver les valeurs israéliennes auxquelles nous croyons. »
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