Une introspection inhabituelle de la part d’un dirigeant du Hamas
Un haut fonctionnaire de Gaza Ghazi Hamad brise deux tabous dans une tribune des plus insolites : il reconnait que l'unité avec le Fatah est une imposture, et critique le recours exclusif du Hamas à la « résistance armée ». Mais il n'y a aucun changement vis-à-vis d'Israël
Elhanan Miller est notre journaliste spécialiste des affaires arabes
Brisant le consensus avec son mouvement politique islamiste, le vice-ministre des Affaires étrangères du Hamas, Ghazi Hamad, a écrit un éditorial rare par son autocritique, en accusant le Hamas et le Fatah « de perdre la Palestine » à cause de leur myopie.
Il n’est pas fréquent qu’un haut dirigeant du Hamas, un ancien président de l’autorité des frontières, accuse amèrement son groupe de
n’ « applaudir que d’une main à ses festivals, de chanter son héroïsme, de n’écouter que lui-même et de décrire l’autre comme chancelant. »
Il est encore plus rare pour un tel chef de permettre que ses paroles, publiées ces derniers jours dans les médias arabes, soient traduites pour atteindre une plus vaste audience, non-palestinienne.
L’édito de Hamad, « Je comprends maintenant comment et pourquoi les Palestiniens ont perdu la Palestine », est iconoclaste pour deux raisons significatives.
Tout d’abord, il déchire le masque sur l’accord politique intervenu en juin dernier entre le Fatah et le Hamas sous la forme du gouvernement de technocrates d’unité, de le présenter comme rien de plus qu’une mascarade pour le grand public.
« Plutôt que de se concentrer sur la lutte contre l’occupation, la lutte est devenue exclusivement intra-palestinienne. C’est une lutte dans laquelle chacun des côtés essaie de prouver que son option est la meilleure et que celle de l’autre a échoué. Combien de temps va durer cette bataille ? Est-elle vraiment nécessaire pour nous d’agir ainsi ? », écrit-il.
Deuxièmement, la tribune critique les lacunes de la politique de «résistance armée et rien d’autre » du Hamas , faisant valoir au contraire que la lutte armée et qu’une diplomatie intelligente sont deux aspects essentiels d’une stratégie palestinienne.
Cependant, ce qu’il ne fait pas, c’est de suggérer que la « résistance armée » dans la cause palestinienne est une erreur morale ou pratique, et il ne fait aucune allusion explicite à une quelconque acceptation d’Israël.
« Il est vrai que nous, les Palestiniens, avons combattu et lutté, avons présenté un modèle étonnant de sacrifice, avons créé révolution après révolution, intifada après intifada, » écrit-il. « Mais où est le résultat concret sur le terrain ? Où est l’expansion palestinienne – après 65 années – contre l’occupation cancéreuse ? Où sont les fondations de la victoire et de la libération que nous publions par des slogans vides ? »
Aussi audacieux que ces mots viennent d’un dirigeant du Hamas, ils ne sont pas uniques dans le monde arabe.
La série de révolutions depuis la fin 2010, collectivement dénommées
« le printemps arabe », ont ravivé le vieux genre de l’auto-critique éditoriale. « Où nous sommes nous trompés ? » demandent de nombreux intellectuels arabes aujourd’hui, alors que le monde qui leur est familier s’écroule autour d’eux. « Qu’aurions-nous pu faire de
mieux ? »
Ce n’est pas non plus la première fois que Hamad sort de l’ordinaire.
En avril 2007, il avait répondu à un appel lancé par le militant pacifiste Gershon Baskin pour négocier la libération de Gilad Shalit, un soldat israélien capturé par le Hamas 10 mois plus tôt et détenu à Gaza.
Pendant trois mois, Hamad a transmis les messages du gouvernement du Hamas au Premier ministre Ehud Olmert de l’époque, par l’intermédiaire de Baskin et de Dana la fille d’Olmert, a révélé écrit Shlomi Eldar dans son livre Getting to Know Hamas paru en 2012.
En juillet 2007, Hamad, en tant que directeur de l’autorité des postes frontaliers du Hamas, a ouvertement proposé des liens directs avec Israël en échange de l’ouverture des passages de Gaza, promettant de mettre fin à tous les tirs de roquettes sur Israël et à toute attaque terroriste.
« La proposition du Hamas était sans précédent », écrit Eldar. Le Premier ministre israélien Olmert et le ministre de la Défense Ehud Barak, rapporte Eldar, n’ont pas voulu en entendre parler.
Quel pourrait être l’impact du nouvel article de Hamad en Israël ?
Contrairement à son pari de 2007, Hamad n’offre ici aucune ouverture à Israël. Bien au contraire. Si les conseils de Hamad étaient entendus par les Palestiniens, à qui il est adressé, Israël se trouverait face à un adversaire palestinien plus puissant, unifié et belliqueux. Actuellement, cette cohésion palestinienne n’est pas en vue.