Une podcasteuse explore sa double identité à travers les émeutes de Crown Heights
Âgée d'à peine six ans lorsque sa ville a été secouée par les violences raciales, Collier Meyerson, Juive et Noire, nous offre un reportage audio personnel sur les événements
New York Jewish Week via JTA – Les émeutes de Crown Heights, qui ont secoué le quartier de Brooklyn pendant quatre jours en 1991, comptent parmi les événements les plus documentés de l’histoire de la ville de New York : couvertes en temps réel par les médias locaux, nationaux et internationaux, les violences ont été décrites par des témoins dans de nombreux procès civils et criminels. Les émeutes ont également fait l’objet d’innombrables livres, essais, documentaires et d’un monologue.
On peut aujourd’hui y ajouter, six mois après le 30e anniversaire des événements, un documentaire présenté sous la forme médiatique la plus moderne qui soit : un podcast.
« Love Thy Neighbor », une série en cinq épisodes créée, écrite et racontée par la journaliste Collier Meyerson, a été lancée tout récemment par Audacy’s Pineapple Street Studios. C’est un récit personnel des émeutes raconté par une personne juive de couleur, qui décrit les émeutes comme « un moment clé qui a marqué une nouvelle ère sombre de la politique, du maintien de l’ordre, de l’antisémitisme et du racisme anti-Noir à New York ».
Meyerson avait tout juste 6 ans le 19 août 1991 lorsqu’une voiture conduite par un un juif hassidique a accidentellement tué Gavin Cato, un enfant noir de 7 ans. Une combinaison unique de mauvaises décisions, de manque de leadership et de rage refoulée a déclenché une violence généralisée. Des Juifs orthodoxes ont été pris pour cible par des manifestants noirs, et un étudiant de yeshiva, Yankel Rosenbaum, a été poignardé à mort.
Meyerson analyse les événements à travers le prisme du travail de son père, avocat des droits civiques, qui a notamment défendu des personnes impliquées dans ces événements.
Le podcast est né du désir de faire connaître ces événements à sa génération et à celles à venir. « Je parlais à une amie qui n’avait entendu parler de l’émeute de Crown Heights que de nom et qui était curieuse de connaître l’histoire, le contexte et les implications politiques de ses retombées », a déclaré Mme Meyerson, qui a contribué à The Nation, Wired, MSNBC (où elle a remporté un Emmy), The New Yorker et d’autres médias.
Elle a grandi à Manhattan mais a vécu huit ans à Crown Heights à l’âge adulte. Née d’une mère juive et d’un père noir – et plus tard adoptée par une mère noire et un père juif – Meyerson, comme beaucoup de juifs de couleur, voit les événements comme un conflit douloureux entre les deux aspects de son identité.
L’épisode 1 commence par une fête de départ à la retraite en 2020 pour le responsable des affaires communautaires du commissariat de police local, où chacun des hommages souligne de manière positive comment la communauté a guéri ses blessures. Mais dans la rue, dit Meyerson, « si vous êtes attentif, vous vous rendez compte de l’animosité sous-jacente ».
Les éruptions entre les patrouilles de la communauté hassidique et les résidents noirs dans les années qui ont suivi y sont mentionnées, et Meyerson affirme qu’on ne peut nier la persistance du racisme juif et de l’antisémitisme noir, parfois palpable mais souvent plus subtil.
Meyerson se penche également sur le sujet brûlant et largement controversé des violences de 1991, à savoir s’il s’agissait d’un affrontement bilatéral plutôt que d’une campagne antisémite – que certains ont même qualifiée de pogrom – contre les Juifs. Le podcast cite des témoignages et des reportages selon lesquels les juifs hassidiques auraient riposté, jeté des pierres et des bouteilles et se seraient parfois battus avec les émeutiers. (Le journaliste Ari Goldman, qui a couvert les événements pour le New York Times, a écrit plus tard un essai pour le New York Jewish Week dans lequel il affirme n’avoir jamais vu de violence de la part de Juifs contre des Noirs, et il a critiqué le Times pour avoir suggéré que les deux parties étaient coupables).
« J’ai vraiment du mal à dire à quelqu’un de Crown Heights que sa vision ou son expérience d’août 1991 est erronée », a déclaré Meyerson au New York Jewish Week dans une interview par courriel. « Mon intention n’a jamais été d’être le juge d’une quelconque vérité universelle, mais de décortiquer deux expériences très différentes et d’ajouter, je l’espère, un contexte qui n’existait pas auparavant. »
Certains s’insurgent contre ce « contexte ». Le porte-parole de du mouvement Habad-Loubavitch, Motti Seligson, est interviewé dans le podcast et s’offusque de l’idée que les événements étaient moins une émeute qu’un « soulèvement » résultant du ressentiment des résidents noirs envers ce qu’ils considèrent comme le pouvoir politique excessif de la communauté Habad. Ce récit, dit-il, est à la limite de la justification de la violence.
« Certains membres de la communauté hassidique m’ont dit que j’avais tort d’essayer de contextualiser la situation, et je respecte certainement ce point de vue », a déclaré Meyerson. « Mais je crois vraiment que ce projet est utile et j’espère qu’il amènera les gens des deux camps à voir ce qui s’est passé avant, pendant et après l’émeute d’une manière un peu différente ».
L’épisode 2 examine en détail la gestion de l’émeute par le maire David Dinkins – ou peut-être son manque de gestion, qui a coûté la réélection du premier maire noir de la ville. Les hésitations et les occasions manquées sont examinées, ainsi que l’allégation omniprésente selon laquelle il aurait retenu la police afin de permettre aux émeutiers d’exprimer leur rage. Cette allégation n’a jamais été prouvée par les tribunaux et n’a pas été confirmée par l’examen exhaustif des événements par l’État, connu sous le nom de rapport Girgenti. Dinkins s’est vivement insurgé contre cette idée, et ce jusqu’à sa mort en 2020.
« Je pense qu’il a été assez mal jugé suite aux émeutes de Crown Heights et que c’est regrettable parce qu’il était vraiment le champion de tant de causes juives et qu’il croyait tellement en la possibilité d’une alliance entre les Juifs et les Noirs », a déclaré Meyerson. « Je pense qu’il a un peu dérapé au cours de ces quatre jours avec la communauté Loubavitch et que cela lui a fait perdre le soutien de cette communauté. »
Les épisodes suivants se plongent dans les premières années de Crown Heights, qui a accueilli deux vagues d’immigrants, des Juifs d’Europe et d’autres régions d’Amérique, et des Noirs des Caraïbes. L’histoire de deux quartiers se dessine : en 1976, la circonscription du conseil municipal fut divisée en deux, apparemment dans le but de donner aux Juifs un bloc électoral solide et contigu. Le Rabbin Lubavitcher, Menachem Mendel Schneerson, était considéré par la ville comme un dignitaire mondial, avec des agents de protection de la police de New York. « Ils ont certains droits que nous n’avons pas », dit un habitant noir à Meyerson.
Les émeutes avaient été précédées d’élections municipales en 1989 très tendues entre Dinkins – propulsé à l’investiture démocrate par les conflits raciaux qui ont entouré le meurtre de l’adolescent noir Yusef Hawkins par une foule blanche – et le candidat républicain Rudolph Giuliani, qui s’est efforcé sans succès de dépeindre Dinkins comme trop mou en matière de criminalité. (Sa stratégie l’emportera lors de leur revanche de 1993).
Meyerson considère que ces campagnes, ainsi que les stratégies de maintien de l’ordre de Giuliani et de ses successeurs, étaient imprégnées de racisme. C’est dans cette atmosphère que s’est répandue une fausse rumeur selon laquelle la police et les médecins ont laissé le jeune Cato mourir, alors qu’ils emmenaient d’urgence le chauffeur hassidique et ses passagers à l’hôpital. Les propos de l’officier de police qui a ordonné aux juifs hassidiques de quitter les lieux, pour leur propre sécurité, nous rappellent que le chemin de l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Mais « Love Thy Neighbor » est autant une exploration de l’identité et de la perception que de l’Histoire. Les différences culturelles entre les Afro-Américains et leurs voisins américains des Caraïbes, qui n’ont jamais eu le sentiment d’être une minorité dans leur lieu de naissance, sont évidentes. Nous rencontrons également des Juifs qui refusent d’être identifiés comme blancs, comme ce membre du Habad d’origine iranienne qui refuse d’être « pris dans un système binaire ».
Pendant la période où elle vivait à Crown Heights, Meyerson dit qu’elle n’a jamais été approchée par le centre Habad, pourtant bien connu pour ses efforts de sensibilisation avec les juifs moins pratiquants. « Je plaisantais avec une amie, qui est catholique irlandaise, en disant qu’elle était plus souvent contactée que moi », dit Meyerson. « Les efforts de sensibilisation ont beaucoup changé depuis que je vis là-bas, je peux le dire par expérience personnelle. Mais à l’époque, parce que j’étais laïque et parce que je n’étais pas perçue comme juive, je n’avais pas vraiment d’interaction avec la communauté hassidique de Crown Heights. En revanche, la communauté antillaise m’a vraiment accueillie, ironiquement, parce qu’elle pensait (à cause de mon apparence) que je venais d’une des îles. »
Dans ses réflexions personnelles, Meyerson cite les mots du sociologue et écrivain W.E.B. Dubois sur la « double conscience », ou la capacité des Noirs à se voir comme les Blancs les voient. En tant que juive noire, elle prend garde depuis longtemps aux tentatives de « me priver de mon judaïsme » en posant des questions sur sa lignée auxquelles aucun Juif blanc ne serait confronté.
C’est peut-être la raison pour laquelle elle semble voir dans Crown Heights la métaphore de deux parties d’un tout qui veulent s’unir, mais ne parviennent pas à trouver le moyen de le faire.
« Love Thy Neighbor » est disponible sur la plateforme Audacy et partout où des podcasts sont disponibles.
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