Abe Saperstein, fondateur des Harlem Globetrotters, est à l’origine du basket-ball d’aujourd’hui
58 ans après sa mort, le livre "Globetrotter: How Abe Saperstein Shook Up the World of Sports" revient sur les idées novatrices du dirigeant juif qui ont popularisé la discipline
JTA – Lorsque la superstar du basket-ball Stephen Curry a réussi les tirs à trois points qui ont permis à l’équipe américaine de remporter la médaille d’or aux Jeux Olympiques de Paris, cet été, il est fort probable que le quadruple champion de la NBA n’ait pas eu une pensée pour Abe Saperstein.
Mais comme le rappelle cette toute nouvelle biographie du pionnier juif du basket-ball, Curry aurait eu bien des raisons d’être reconnaissant envers Saperstein, dont la postérité retient qu’il a fondé et a longtemps été l’entraîneur-chef des Harlem Globetrotters.
Avec son mètre 60, Saperstein est de loin l’homme le plus petit du Naismith Memorial Basketball Hall of Fame, mais c’est à lui que l’on doit d’avoir introduit la règle du tir à trois points. Mais son legs sur le basket-ball, et le sport en général, va bien au-delà du tir à longue distance, le favori de Curry.
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Dans le livre récemment sorti « Globetrotter : How Abe Saperstein Shook Up the World of Sports », les frères Mark et Matthew Jacob révèlent ce que Saperstein, dont l’apport leur semble toujours mésestimé, 58 ans après sa mort, a apporté au basket ball.
Au-delà du seul tir à trois points, ils estiment que Saperstein a joué un rôle crucial dans la transformation du basket-ball, alors perçu comme un sport américain de seconde zone, en une discipline mondiale professionnelle.
« Voyez la popularité du basket-ball aux Jeux olympiques : on le doit en partie à Abe », affirme Mark Jacob à la Jewish Telegraphic Agency. « On devrait le considérer comme l’un des grands innovateurs de ce sport, et pas seulement sur le strict plan sportif – même si c’est vrai – mais aussi en matière de promotion et de popularisation de la discipline. »
Revenons sur les grands moments de sa carrière : il a poussé la NBA à gagner la côte ouest des années avant que les Lakers de Minneapolis ne déménagent à Los Angeles en 1960. Et dès les années 1950 et 1960, Saperstein pointait du doigt la lenteur du jeu au baseball, problème toujours d’actualité au sein de la MLB ces dernières années, et conseillait aux propriétaires d’équipes de faire payer plus cher les billets pour les matchs contre les plus grandes équipes.
« Je pense que si Abe Saperstein nous regarde, depuis le ciel, il est heureux de voir que la NBA n’a pas seulement un All-Star Game mais aussi un All-Star Weekend et un concours de slam dunk », explique Matthew Jacob. « Il était très attentif aux fans et voulait que les sports et les équipes sportives revoient constamment leur manière de fonctionner de façon à faire passer les fans en premier. »
Sorti cette semaine, « Globetrotter » est le résultat d’années de recherche et d’écriture de la part des frères Jacob. Mark, 69 ans, vit à Evanston, dans l’Illinois, et est l’ancien rédacteur en chef du Chicago Tribune. Matthew, 61 ans, vit à Arlington, en Virginie, et est membre de la Society for American Baseball Research, organisation dont les analyses ont révolutionné ce sport. (Les deux frères ne sont pas juifs.)
C’est leur deuxième ouvrage en commun, après celui de 2010 « What the Great Ate : A Curious History of Food and Fame », et l’étude la plus détaillée à ce jour de la vie et de l’influence de Saperstein.
Saperstein est né le 4 juillet 1902 à Londres, fils de Louis et Anna Saperstein, qui avaient quitté ce qui est aujourd’hui la Pologne en proie à un regain d’antisémitisme. La famille s’est installée à Chicago quand Abe avait 5 ans. Les Saperstein étaient des Juifs conservateurs : ils allaient à la synagogue pour les Grandes Fêtes et parlaient yiddish à la maison, mais ils étaient pour ainsi dire laïcs.
Saperstein a débuté sa carrière sportive en qualité d’agent de réservation avant de devenir, en 1926, l’entraîneur d’une équipe de joueurs afro-américains appelée le Savoy Big Five, originaire du South Side de Chicago. Saperstein a rebaptisé l’équipe et lancé une tournée qui, un siècle et des milliers de matchs plus tard, continue d’être la marque de fabrique des Globetrotters.
À ses débuts, cette équipe n’est pas plus originaire de Harlem qu’elle n’a une vocation de globe-trotters. Son nom est le signe de l’incroyable flair de Saperstein, qui choisit « Harlem » pour signaler aux villes du Midwest que l’équipe est totalement afro-américaine et « Globetrotters » pour doper la portée et le prestige de l’équipe.
Le célèbre jeu des Globetrotters – réjouissant mélange d’impressionnantes qualités sportives, de comédie et de théâtralité – a valu à l’équipe et à son fondateur la célébrité mais aussi la consternation.
Les Globetrotters ont en effet fait débuter des joueurs tels que Nat « Sweetwater » Clifton – l’un des tout premiers joueurs afro-américains de la NBA – ou encore le futur Hall of Famer Wilt Chamberlain mais on leur a aussi reproché de jouer sur des stéréotypes racistes.
« Pour certains, les Globetrotters étaient une sorte de spectacle de ménestrels qui présentait les Afro-américains comme des enfants et des farceurs et non comme des gens sérieux », explique Mark Jacob.
Il assure que, pour autant, les Globetrotters et Saperstein étaient nettement plus nuancés que le style parfois volontiers circassien de l’équipe, ce qui explique que les icônes afro-américaines de l’époque – Jesse Owens et Jesse Jackson en tête – en aient été fans.
« Par ailleurs, les joueurs des Globetrotters conspirent avec le public pour se moquer des arbitres et de l’autre équipe », ajoute Jacob. « On ne les rabaisse pas, bien au contraire : ils se donnent en spectacle mais ils gagnent aussi. »
Et tout en faisant les idiots sur le terrain, ces joueurs ont toujours été d’incroyables joueurs de basket-ball. En 1948, les Globetrotters ont ainsi remporté un match amical contre les Lakers de Minneapolis, eux-mêmes titulaires de trois victoires d’affilée aux championnats nationaux de 1948 à 1950 en NBA.
« Ils ont permis de montrer que les athlètes afro-américains pouvaient rivaliser avec n’importe qui, à une époque où beaucoup de Blancs ne pensaient pas cela possible », explique Mark Jacob.
« Pour beaucoup, ce match a permis de donner une impulsion à l’intégration [de la NBA] et des joueurs afro-américains au sein de la NBA : ils ont prouvé qu’ils savaient jouer et qu’ils avaient toute leur place. »
Ce sont les origines étrangères de Saperstein – lui, l’immigrant juif – qui lui ont permis de jouer les intermédiaires entre ses joueurs afro-américains et le monde encore majoritairement blanc du sport professionnel.
Mark Jacob souligne que Saperstein était favorable à l’instauration de relations normales entre Juifs et Afro-américains à une époque où les dirigeants juifs jouaient un rôle clé dans la lutte pour les droits civiques des Afro-américains.
Juif fier de l’être et sioniste convaincu, Saperstein avait lui-même connu son lot de discriminations.
Comme l’explique « Globetrotter », Saperstein et ses parents ont été confrontés à l’antisémitisme à maintes reprises, que ce soit à Londres, Chicago ou ailleurs dans le monde, pour les besoins des tournées de Saperstein avec ses Globetrotters, ses équipes de baseball de la Negro League ou d’autres athlètes afro-américains.
En 1950, année de la première tournée européenne des Globetrotters, le judaïsme de Saperstein a eu un impact tout particulier. Lorsque les Globe-trotters se sont rendus à Paris, Saperstein s’est exprimé au sujet du Vélodrome d’Hiver, où quelques années plus tôt 30 000 Juifs avaient été détenus avant d’être déportés dans les camps nazis.
« Au milieu de ces loges sombres et lugubres, c’est un peu comme s’il y avait des fantômes partout », aurait dit Saperstein, selon sa biographie.
Selon une anecdote particulièrement forte de ce livre, confiée par Abra Berkley, la fille d’Eloise, Saperstein et elle, alors âgée de 13 ans, ont souffert d’un antisémitisme profondément enraciné dans l’Allemagne d’après-guerre.
Alors que son père tenait une conférence de presse dans un hôtel, Eloise, à la recherche de nourriture juive, s’était rendue à la réception pour demander où se trouvait le quartier juif.
Comme le rappelle Berkley, le réceptionniste a craché au visage d’Eloïse et lui a dit : « Hitler aurait dû se débarrasser de vous tous. » Eloise, avec des crachats sur le visage, avait fait irruption dans la conférence de presse de son père, en pleurs et furieuse, pour lui dire ce qui s’était passé.
Saperstein avait immédiatement mis fin à la conférence, exigeant que l’employé soit licencié, et s’était empressé d’aller chez un bijoutier tout proche acheter un pendentif orné d’une étoile de David que sa fille, assure Berkley, n’avait jamais retiré. Des années plus tard, Eloise avait fait faire des copies de ce pendentif pour ses filles.
« Le fait qu’Abe ait quitté la conférence de presse et ait acheté le pendentif juste après cet incident est un message fort, non seulement pour nous, aujourd’hui, mais aussi pour sa fille, qui venait de vivre une expérience atroce », poursuit Matthew Jacob.
« Il m’a dit : ‘C’est ce que nous sommes, il faut en être fier. Je ne veux pas que tu l’oublies, jamais. Je ne l’oublierai jamais’. »
Cette scène, commente Mark Jacob, est un autre signe de l’audace qui caractérise la carrière de Saperstein, de cet homme qui n’a jamais craint de dire ce qu’il pensait, même lorsque ses idées étaient en avance sur leur temps de plusieurs dizaines d’années.
« Tout au long de leur histoire, les Juifs ont été confrontés à d’effroyables difficultés et aux discriminations », conclut Mark Jacob.
« Ce qui leur confère une certaine forme d’endurance, une capacité à faire fi des aléas de l’existence et relever les défis au lieu de les éviter. Abe était exactement comme ça. C’est comme ça qu’il vivait. »
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