Washington durcit le ton contre l’AP, mais poursuit le financement des forces de sécurité
Après avoir salué le décret d'Abbas sur les paiements aux prisonniers, les États-Unis veulent des "actions" ; la CIA maintient son aide sécuritaire, le reste est en cours d'examen

L’administration Trump a durci son discours envers l’Autorité palestinienne (AP), tout en maintenant son soutien financier aux forces de sécurité en Cisjordanie, selon un responsable américain et un responsable palestinien interrogés par le Times of Israel.
Le 12 février, le département d’État américain a salué le décret du président de l’AP, Mahmoud Abbas, qui mettait fin à la politique de « rémunération aux assassins » – une politique qui conditionnait le versement d’allocations sociales aux prisonniers de sécurité palestiniens à la durée de leur condamnation dans les prisons israéliennes. Washington a déclaré que la décision d’Abbas de baser ces allocations strictement sur les besoins financiers de tous les Palestiniens « semble être une avancée positive et une grande victoire pour l’administration ».
Cependant, dans une version révisée de cette déclaration envoyée au Times of Israel la semaine dernière, le département d’État a adopté un ton nettement plus sévère.
« Cette pratique odieuse doit cesser immédiatement. Nous voulons voir des actes – pas des paroles », a ajouté le département. « Nous surveillerons de près l’application de la loi et nous consulterons l’AP ainsi que le gouvernement israélien sur l’évolution de la situation. »
Un porte-parole du département d’État a refusé de commenter ce changement de positionnement.
Alors que Washington semble perdre patience avec Ramallah, les deux responsables ont révélé que le financement américain des forces de sécurité de l’AP s’est poursuivi sous la nouvelle administration. Selon eux, ces fonds proviennent de la Central Intelligence Agency (CIA), bien qu’ils aient refusé d’en préciser le montant.

Une autre source de financement, issue du Bureau du contrôle international des stupéfiants et de l’application de la loi (INCLE) au sein du département d’État, a été suspendue. Toutefois, cette interruption s’inscrit dans la suspension générale de l’aide étrangère qui a été décidée par l’administration, qui n’accorde d’exemptions qu’à l’Égypte et Israël.
Les deux responsables ont indiqué que Washington avait assuré Ramallah que les fonds INCLE – prévus à hauteur de 47 millions de dollars pour l’exercice fiscal 2025 – seraient débloqués sous un mois, une fois achevé l’examen de 90 jours de l’ensemble des programmes d’aide internationale.
Plusieurs pays européens ont par ailleurs récemment augmenté leur aide aux forces de sécurité de l’AP pour compenser l’arrêt du financement américain, a indiqué le responsable palestinien.
Le financement de la CIA et de l’INCLE pour ces forces est la seule aide américaine accordée directement au gouvernement de Ramallah. Cette exception a été maintenue malgré une législation qui avait été adoptée par le Congrès lors du premier mandat de Donald Trump, qui avait interdit toute assistance en raison du système de paiements aux prisonniers de l’AP, qualifié par les critiques de « pay-to-slay » (rémunération aux assassins).
Les administrations Trump, Obama et Biden ont néanmoins fait une exception pour permettre cette aide accordée aux forces de sécurité de l’AP — souvent à la demande d’Israël — en raison de leur rôle dans la lutte contre le terrorisme et dans le maintien de la stabilité en Cisjordanie.
Au début de l’année, Abbas a ordonné une opération antiterroriste sans précédent dans le nord de la Cisjordanie, visant des groupes impliqués dans des attaques contre des soldats et des civils israéliens. Des centaines d’arrestations ont eu lieu, mais le Premier ministre Benjamin Netanyahu a jugé ces efforts insuffisants et il a ordonné à Tsahal de mener sa propre opération dans plusieurs villes et camps de réfugiés du nord et du centre de la Cisjordanie.

Cette offensive a entraîné le déplacement de dizaines de milliers de Palestiniens. Alors qu’Israël la justifie comme une nécessité pour restaurer la sécurité, le responsable palestinien interrogé par le Times of Israel a accusé Netanyahu d’avoir approuvé l’opération pour garantir qu’il conserverait le soutien du ministre des Finances d’extrême droite, Bezalel Smotrich, après que le Premier ministre a accepté en janvier un cessez-le-feu incluant la libération d’otages détenus par le Hamas – accord auquel Smotrich s’était opposé.
Par ailleurs, les allocations mensuelles versées aux familles des prisonniers sécuritaires et des Palestiniens blessés ou tués lors d’attaques ont été remises à leurs destinataires à deux reprises depuis la signature du décret d’Abbas, le 10 février, ont déclaré au Times of Israel deux sources palestiniennes bien informées sur le sujet.
Le responsable palestinien a expliqué que ces paiements avaient été effectués plusieurs mois avant la signature du décret. L’AP, confrontée à un manque de liquidités dû à la rétention par Israël de centaines de millions de dollars de recettes fiscales, n’a pu transférer aux bénéficiaires les allocations du mois de décembre qu’au mois de février, tandis que les paiements du mois de janvier ont été reçus au début du mois en cours.
En conséquence, il faudra probablement encore un à deux mois avant la mise en place du nouveau système de paiement, a déclaré le responsable palestinien.
Ce dernier a suggéré que le changement de ton de l’administration américaine concernant la réforme de l’AP était probablement lié à des attentes initiales d’une mise en œuvre plus rapide de la nouvelle politique de paiement.
« Nous avons toujours l’intention de respecter le décret qui a été signé », a assuré le responsable palestinien.

Les liens entre l’administration et Ramallah semblaient avoir démarré de manière positive, avec un appel « chaleureux » entre Trump et Abbas, selon des sources familières, quelques jours après la victoire électorale du président américain en novembre, selon des sources proches du dossier.
L’envoyé spécial des États-Unis au Moyen-Orient, Steve Witkoff, a rencontré le principal conseiller d’Abbas et très apprécié des Occidentaux, Hussein al-Sheikh, à Ryad, peu après l’entrée en fonction de Trump en janvier.
Quelques jours plus tard, Trump annonçait son intention de prendre le contrôle de Gaza et de reloger tous ses habitants.
Moins d’une semaine après, Abbas signait cependant le décret réformant le système d’aide sociale de l’AP.
Ce décret transfère toutes les allocations sociales – qu’elles concernent les prisonniers ou d’autres bénéficiaires – hors du cadre de l’AP pour les confier à un organisme non gouvernemental, le Fonds d’autonomisation économique national palestinien. Ce fonds est dirigé par l’ancien ministre des Affaires sociales de l’AP, Ahmad Majdalani, un proche conseiller d’Abbas de longue date.

Dans une interview accordée au Times of Israel le mois dernier, Majdalani a exhorté la communauté internationale à fournir un soutien financier au nouveau système, reconnaissant qu’il n’est pas particulièrement populaire parmi les Palestiniens et que Ramallah risquait de faire face à de nouvelles contestations si elle ne parvenait pas à le financer.
Majdalani a également critiqué le plan de Trump pour Gaza et averti que l’AP couperait les liens avec Washington si les États-Unis allaient de l’avant avec cette proposition.
D’autres responsables palestiniens ont pris soin de ne pas critiquer ouvertement Trump, soucieux d’éviter une rupture des relations similaire à celle survenue lors de son premier mandat.
En attendant, le secrétaire d’État américain, Marco Rubio, a évité de faire escale à Ramallah lors de son voyage dans la région le mois dernier, et Witkoff n’a accepté de rencontrer Sheikh qu’en présence d’autres ministres des Affaires étrangères arabes.
« Nous espérions que cette réforme serait accueillie plus favorablement à Washington, mais nous attendons toujours », a déclaré le responsable palestinien.