William Rees : « Les humains détruisent les bases de leur propre existence »
Le monde est à un "moment où l'entreprise humaine consomme plus de biens et de services naturels qu'ils ne peuvent se régénérer", déplore le professeur canadien
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
L’homme qui a inventé le concept « d’empreinte écologique » a donné une conférence jeudi dernier aux Israéliens dans laquelle il a vertement attaqué le néo-libéralisme et « l’auto-illusion humaine », qui selon lui, sont à la base de la destruction biologique de l’espèce humaine.
« Le fait que le climat change n’est pas le problème », a déclaré William Rees, Professeur émérite à l’Université de Colombie Britannique au Canada. « Il n’est qu’un symptôme parmi de nombreux abus écologiques, qui surviennent au moment où l’entreprise humaine consomme plus de biens et de services naturels qu’ils ne peuvent se régénérer ».
Non seulement la nature ne peut pas absorber tout le dioxyde de carbone que les combustibles fossiles émettent dans l’atmosphère, a-t-il déclaré dans une visioconférence universitaire de sciences humaines et sociales, mais aussi « nous voyons les océans s’acidifier, l’eau douce se toxifier, les sols s’éroder, les écarts de revenus s’agrandir et les pauvres rester dans la pauvreté même aux Etats-Unis ».
Il a également déclaré que si la Terre émet en moyenne 1,6 hectare de terre productive par habitant, chaque être humain extrait en moyenne ce que 2,8 hectares (sept acres) pourraient fournir durablement. « [Chaque être humain] se comportant comme si la planète était 73 fois plus grande qu’elle ne l’est en réalité. La technologie contribue à diffuser le mythe selon lequel les humains peuvent constamment augmenter les capacités de la planète. »

Le professeur Rees est particulièrement connu pour avoir mis en place, avec son doctorant de l’époque Mathis Wackernager, la méthode dite de « l’empreinte écologique ». Cette dernière mesure la consommation humaine et les modes de vie humains par rapport à la capacité de la nature à fournir ce que cette consommation exige (sa biocapacité).
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« Les humains existent depuis 250 ou 350 000 ans » déclare le Professeur Rees. « Au début du 19e siècle, nous n’étions qu’un milliard sur la planète. Depuis nous sommes passés à 7,8 milliards d’humains sur Terre, la production a été multipliée par 100, les revenus par habitant ont été multipliés passant de 13 à 30 et la consommation a augmenté. Mais la taille de la Terre, elle, n’a pas changé ».
Il poursuit en précisant que toutes ces augmentations ont été possibles grâce aux combustions fossiles. 90 % de tous les combustibles fossiles utilisés depuis la « nuit des temps » l’ont été depuis 1943, dont la moitié au cours de ces trente dernières années.

Dans l’optique d’illustrer la conquête du monde par les humains, le Professeur Rees nous ramène au Néolithique. Durant le Néolithique, les humains représentaient moins de 1 % de la biomasse de tous les vertébrés tandis que celle-ci était composée à 99 % par les animaux sauvages. A peine 10 000 ans plus tard du fait des avancées humaines, ces derniers représentent 32 % de cette biomasse et les animaux sauvages plus que 5 % environ. Le reste étant composé de bétail domestiqué et au service de l’Humanité. Par exemple, la volaille représente 70 % de tous les oiseaux vivants sur Terre.
A l’occasion de cette conférence, Rees s’en est pris au néo-libéralisme, qu’il accuse d’avoir « soutenu et diffusé l’idée que la croissance économique matérielle est illimitée grâce à l’innovation technologique », soulignant que ses tenants ne parlaient plus de contrôler la croissance démographique mais de laisser la technologie nourrir la population.
La moitié de tous les combustibles fossiles consommés depuis la nuit des temps, l’a été au cours des 30 dernières années
« La plupart des dirigeants politiques, en Israël aussi, sont bercés par l’illusion qu’il n’existe pas d’incompatibilité entre la croissance de l’entreprise humaine et la protection de l’environnement » a-t-il déclaré également.

« Mon propre Premier ministre [Justin Trudeau], n’arrête pas de dire que nous pouvons aller de l’avant avec le gaz et le pétrole. Que nous pouvons utiliser ces ressources de manière illimitée sans nuire à la Nature et qu’il n’existe évidemment aucun conflit entre l’économie libérale canadienne et la conservation de l’environnement. C’est complètement absurde. »
Selon lui, la gestion politique de la crise environnementale ne doit pas s’en prendre à la croissance démographique et à la consommation. Il faudrait introduire au sein de nos systèmes de croissance économique, des technologies renouvelables capables d’assurer ses besoins sans créer de gigantesques externalités négatives sur l’environnement. « Actuellement, nous sommes prêts à tout pour sauver l’économie productive, même si cela passe au détriment de l’environnement », poursuit-il.
Il précise également que depuis que les scientifiques ont commencé à parler de crise environnementale dans les années 1970, 34 conférences sur le climat ont été organisées, une demie-douzaine d’accords internationaux ont été pris et de nombreux avertissements scientifiques ont été donnés. Malgré tout cela, l’augmentation du niveau de dioxyde de carbone dans l’atmosphère n’a « pas baissé d’un cil ».
« Les humains modernes détruisent les bases biophysiques de leur propre existence », a-t-il déclaré.
Il a également dit que la crise du Covid-19 a montré que les gouvernements peuvent agir concrètement et de manière forte quand il le faut. « Ils ont l’habitude de donner des excuses » en matière de protection de l’Environnement, poursuit Rees, arguant du prétexte qu’ils ne peuvent prendre de réforme bénéfique à l’environnement en raison de contraintes budgétaires. « Mais avec la Covid, les Etats impriment de l’argent, dépensent des milliards de dollars qui manifestement n’existaient pas avant ».
Avant de conclure son intervention, Rees a pris l’exemple d’espèce animale ayant envahi un espace, ayant exploité toutes ses ressources puis ayant connu une croissance démographique dynamique avant de tomber dans le déclin, puis la disparition. « A moins que l’Humanité ne revienne à la raison, a-t-il averti, elle est en train de prendre la voie d’une implosion démographique à l’échelle mondiale ».
