Une borne de l’époque romaine évoque une querelle politique décrite dans le Talmud
L'artefact du 3ᵉ siècle de notre ère pourrait prouver les tensions entre l'empereur Dioclétien et la population locale ; il mentionne aussi 2 villages du Golan inconnus jusqu'à présent

Selon un article publié la semaine dernière dans la revue universitaire Palestinian Exploration Quarterly, une borne de l’époque romaine récemment découverte en Haute Galilée apporte la preuve de l’existence de deux villages jusqu’alors inconnus dans le nord d’Israël à la fin du 3ᵉ siècle de notre ère.
L’artefact a également apporté de nouvelles informations sur les relations entre la population locale et l’empereur Dioclétien, confirmant peut-être certains défis décrits dans le Talmud de Jérusalem, a déclaré au Times of Israel le Dr. Avner Ecker de l’Université hébraïque de Jérusalem, qui a co-signé l’article avec son collègue de l’Université hébraïque, le Pr. Uzi Leibner.
« Les pierres de délimitation marquaient les frontières entre les différents villages et les terres qu’ils possédaient », a expliqué Ecker.
« Cette pierre spécifique date de la période dite de la tétrarchie, sous le règne de Dioclétien. »
La pierre, une plaque de basalte d’un mètre de long, a ensuite été réutilisée pour recouvrir une tombe mamelouke médiévale sur le site d’Abel Beth Maacah, dans le nord de la vallée de Hula, où les archéologues l’avaient découverte en 2022.
Dioclétien a régné sur l’Empire romain pendant vingt ans, de 284 à 305 de notre ère, et est connu pour ses vastes réformes politiques, fiscales et administratives.

Conscient que l’empire était devenu trop vaste pour être dirigé par un seul homme, il a instauré en 293 un système tétrarchique qui a réparti le territoire entre deux empereurs supérieurs (augusti), assistés de leurs successeurs désignés (caesares).
L’inscription grecque sur la pierre mentionne les quatre souverains.
« Dioclétien et Maximien Auguste, Constance et Maximien, Césars, ont ordonné que cette pierre soit érigée, marquant les limites des champs de Tirthas [et] Golgol/m ; Baseileikos, vir perfectissimus [supervisé] », lit-on dans le texte tel qu’il a été traduit dans le journal.
« Pour mettre en œuvre la réforme fiscale, les fonctionnaires romains ont dû procéder à l’arpentage des propriétés », a expliqué Ecker.

« À la suite de ce processus, de nouvelles bornes ont été posées. Nous connaissons une quarantaine de ces bornes dans la région de l’actuel nord d’Israël, du sud du Liban et de l’ouest de la Syrie. »
Les noms de Tirthas et de Golgol n’apparaissent dans aucune autre source écrite ou archéologique connue.
Cependant, un rapport de la fin du 19ᵉ siècle publié par le Comité du Fonds d’exploration de la Palestine mentionne un lieu connu sous le nom de Turritha, à environ 3,5 kilomètres d’Abel Beth Maacah, de l’autre côté de la frontière, dans le Liban d’aujourd’hui. Selon le chercheur, la ressemblance entre les deux noms, Tirthas et Turritha, suggère fortement qu’il s’agit bien du même endroit.
En outre, Ecker a noté qu’une petite colline ronde située à environ un kilomètre d’Abel Beth Maacah pouvait être identifiée comme Golgol en raison de la similitude de son nom actuel avec le nom de lieu grec.

« Aujourd’hui, la colline est connue sous le nom de Givat Egel, ou ‘colline du veau’, mais dans le passé, elle s’appelait Tell Ajul, dont la racine GL, qui signifie rond, est similaire à Golgol », a-t-il déclaré.
Ecker a souligné que s’il est vrai que la pierre n’a pas été retrouvée à son emplacement d’origine, on peut supposer qu’elle provient d’une zone proche.
« C’est une pierre lourde ; elle n’a pas été déplacée sur de longues
distances », a fait remarquer Ecker.
L’utilisation du grec plutôt que du latin est également un signe des profonds changements que connaissait l’Empire romain.

« Avant cette période, les documents officiels et les inscriptions au nom de l’empereur étaient toujours rédigés en latin, même si les habitants de cette région parlaient principalement le grec », a expliqué Ecker.
« Cependant, toutes les bornes tétrarchiques que nous connaissons sont écrites en grec. »
La découverte de ces quarante bornes dans la région comporte également une énigme intrigante : aucune borne comparable n’a été trouvée ailleurs.
« Étant donné que la réforme fiscale de Dioclétien couvrait l’ensemble de l’Empire romain, on s’attendrait à trouver des bornes tétrarchiques similaires dans tous ses domaines. Mais à ce jour, les archéologues n’en ont découvert qu’ici », a déclaré Ecker.
« Il pourrait s’agir d’une coïncidence, c’est-à-dire que les pierres ont existé mais n’ont pas survécu ou n’ont pas encore été trouvées, mais nous proposons une autre explication à ce phénomène. »
Ecker et Leibner ont examiné un passage du Talmud de Jérusalem où Dioclétien est évoqué dans plusieurs contextes.
« Dioclétien a opprimé les habitants de Paneas », peut-on lire dans le traité de Sheviit (9:12).
Située sur le plateau du Golan, Paneas, ou Banias, était la principale ville de la région à la fin du 3ᵉ siècle. Bien que majoritairement païenne, la ville comptait également une importante population juive.

« Une vingtaine de pierres tétrarchiques ont été trouvées dans la région de Banias », a déclaré Ecker.
« Nous supposons que ces pierres étaient utilisées lorsqu’une ville située sur un territoire plus vaste ne gérait pas directement et ne percevait pas les impôts au nom de l’empire ou, en d’autres termes, dans le cas d’un territoire fragmenté appartenant à de petits propriétaires fonciers qui devaient payer les impôts de manière indépendante. »
« Compte tenu de la concentration de ces bornes autour de Banias, nous pensons que c’était le cas dans la région », a-t-il ajouté.
Selon Ecker, la citation du Talmud de Jérusalem fait référence à la pression fiscale qui régnait sur la ville.

« Peut-être que lors de la réforme fiscale de Dioclétien, quelqu’un est venu vérifier Banias et a découvert que les choses n’étaient pas en ordre à cause de tous ces petits propriétaires fonciers et de ces villages », a-t-il suggéré.
« En termes modernes, nous pourrions dire que les fonctionnaires romains contrôlaient la ville et posaient les pierres très méticuleusement, d’où le sentiment d’oppression. »
On ne sait rien non plus de Baseileikos, le fonctionnaire romain qui a posé la pierre au nom des empereurs.
D’autres pierres trouvées dans la région portent un nom différent, Aelius Statutus.
« Il se peut qu’ils aient travaillé ensemble et se soient partagés la zone ou que l’un d’eux ait travaillé sous la supervision du second », a suggéré Ecker.
« Certaines des autres bornes tétrarchiques portent les noms de deux fonctionnaires, nous savons donc que c’est possible. »