Un allié d’Abbas évoque « l’impopulaire » réforme de l’indemnisation des prisonniers
À la recherche de fonds étrangers, Ahmad Majdalani, pressenti pour diriger le successeur du système "payer pour tuer", annonce un système en fonction des revenus

RAMALLAH, Cisjordanie – Le mois dernier, le chef de l’Autorité palestinienne (AP), Mahmoud Abbas, a signé un décret mettant fin au très controversé versement d’allocations aux prisonniers de Ramallah coupables d’actes de terrorisme meurtriers à l’encontre d’Israéliens, véritable hantise d’Israël.
Ce décret a mis fin à une pratique héritée de plusieurs décennies consistant à verser des « prestations sociales » aux Palestiniens prisonniers en Israël – ainsi qu’aux proches d’assaillants blessés ou tués – en fonction de la durée de leur peine.
Toutes les prestations d’aide sociale – au profit des prisonniers ou d’autres personnes – ont été transférées de l’AP à un organisme non gouvernemental baptisé Fonds national palestinien d’émancipation économique, qui sera dirigé par l’ex-ministre des Affaires sociales de l’AP, Ahmad Majdalani, un proche d’Abbas.
Lors d’une rare interview, accordée à un média étranger – de surcroît israélien –, Majdalani explique avec prudence ce qu’il admet être une réforme impopulaire sur le plan local et prie la communauté internationale de l’aider, en paroles mais aussi en actes.
« Il ne suffit pas d’accueillir favorablement cette réforme. Vous devez également la soutenir financièrement », expliquait Majdalani au Times of Israel depuis son bureau de Ramallah, la semaine dernière, en reprenant le message transmis aux diplomates étrangers lors d’une réunion à huis clos pour leur expliquer la réforme, quelques jours plus tôt.
Il précise que les pays peuvent aider en faisant un chèque ou en convaincant les États-Unis et Israël d’annuler leurs sanctions « injustes » contre l’AP et ce que les partisans desdites sanctions qualifient de politique de Ramallah du « payer pour tuer ».

Sans cette aide financière, l’AP se trouvera dans une position plus précaire encore, compte tenu de l’impopularité de la réforme auprès des Palestiniens.
« Pour être honnête, il n’a pas été facile de prendre cette décision, car la question des prisonniers et des martyrs est très sensible au sein de la population palestinienne », dit Majdalani.
Politiquement parlant, ce n’est pas le moment idéal pour Ramallah car cette réforme est survenue en plein cessez-le-feu à Gaza lors duquel le Hamas a obtenu la libération de milliers de prisonniers de sécurité palestiniens. Le groupe terroriste palestinien a tenté de profiter de l’occasion en publiant des déclarations mettant en avant son action en faveur des prisonniers face à ce qu’il présente comme leur « abandon » de la part l’AP.
Est-ce bien réel ?
Cela faisait des années que l’AP refusait de mettre fin aux prestations versées à ses prisonniers, qu’elle disait nécessaires face à ce qu’elle présentait comme le régime militaire « impitoyable » d’Israël, en vertu duquel des milliers de Palestiniens sont détenus sans procédure régulière.
L’opposion de la rue à la réforme de l’indemnisation des prisonniers n’a pas donné lieu à de grandes manifestations publiques, comme certains analystes l’avaient prédit. Il pourrait toutefois y en avoir une fois les nouvelles allocations effectivement versées. Il est prévu que les bénéficiaires actuels de telles aides présentent une nouvelle demande, étant entendu que leur examen par les services de Majdalani pourrait prendre plusieurs mois, précise-t-il.
Quoi qu’il en soit, Majdalani – qui est également chef de faction au sein du comité exécutif de haut niveau de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) – tient à préciser que l’AP ne « fait pas de chantage à la communauté internationale ». « Nous ne mettons aucune condition : nous ne conditionnons pas notre action à leur générosité. Nous le faisons parce que c’est notre devoir », assure-t-il.
Le caractère très sensible de cette question – et le difficile équilibre à trouver par Abbas entre mécontentement national et soutien international – s’est clairement vu à la fin du mois dernier lorsque le chef de l’AP s’est adressé à une session du Conseil révolutionnaire du Fatah.
#ICYMI: Palestinian President Mahmoud Abbas Reaffirms “Pay-to-Slay” Policy: If We Have Only a Single Penny Left, It Will Go to the Prisoners and the Martyrs – I Will Not Allow Any Reduction in Our Commitments to Them pic.twitter.com/T7I9pLsue1
— MEMRI (@MEMRIReports) March 1, 2025
« J’ai dit un jour… que s’il ne nous restait qu’un centime, il irait aux prisonniers et aux martyrs », a déclaré Abbas lors d’un long discours rapidement critiqué, notamment par ceux y voyant le signe que l’AP n’était pas sérieuse au sujet de la réforme.
Les prisonniers « devraient recevoir exactement ce qu’ils touchaient avant… Je ne laisserai personne leur prendre un centime », a ajouté le chef de l’AP.
Selon Majdalani, Abbas parlait alors du précédent système de paiement et, plus loin dans son discours, du nouveau système, fondé sur des critères sociaux. Il explique que ce point a été omis dans les vidéos diffusées par les sceptiques et critiques de la réforme de l’AP. Quelques heures plus tôt, c’est un autre haut conseiller d’Abbas, Mahmoud Habbash, qui utilisait presque le même argument lors d’une interview au Times of Israel.
Mais la vidéo intégrale du discours d’Abbas a été retirée du site Internet de l’AP, signe que le chef de l’AP n’était peut-être pas aussi clair que ses conseillers tentent de le faire croire.
Pour autant, cette réforme est dénoncée par le chef du club de soutien aux prisonniers de l’AP – depuis évincé -, pour lequel les personnes directement concernées prennent cette réforme très au sérieux, tout comme Ramallah.

Aller de l’avant, malgré le projet de Trump
Les administrations américaines qui se sont succédées ont tenté d’amadouer l’AP pour qu’elle supprime son programme de prestations aux prisonniers, et l’envoyé de Biden auprès des Palestiniens, Hady Amr, avait enregistré de bonnes avancées en la matière, en toute discrétion. Mais au final, Ramallah s’est abstenu d’annoncer cette réforme du temps de Biden, pour lui faire payer de n’avoir pas tenu un certain nombre de promesses de campagne faites aux Palestiniens. Abbas a attendu, pour signer le décret, que le président américain Donald Trump revienne au pouvoir, en guise de bonne volonté.
L’AP n’a pas changé d’avis lorsque Trump a fait part du projet des États-Unis de prendre le contrôle de Gaza et la « débarrasser » définitivement des Palestiniens. Moins d’une semaine plus tard, Abbas signait en effet le décret, ce qui a pris de court de nombreux membres de la communauté internationale, sans parler de ceux qui l’ont à peine remarqué au milieu de l’épuisante succession d’informations sur le conflit israélo-palestinien, l’an dernier.
Il a fallu deux jours à l’administration Trump pour réagir : le Département d’État a publié une déclaration rendant hommage à une réforme perçue comme « une étape positive et une grande victoire » pour le président américain, tout en ajoutant que sa mise en œuvre serait suivie de près.

Embarquer les États-Unis et Israël
Cette surveillance est requise en vertu de la loi américaine sur laquelle cette réforme de l’AP tente de revenir – une loi de 2018 intitulée Taylor Force Act qui proscrit la quasi-totalité des aides bénéficiant directement à l’AP tant que les paiements aux prisonniers se poursuivent. La signature de ce décret, par Abbas, pour mettre fin à cette pratique devrait donner lieu à un suivi de la part du Département d’État dans les tout prochains mois.
La raison d’être de cette réforme par l’AP correspond à la volonté de se conformer au Taylor Force Act, explique au Times of Israel une source diplomatique située à Ramallah.
Selon Majdalan, la réforme a été élaborée en coordination avec des responsables et des législateurs américains, dont le sénateur républicain Lindsey Graham et le sénateur démocrate Chris Van Hollen.
L’assistant de Van Hollen au Congrès a indiqué que le législateur progressiste avait à plusieurs reprises demandé à l’AP de mener cette réforme afin que Ramallah soit en conformité avec la loi américaine. Le porte-parole de Graham n’a pas souhaité s’exprimer, mais un ex-membre des autorités américaines a fait savoir que le sénateur républicain avait exprimé son soutien à ce projet de réforme lorsqu’il en avait été informé, l’année dernière.

Ramallah espère que la réforme conduira par ailleurs à l’annulation de la loi israélienne adoptée par la Knesset peu de temps après le Taylor Force Act, laquelle permet de déduire les sommes versées par l’AP aux familles de prisonniers et de Palestiniens tués et blessés des recettes fiscales transférées chaque mois par Jérusalem à Ramallah.
Selon Majdalani, il y a eu moins de contacts avec Israël sur ce point, car les relations sont quasi-inexistantes avec le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui compare régulièrement l’AP au Hamas.
Israël retient des centaines de millions de dollars de recettes fiscales perçues par Jérusalem pour le compte de Ramallah – ce que Majdalani qualifie de « vol ». Cette rétention de fonds n’a fait qu’exacerber la situation déjà désastreuse de l’économie palestinienne, qui souffre depuis longtemps du déséquilibre de pouvoir de l’AP avec Israël et de sa dépendance à son égard.
L’AP est particulièrement sous pression depuis le pogrom commis par le Hamas, le 7 octobre, Israël ayant par la suite annulé les permis d’entrée de la très grande majorité des 150 000 Palestiniens qui travaillaient en Israël et dans ses implantations, pour des questions de sécurité.

Possédez-vous une machine à laver ?
Au sujet de la réforme, Majdalani a précisé que toutes les prestations sociales seraient, à l’avenir, distribuées en vertu d’un système unique. Les montants seront calculés sur la base de critères sociaux précis, examinés par des travailleurs sociaux qui se déplaceront à domicile pour vérifier les conditions de vie des demandeurs.
Tout le monde peut postuler, mais seuls les ménages dont les salaires sont les plus faibles seront éligibles. Ceux qui touchent le salaire minimum (soit 518 $) seront éligibles à des prestations supérieures et ceux qui gagnent un peu moins que le seuil de pauvreté national (fixé à 770 $), un peu moins.
Majdalani a refusé de préciser les montants pour un ménage bénéficiaire moyen en précisant que chaque cas était différent et pouvait varier en fonction de plusieurs critères, comme par exemple le fait de posséder ou non une machine à laver. Il s’est gardé de dire en substance que les familles des prisonniers et des attaquants tués pourraient eux aussi postuler tout en disant que le programme était ouvert à tous les foyers palestiniens. En conséquence, de nombreux prisonniers resteront probablement éligibles aux fonds de l’AP, compte tenu du taux élevé de pauvreté palestinienne.
Mais désormais, le montant des prestations perçues par ces prisonniers dépendra de critères sociaux, pour autant que l’AP obtienne les fonds nécessaires pour financer ce programme.
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