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A Bethléem, un « Corona sandwich » pour affronter la crise

Un guide touristique a perdu son travail de guide mais, las d'user ses journées à ne rien faire, il a lancé son antidote : un restaurant "Corona sandwich" pour "avaler" la crise

Une femme passe devant le restaurant "Corona Sandwich" à Bethléem, en Cisjordanie , qui appartient à un ancien guide touristique palestinien, le 6 novembre 2020. (Crédit : Emmanuel DUNAND / AFP)
Une femme passe devant le restaurant "Corona Sandwich" à Bethléem, en Cisjordanie , qui appartient à un ancien guide touristique palestinien, le 6 novembre 2020. (Crédit : Emmanuel DUNAND / AFP)

Au premier temps du corona, les touristes ont fui Bethléem. Raed a alors perdu son travail de guide mais, las d’user ses journées à ne rien faire, il a lancé son antidote : un « Corona sandwich » pour « avaler » la crise.

Ces jours-ci à Bethléem, ville palestinienne connue pour sa basilique de la Nativité, érigée sur le lieu de naissance présumé de Jésus-Christ, les guides chassent du regard les rares touristes de passage qui prennent des photos, les marmites d’huile bouillantes ne dorent que quelques falafels, des artisans ont fermé boutique et des hôtels ont mis la clé sous la porte.

Plantée à une dizaine de kilomètres du centre de Jérusalem, de l’autre côté d’un haut et épais mur de béton à la peau grise bariolée de tags, Bethléem vit normalement du ballet incessant des cars touristiques.

Mais lorsque la pandémie de Covid-19 est apparue, Bethléem a été bouclée, et Raed Bannoura, silhouette de rugbyman, a perdu sa manne.

Des personnes portant des masques visitent l’église de la Nativité, vénérée comme le lieu de naissance de Jésus-Christ, dans la ville de Bethléem, en Cisjordanie, le 5 mars 2020. (Crédit : Ahmad Gharabli/AFP)

Après quelques mois à tourner en rond à la maison, il a décidé d’affronter à sa manière la bête, en ouvrant un restaurant au nom pour le moins
inusité : le « Corona sandwich ».

« Il était environ six heures du matin, j’ai réveillé ma femme et lui ai dit : ‘Je sais comment nous allons appeler ce restaurant’. Elle a dit: ‘Comment?’. Et j’ai répondu : ‘Corona’. Elle m’a dit : ‘Es-tu fou?’ Et je lui ai dit : ‘Ce nom va se répandre aussi rapidement que le virus' », raconte-t-il à l’AFP.

« Génie » ou « folie » ?

Dans une rue en contrebas de la basilique, l’immense enseigne jaune du « Corona sandwich », cantine de quelques tables, saute aux yeux.

Au menu, Raed propose, parmi moult gueuletons, ce sandwich, mélange de viandes, d’oignons grillés et d’épices « spéciales », enroulé dans une tortilla, mais aussi un « hot-dog Covid-19 », avec sa saucisse de boeuf et d’agneau.

Une employé du restaurant « Corona Sandwich » à Bethléem, en Cisjordanie , qui appartient à un ancien guide touristique palestinien, le 6 novembre 2020. (Crédit : Emmanuel DUNAND / AFP)

« Je sais que des gens meurent, que le corona est une maladie, mais il y a des gens qui meurent aussi à cause du sucre ou du tabac et nous ne bannissons pas ses mots de notre vocabulaire », argue Raed, à l’heure où les autorités ont enregistré 50 000 cas, dont près de 500 morts, en Cisjordanie.

Après avoir lu Marx dans sa jeunesse, appris le russe à Kiev aux derniers souffles de l’URSS, Raed était retourné dans sa Palestine sans Etat pour lancer un premier restaurant, puis se convertir en guide.

Pourquoi ouvrir un restaurant en pleine crise ? « Un philosophe disait : la frontière séparant le génie de la folie est ténue. Je ne sais pas encore de quel côté je suis », répond Raed, en attendant le client qui ne vient pas, ce soir-là.

Un miracle pour Noël ?

Dimanche, à l’intérieur de la basilique, la voix de quatre moines envoûtent les lieux esseulés.

Dans la grotte de la Nativité règne une ambiance propice au recueillement mais qui contraste avec les dernières années durant lesquelles le sanctuaire était pris d’assaut. Devant la basilique, les commerces fermés se succèdent comme les billes d’un chapelet.

« Normalement, d’octobre à décembre, ce sont nos trois gros mois, qui culminent avec Noël (…), mais cette année c’est mort », note Ashraf Kawazba, qui grille des croquettes de falafels au restaurant local Abou Dawoud.

Sam al-Bandak, la quarantaine, craint de perdre l’hôtel dont il est copropriétaire, si l’activité ne reprend pas d’ici janvier. « La banque menace de saisir l’immeuble », dit-il.

Des échoppes fermées près de la basilique de la Nativité, à Bethléem, en pleine pandémie de coronavirus, le 8 novembre 2020. (Crédit : Emmanuel DUNAND / AFP)

Comme Sam, plusieurs attendent à Bethléem des nouvelles du bon Dieu. Mais le « miracle » de la nativité ne semble pas au calendrier de cette annus horribilis.

« De notre vie, nous n’avons jamais rien connu de tel », déplore le maire de Bethléem, Anton Salman, notant que le chômage a plus que doublé avec la crise, à 37 %.

« Pendant la première et la seconde Intifada (soulèvements palestiniens violents, 1987-93 et 2000-2005), la situation était difficile mais nous avions quand même des touristes ».

Raed espère lui tenir son fort jusqu’au retour des visiteurs. Une fois le Covid passé, ces sandwiches seront-ils débaptisés ? « Je vais garder le nom, les gens viendront ici, ils se diront : j’ai survécu, j’en suis fier, j’avale et j’enterre ce corona ».

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