Washington et le chaos en Israël sont à blâmer pour l’accord irano-saoudien – experts
Ryad a vu Washington s'éloigner ces dernières années et est consterné par les troubles internes actuels d'Israël et les tensions croissantes avec les Palestiniens
En juillet de l’année dernière, quelques jours avant que le président américain Joe Biden n’atterrisse en Israël avant de s’envoler pour l’Arabie saoudite, Benjamin Netanyahu, alors chef de l’opposition, s’est présenté devant les caméras de la Knesset pour plaider en faveur de son retour au pouvoir.
Son argumentation reposait notamment sur l’idée qu’il était le seul à pouvoir donner suite aux Accords d’Abraham de 2020 et à étendre l’empreinte diplomatique d’Israël dans la région.
« J’ai l’intention de conclure des accords de paix complets avec l’Arabie saoudite et d’autres pays arabes », avait-il déclaré.
Vendredi, deux mois après que Netanyahu s’est réinstallé dans son ancien bureau, l’Arabie saoudite a fait la Une des journaux du monde entier en concluant un accord majeur avec une puissance du Moyen-Orient.
Mais le pays avec lequel Ryad a signé un pacte n’est pas Israël. Au contraire, l’Arabie saoudite a conclu des accords avec l’ennemi juré d’Israël, l’Iran – le pays même contre lequel Israël espère former une coalition israélo-arabe.
Comme on pouvait s’y attendre, Netanyahu et le chef de l’opposition Yaïr Lapid – son prédécesseur – ont saisi l’occasion pour se rejeter mutuellement la faute.
Lapid a parlé d’un « échec total » pour Israël. « C’est ce qui arrive lorsque l’on se concentre sur la folie judiciaire au lieu de travailler contre l’Iran et de renforcer les liens avec les États-Unis », a-t-il déclaré, faisant référence à la volonté du gouvernement de remanier de façon radicale le système judiciaire.
Le partenaire de Lapid au sein du précédent gouvernement, Naftali Bennett, s’est lui aussi exprimé. « Les pays du monde et de la région voient Israël divisé, avec un gouvernement qui ne fonctionne pas et qui se concentre sur l’auto-destruction en série. Et ces pays ont choisi un camp ».
Vendredi, un haut-responsable qui se trouvait aux côtés de Netanyahu lors de son déplacement à Rome a imputé le rapprochement irano-saoudien à la « faiblesse américaine et israélienne » projetée sous l’administration Biden et le gouvernement Bennett-Lapid.
Trahison bipartisane
La perception de la faiblesse américaine a très certainement joué un rôle dans ce rapprochement, mais elle n’émane pas uniquement de la Maison Blanche – sous Biden.
Un éminent journaliste saoudien a découvert que les germes de l’accord saoudo-iranien remontaient à l’administration de Barak Obama, écrivant que « Washington et l’Occident n’ont pas pris au sérieux la sécurité de la région depuis la conclusion de l’accord sur le nucléaire iranien en 2015 ».
Son successeur Donald Trump, pourtant bien accueilli dans le Golfe, a érodé un peu plus la confiance saoudienne. Il avait choisi de ne pas frapper l’Iran en réponse à l’attaque de drones et de missiles de septembre 2019 contre une installation pétrolière saoudienne clé. Une fois que Ryad a compris qu’il n’y aurait pas de représailles américaines, il a tendu la main à l’Iran, comprenant qu’il devait éviter un conflit qu’il ne pourrait pas combattre seul.
Trump a également développé une relation personnelle étroite avec les dirigeants du Golfe, notamment le prince héritier Mohammed ben Salman, le dirigeant de facto du royaume.
Mais pour Biden, c’est une toute autre histoire.
« Nous allons leur faire payer le prix, et faire d’eux les parias qu’ils sont », avait déclaré Biden lors de sa campagne présidentielle. « Le gouvernement actuel de l’Arabie saoudite n’a que très peu de valeur sociale rédemptrice. »
Peu après son entrée en fonction en janvier 2021, le 46e président des États-Unis a pris quelques mesures pour tenir sa promesse. Il a rendu public un rapport des services de renseignement qui accusait le prince héritier saoudien Mohammed Ben Salman (également connu sous le nom de MBS) d’avoir directement autorisé l’assassinat du journaliste saoudien et chroniqueur du Washington Post Jamal Khashoggi. Biden a également réduit le soutien des États-Unis à la campagne aérienne menée par l’Arabie saoudite au Yémen en raison de l’indignation suscitée par les pertes civiles, et a retiré les Houthis, soutenus par l’Iran, de la liste des organisations terroristes des États-Unis.
« Il n’était pas nécessaire d’être diplomate ou responsable du renseignement pour remarquer la détérioration des liens entre l’Arabie saoudite et les États-Unis », a déclaré Meïr Ben-Shabbat, qui a été conseiller à la sécurité nationale sous les présidences de Netanyahu et de Bennett.
S’il s’est bien gardé de faire de l’Arabie saoudite un paria, rencontrant même MBS à Jeddah après son voyage en Israël et semblant mettre en veille un projet de révision des relations américano-saoudiennes, d’intenses frictions entre les deux pays ont subsisté, contribuant à rapprocher Ryad et Téhéran.
« Il ne fait guère de doute dans mon esprit que cet échec est directement imputable à la stratégie erronée de l’administration Biden dans la région », a déclaré John Hannah, chercheur principal à l’Institut juif pour la sécurité nationale des États-Unis et ancien conseiller en matière de sécurité nationale du vice-président américain Dick Cheney.
« Si Washington n’avait pas passé la majeure partie des deux dernières années à mettre en œuvre des politiques qui, dans l’ensemble, ont eu pour effet prévisible de briser la confiance de MBS dans la fiabilité de l’Amérique en tant que principal partenaire stratégique », a-t-il poursuivi, « je doute que les événements de la semaine dernière à Pékin se seraient déroulés de la même manière. »
Moran Zaga, experte du Golfe au Mitvim, l’Institut israélien des affaires étrangères régionales, abonde dans le même sens, affirmant qu’il était clair, dès le début de l’administration Biden, « qu’il y avait une déconnexion personnelle, éthique et aussi diplomatique avec les Saoudiens ».
« Les Américains ont effectivement poussé les Saoudiens à agir de la sorte », a-t-elle ajouté. « Quelles options leur restaient-ils ? »
Ils n’avaient peut-être pas d’autre choix que de s’adresser à Téhéran, mais la décision de faire appel à la Chine en tant que médiateur a été perçue par certains comme une attaque directe contre les États-Unis. L’Iran et l’Arabie saoudite se rencontrent depuis des années en Irak et en Jordanie, et n’avaient aucune raison pressante de se rendre à Pékin pour discuter.
Alors que de nombreux experts considèrent l’inclusion de la Chine comme un signe alarmant du remplacement de l’Amérique dans la région, il est peu probable que les Saoudiens ferment la porte aux États-Unis pour l’instant.
En effet, Ryad peut encore compter sur la présence militaire américaine dans la région, qui, avec des dizaines de bases et des milliers d’hommes, reste bien supérieure à celle des Chinois dans le Golfe. En se tournant vers la Chine pour des pourparlers, les Saoudiens tentent peut-être de rappeler aux Américains leur alliance historique avec le royaume en matière de sécurité, tout en signalant leur mécontentement face à l’évolution récente de la situation.
« C’est un doigt dans l’œil des Américains », a déclaré un fonctionnaire israélien au Times of Israel.
L’épreuve de la réalité
L’autre aspect des accusations lancées de part et d’autre de l’échiquier politique, à savoir que la détente entre l’Arabie saoudite et l’Iran est le résultat de la politique israélienne, est une question plus complexe.
« Il ne s’agit pas d’un échec israélien », pour Alex Grinberg, spécialiste de l’Iran au sein du groupe de réflexion Jerusalem Institute for Security and Strategy. « Cela n’a rien à voir avec Israël. »
Ben-Shabbat, qui dirige aujourd’hui l’Institut des stratégies sionistes, n’a pas voulu dire si l’un ou l’autre de ses anciens patrons était à blâmer. « Au lieu de donner des notes, je dirais qu’il s’agit d’un développement qui accentue les défis auxquels les États-Unis et leurs alliés sont confrontés au Moyen-Orient. »
Cependant, d’autres experts ont vu un lien direct avec les politiques du gouvernement actuel.
« Avec tout le chaos qui règne actuellement en Israël, ils ont abandonné tout espoir de voir Netanyahu lancer une attaque contre le programme nucléaire iranien », a déclaré un expert israélien qui a demandé à rester anonyme. « Au moins, avec Lapid, ils pensaient qu’il pourrait avoir quelque chose à prouver. »
Même si le rétablissement des liens entre Ryad et Téhéran ne résultent pas d’une politique israélienne particulière, il devrait entraîner une sérieuse remise en question à Jérusalem.
« C’est un retour à la réalité », a déclaré un diplomate européen. « Les Israéliens ne sont surpris que parce qu’ils ne font pas attention. »
L’accord rappelle qu’Israël est assez limité dans ce qu’il peut offrir. À lui seul, Israël peut fournir des renseignements et des armes de pointe, mais seul l’Iran peut apporter aux Saoudiens la stabilité régionale qu’ils souhaitent avec le désengagement des États-Unis.
Et si Israël offre discrètement ces atouts à MBS, il n’y a aucune raison pour qu’il s’expose à un retour de bâton intérieur en signant un accord ouvert avec Israël.
Le climat actuel en Israël ne rend pas l’élargissement des liens particulièrement attrayant pour les États du Golfe. La violence entre Israéliens et Palestiniens augmente et les partenaires d’extrême-droite de Netanyahu semblent disposer d’une assez longue marge de manœuvre.
Les âpres batailles autour de la réforme du système judiciaire rebutent également les dirigeants du Golfe, qui préfèrent par-dessus tout la prévisibilité et la stabilité.
« Lorsque l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis regardent Israël aujourd’hui, ils se disent que rien de bon ne sortira de cette situation dans un avenir proche », a déclaré Joshua Krasna, directeur du Center for Emerging Energy Politics in the Middle East (Centre pour les politiques énergétiques émergentes au Moyen-Orient).
« Si les Israéliens se dévorent de l’intérieur, je pense que cela joue en faveur de la perception saoudienne selon laquelle nous n’avons pas besoin d’aimer les Iraniens, mais nous devons nous assurer que nous ne figurons pas en haut de leur liste. »
La réticence croissante des Émirats à l’égard d’Israël devrait également être un signal d’alarme. Le soutien aux Accords d’Abraham est en baisse à Abou Dhabi, l’invitation de Netanyahu y est suspendue, le Forum du Néguev est en suspens et les Émirats arabes unis auraient gelé les achats d’armes « jusqu’à ce que Netanyahu contrôle son gouvernement ».
Krasna a déclaré que des conversations récentes avec des experts émiratis ont révélé une mauvaise interprétation fondamentale de la motivation des Émirats de la part d’Israël.
« Ils m’ont dit que les Israéliens ne nous avaient jamais compris », a-t-il raconté. « Ils m’ont dit qu’Israël pensait que si nous étions intervenus, c’était parce que nous ne nous préoccupions pas des Palestiniens. Nous pensions que nous pourrions aider davantage les Palestiniens en nous engageant qu’en ne nous engageant pas. »
La question palestinienne est encore plus importante pour les dirigeants saoudiens. Ces derniers mois, de hauts responsables ont répété à plusieurs reprises qu’il n’y aurait pas de normalisation avec Israël sans un accord sur la création d’un État palestinien, en plus de ce qu’ils exigent des États-Unis.
Pendant ce temps, alors que la lutte politique s’intensifie à la Knesset et dans les rues d’Israël, Netanyahu peut oublier l’élargissement des Accords d’Abraham.
« À l’heure actuelle, nous sommes plus éloignés de la normalisation avec les Saoudiens que nous ne l’étions il y a quelques mois », a déploré Krasna. « Je ne pense pas que les Saoudiens seraient intéressés par un tel succès pour le gouvernement israélien actuel. »
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